Luis Fernandez-Photos : DPPI
Luis Fernandez n'a pas la langue dans sa poche. Ses détracteurs lui reprochent d'enfoncer des portes ouvertes ? Il n'en a cure et continue de dire sa vérité sur les Bleus, Noah, la L1, l'OL et le PSG... Tous aux abris.
Le Paris Saint-Germain va-t-il réussir l'exploit de se maintenir en Ligue 1 ?
Luis Fernandez : " Il suffit à mon avis d'un match nul face à Sochaux pour que Paris soit sauvé. Toulouse, opposé à Valenciennes, devrait aussi s'en sortir. C'est fini, je pense, pour les Lensois qui reçoivent Bordeaux, la meilleure équipe du championnat en ce moment. Ils sont vraiment en position de ballotage défavorable.
Quelles sont les raisons structurelles des déboires parisiens ?
Cela remonte à l'époque où Canal+ en était l'actionnaire. En plaçant des hommes à eux, le plus souvent des journalistes maison à la présidence du club, Canal a créé les conditions de ce désordre. Un actionnaire doit rester à sa place et confier les postes opérationnels à
des personnalités extérieures. Hélas, le PSG n'a jamais eu à sa tête un visionnaire indépendant ou, du moins, suffisamment libre pour mener un projet cohérent sur plusieurs années. L'une des conséquences de cet éternel à-peu-près, c'est l'état de délabrement du Camp des Loges. Les joueurs ne disposent d'aucune infrastructure digne d'un grand club. Cela a des conséquences sur l'état d'esprit de l'équipe, sur la discipline, le suivi médical des joueurs, la diététique... Aucun changement n'a jamais été fait en ce sens.
Et Paul Le Guen dans tout ça ? Était-il l'homme de la situation ?
Ce n'est pas dans la nature de Paul le Guen de secouer son groupe et de
lui insuffler un esprit commando. Il sait faire d'autres choses. N'oublions pas qu'il a été trois fois champion de France avec Lyon. Mais élever la voix, il ne sait peut-être pas le faire. S'il reste au club la saison prochaine, il aura besoin d'un manager sportif à ses côtés présentant un profil complémentaire.
Pourriez-vous être cet homme ?
Si mes attributions étaient clairement définies, ça ne me dérangerait pas de bosser avec Paul ou avec un autre. Encore faudrait-il que mon nom recueille l'adhésion des dirigeants du club.
Avez-vous eu des contacts avec le propriétaire du club, Sébastien Bazin, directeur de Colony Capital Europe ?
Non, aucun...
Et avec Michel Moulin, le conseiller sportif nommé mi-avril ?
Nous sommes amis depuis très longtemps. On s'appelle régulièrement, on parle football, on se rencontre... Mais depuis sa nomination, je l'ai laissé se consacrer pleinement à ce boulot ingrat.
Dans votre pamphlet Luis contre-attaque, vous épinglez Yannick Noah qui n'a pas du tout apprécié votre tacle...
Ce n'est pas un tacle. Je ne remets pas en cause l'homme ni le champion hors pair qu'il a été ni non plus ce qu'il représente... Je dis juste que la manière dont il s'est vu attribuer une part importante du succès du PSG en finale de la Coupe des Coupes en 1996 n'est pas justifiée. Les joueurs et le staff avaient travaillé toute la saison pour en arriver là. Yannick s'est pointé à quelques jours de la finale et on a fait croire que c'était lui qui nous avait fait gagner. C'est un peu fort...
Qui serait l'auteur de cette manipulation ?
Ce n'est pas Yannick Noah. Lui-même a peut-être été manipulé. Je vais vous dire la vérité. Au lendemain de notre succès en demi-finale face à La Corogne, j'ai informé le président Michel Denisot que je souhaitais quitter le club à la fin de la saison. Il ne l'a pas supporté. Par mesure de rétorsion, il m'a mis Yannick dans les pattes... pour m'emmerder.
Vous n'épargnez pas non plus Thierry Henry dont vous dénoncez l'individualisme exacerbé...
C'est en tout cas l'image qu'il renvoie et ça, je n'hésite pas à le dire. Mais cela n'enlève rien à son talent et à ce qu'il a apporté au football et notamment à l'équipe de France. En dépit de sa saison très compliquée à Barcelone, je pense qu'il lui reste quelques petites années au plus haut et qu'il va être animé d'un sentiment de revanche lors du prochain Euro.
Les cadres de l'équipe de France, Thuram, Sagnol, Vieira ou Henry ont tous connu une saison très difficile dans leurs clubs respectifs. Les uns ont été blessés, les autres ont été
le plus souvent remplaçants...
Est-ce qu'avec eux les Bleus vont droit dans le mur à l'Euro ?Je ne le crois pas. Les joueurs qui sont extraordinaires pendant les dix premiers mois de la saison ont du mal à être au top au mois de juin. Alors que les joueurs que vous venez de citer seront frais à l'Euro. C'est tout bon pour la France. N'oublions pas que nous disposons sans doute de
la meilleure attaque au monde... avec celle des Pays-Bas.
Les Bleus sont-ils favoris de l'Euro ?
Loin de là. Au contraire, cela va être compliqué de sortir des poules. Pour tout dire, je pense que soit la France soit l'Italie va se faire éliminer dès le premier tour. Les Pays-Bas,
grâce à leur arsenal offensif, vont s'en sortir. Point d'interrogation, donc, pour la France.
Si cela se passe mal pour l'équipe de France avec une élimination dès les poules, la question de la succession de Raymond Domenech risque de se poser rapidement...
Effectivement, dans ce cas de figure, un changement de sélectionneur serait plus que probable.Et dans ce cas...Il me semble que Didier Deschamps serait le mieux placé pour reprendre l'équipe de France, à tous points de vue. Ses références comme joueur puis comme entraîneur sont sans équivalent. Il a mené Monaco en finale de la Ligue des champions avant de réussir le pari de la remontée avec la Juventus Turin. En tant que joueur, inutile de rappeler qu'il était le capitaine des champions du monde...
Et il semble n'être fâché avec personne du côté de la Fédération française de football.
Arrêtez avec ces histoires de politique interne ! On ne nomme pas quelqu'un
à ce poste sous prétexte qu'il n'a jamais critiqué personne. On doit le choisir parce qu'il est le meilleur. Moi, j'ai soixante sélections en équipe de France, un palmarès d'entraîneur et pourtant je suis peut-être un condamné à mort pour le poste d'entraîneur d'une équipe française. Tout ça pourquoi ? Parce qu'on dit que Luis ouvre trop sa gueule. Et alors ? Est-ce un délit ?
Dans le monde du football où règne la langue de bois, oui, peut-être...
Ceux qui obéissent à cette règle finissent par subir les événements. Et à la fin, ils se font dévorer. Mon erreur, lors de mon deuxième passage au PSG n'a pas été d'ouvrir ma gueule. Peut-être, n'étais-je pas assez entouré pour résister aux pressions de mon président, Laurent Perpère, des partenaires du club, de mes joueurs, des agents, etc.
Pour revenir à la question d'une éventuelle succession de Domenech, que pensez-vous de Laurent Blanc ?
Comme Didier Deschamps, il a une expérience de joueur dans tous les grands championnats européens (Italie, Espagne, Angleterre). C'est un bagage considérable. Il est tout jeune dans le métier d'entraîneur, mais son parcours inspire le respect. Bien secondé par son adjoint, Jean-Louis Gasset, il a imprimé un style aux Girondins de Bordeaux mais le titre de champion de France va leur échapper à cause, notamment, de leur match nul concédé à domicile face à Nice(0-0). Tout ça pour dire que Laurent Blanc sera un jour prêt pour le job de sélectionneur... mais dans quelques années seulement.
Revenons au championnat de France. Pourquoi, selon vous, l'Olympique Lyonnais connaît-il une fin de saison aussi difficile ?
Une grande partie des maux de l'équipe lyonnaise vient de l'omnipotence et de l'omniprésence de Jean-Michel Aulas. Il est le président-entraîneur de l'OL et cette double casquette nuit aux performances de l'équipe. Dès le début de la saison, les joueurs savaient que l'autorité n'appartenait pas à Alain Perrin. Le seul qui pouvait faire mal, c'était Aulas. Du coup, la relation de confiance qu'aurait pu établir Alain Perrin avec son équipe a été cassée. À cause d'Aulas, mais aussi à cause des autres membres du staff qui sont à la fois des meubles et des relais du président. À partir de là, les dés étaient pipés et cela explique en partie pourquoi Lyon reste un club moyen à l'échelle européenne et qu'il n'est pas entré dans le coeur des Français.
Si Jean-Michel Aulas acceptait de modifier sa stratégie, que devrait-il commencer par faire ?
Il doit d'abord laisser les rênes de l'équipe à un grand entraîneur. À cet entraîneur, il doit offrir un gros contrat, lui donner les moyens de constituer un staff et le temps de prendre ses marques et de construire. Voilà. Depuis leur élimination de la Ligue des champions, je dis qu'il se prépare une révolution à Lyon. Les joueurs, le staff... beaucoup de choses devraient changer au mois de juin.
Propos recueillis par Ronan Folgoas