Je comprends qu’elle ait voulu, à un moment, couper l’herbe sous le pied à cet amalgame. Je suis consciente du trouble de cette situation de dédoublement parce que cela suscite un trouble en moi aussi… Quand je fais un disque, je plonge dans mon noyau intime. Pour le préserver, il a fallu que je me dédouble. C’était la seule solution, pas forcément pour rester chanteuse mais pour survivre.
Survivre ! Le mot est fort !
Oui, survivre au fait d’être complètement dépassée par la situation extérieure.
Dans le disque, vous tutoyez quelqu’un est-ce un tutoiement de convention, une convention poétique ou artistique ?
Le tutoiement s’adresse toujours à quelqu’un, imaginaire ou non. J’ai écrit des chansons qui semblaient ciblées. Certaines portaient même des prénoms. Les chansons, je les écris beaucoup à travers les sentiments que je ressens. Je n’écris pas sur moi-même ou quelqu’un, j’écris à travers moi, comme un prisme. Donc le tutoiement est absolument précis et imaginaire.
Donc «fais gaffe à toi, je suis italienne»…
Je pourrais vous le dire par exemple ! Mais je ne suis plus italienne depuis trois mois.
Vous êtes donc naturalisée française ?
Pas encore, la procédure est longue pour tout le monde, mais je suis désormais française.
Pourquoi ne l’avez-vous pas demandé avant de vous marier ?
Parce que je ne souhaitais pas particulièrement devenir française. J’avais une carte de séjour, je pouvais travailler en France, je suis européenne. Ma sœur qui souhaitait voter en France a demandé la nationalité et l’a obtenue, mais c’est son choix. Moi, j’ai un passeport italien que je peux garder jusqu’en 2012. Il expire après ! Mais symboliquement, je me considère française.
Quand vous avez dit à votre mari que vous veniez à Libération…
Il a dit : «J’ai confiance en toi, vas-y.»
Il y a quand même des gens dans son entourage qui vous conseillent…
Je demande conseil à certaines personnes, mais personne ne me conseille.
Pierre Charon, un de ses fidèles s’occupe de votre communication.
Il y a un monde qui m’était complètement étranger, le monde des gens conservateurs, c’est-à-dire qui ont été profondément choqués par l’arrivée dans le paysage d’une fille qui n’est pas française, pas mariée, libre d’avoir été qui elle a été, qui a un enfant… J’ai donc demandé à monsieur Charon comment désinquiéter ces personnes. Par exemple, je n’avais pas compris la prépondérance du fait d’être mariés. Même si je viens d’une famille bourgeoise, elle n’est pas du tout conservatrice. Les miens ont été choqués par son arrivée [celle de Nicolas Sarkozy, ndlr] dans notre paysage !
Mais mon mari ne correspond pas à l’idée que je me faisais des conservateurs. Il n’est pas du tout conservateur. Il ne correspond pas non plus à toute une partie des personnes qui composent son parti.
Revenons au disque. Des textes sont de vous, d’autres non, notamment «la Possibilité d’une île» de Michel Houellebecq. Pourquoi ce choix?
C’est un poème que j’adore. Je crois aussi que mon agent a été soulagé qu’il y ait des paroles qui ne puissent pas prêter le flanc à des interprétations.
Y a-t-il des chansons que vous avez écrites depuis votre rencontre?
Dans «L’Amoureuse», une phrase dit «les rues sont des jardins, je danse sur les trottoirs». C’est une chanson sur l’exaltation amoureuse. Elle a été développée après ma rencontre avec mon mari mais elle a été écrite avant.
Vous organisez des dîners avec des artistes pour votre mari. Considérez-vous que cela fait partie de votre mission d’essayer de combler le fossé entre les milieux culturels et la droite?
J’aimerais faire quelque chose, mais le fossé que vous évoquez entre la droite et la culture, c’est une pensée extrême. Il y a sans doute des gens extrêmement cultivés à droite et sans doute des ignorants à gauche. Je suis de ces derniers, ignorante !
Peut-être puis-je l’aider pour lui permettre de mieux communiquer sur les choses qu’il aime, de donner une place supérieure à la culture. Mais je suis très peu intervenue.
Sur les inquiétudes des producteurs de télévision sur le service public et sur la possible nomination de Georges-Marc Benamou, conseiller de l’Elysée, à la Villa Médicis, vous êtes intervenue…
Sur la Villa Médicis, j’ai donné une opinion autour d’un déjeuner en tête-à-tête avec mon mari. Je lui ai dit : «Je trouve qu’il est fondamental d’y prêter beaucoup plus d’attention.» Ce n’est pas un lieu anodin, c’est un lieu magnifique, un lieu précieux.
Sur les producteurs, la télévision, j’ai déjeuné avec mon amie Fabienne Servan-Schreiber, qui m’a fait part de ses craintes. J’ai vu à quel point elles étaient justifiées. Je lui ai demandé d’en parler directement à mon mari. Je leur ai permis de lui dire leurs inquiétudes et eux ont pu entendre ses projets, qui ne sont pas qu’une idée flamboyante…
Sur le téléchargement, vous êtes pour la sanction contre les internautes?
Internet est un lieu en dehors des lois. Or la liberté ne signifie pas que l’on est hors-la-loi. Aucun d’entre nous ne peut être hors-la-loi. C’est la condition de la démocratie.
Vous avez une fonction - épouse du chef de l’Etat - et un métier - chanteuse. Ne craignez-vous pas que votre métier, pendant le quinquennat, ne devienne une simple occupation ?
Je peux faire des télévisions en tant que chanteuse, mais je ne peux pas faire de scène parce que je ne peux pas me permettre d’entraîner une infrastructure de sécurité qui, dans mon esprit, est choquante. Il y a juste un monsieur qui est là… Un officier de sécurité. Je recommencerai à faire des concerts lorsque mon mari ne sera plus président de la République. Mais mon métier ne deviendra pas une occupation. C’est un métier qui fonctionne en parenthèses, même en dehors de ma situation actuelle.
Dans votre fonction d’épouse de chef de l’Etat, quels sont les moyens mis à votre disposition par l’Etat ?
J’utilise le secrétariat de mon mari. J’ai un bureau, un lieu dans la partie privée de l’Elysée. Les dames, on les met dans la partie privée. Ce n’est pas une place très claire.
Votre demi-sœur, Consuelo, est aussi à l’Elysée depuis votre arrivée…
Elle fait un stage avec Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique, sur l’aide humanitaire.
Sur la question du statut d’épouse du chef de l’Etat, en avez-vous déjà discuté avec Nicolas Sarkozy ?
C’est aux Français de décider si c’est un véritable statut. En tout cas, du point de vue psychologique, c’est très spécial. Cela signifie que, lorsque l’on épouse quelqu’un, on a des devoirs mais on n’a pas de place précise. Ces devoirs sont-ils simplement les devoirs d’une épouse ? A ce moment-là, on rentre dans un système phallocratique.
La tradition, c’est de représenter les femmes françaises et les hommes français, la France. J’ai juste essayé de m’engouffrer dedans. Je suis une femme moderne mais les traditions ne sont pas modernes. J’ai juste pris ce chapeau-là et ce vêtement-là.
Vous avez effectivement endossé l’habit. Mais comment allez-vous faire exister la fonction ?
Je vais essayer d’utiliser cette place pour quelque chose de fondamental. Evidemment, c’est toujours lié à des actions humanitaires. Cela aussi, c’est une tradition. Moi, je n’oserais pas faire des choses qui choquent les gens et qui sortent des traditions.
Plus tôt, vous vous êtes rangée parmi «les ignorants de gauche»…
Mes réflexes épidermiques sont de gauche. Ce n’est pas une idéologie ni un système. Je ne suis pas une militante, je ne l’ai jamais été. J’ai l’impression que les gens qui sont complètement d’un côté ou de l’autre ne pensent qu’avec une partie du cerveau.
Qu’est-ce qui dernièrement vous a fait réagir de manière épidermique?
Les tests ADN pour contrôler l’immigration.
Aujourd’hui encore, vous iriez à un meeting contre les tests ADN ?
Si j’étais libre d’y aller, complètement, j’irai. Si je ne portais pas préjudice à «la nouvelle situation».
«La nouvelle situation» ne vous empêcherait pas d’y aller ?
Non.
Avez-vous perdu des amis de gauche?
Non, j’ai de vrais amis
Vous aviez un capital de sympathie dans une nébuleuse de gauche. N’avez-vous pas l’impression de l’avoir perdu ?
Peut-être l’ai-je perdu sans l’avoir mesuré. C’était quand même dans la nébuleuse, pas seulement de gauche. Nébuleuse tout court !
Vous auriez pu voter en tant qu’Européenne pour les municipales en France. L’avez-vous fait ?
Non. Je n’ai jamais beaucoup voté. Je m’y mets avec beaucoup d’attention. Vous ne mesurez pas à quel point je suis tombé là-dedans !
Pour la prochaine élection présidentielle, vous voterez pour votre mari ou à gauche ?
Si mon mari se représentait, je voterais pour lui.
Vous avez un doute sur le fait qu’il se représente ?
Oui. Comme j’ai un doute sur le fait d’être vivante dans une heure!
Dans un journal américain, vous aviez dit que vous n’aimiez pas beaucoup Ségolène Royal. Que lui reprochez-vous ?
Sa voix.
Pourquoi sa voix ?
Elle ne me dit rien.
Et ses idées ?
J’ai apprécié qu’une femme soit candidate. Est-ce que j’apprécie ses idées ? Il faudrait que je les reformule précisément… J’apprécie le fait que ce soit une femme courageuse.
Et Brice Hortefeux, vous l’aimez bien ?
En tant que personne, je l’aime beaucoup.
En tant que ministre ?
A part cette chose des tests ADN qui lui a un peu échappé, en tant que ministre, je ne le jugerai pas.
Vous n’avez pas de point de vue sur la politique d’immigration qui est menée actuellement ?
J’ai un point de vue, mais ma position actuelle implique des compétences que je n’ai pas. Et je n’ose pas vous répondre à la bonne franquette. J’aimerais bien, mais je n’ose pas. Ce n’est pas pour ne pas porter préjudice à mon mari, mais par peur d’être nulle. D’un côté, je pense que c’est tragique d’être reconduit à la frontière lorsque l’on cherche une terre d’asile, un endroit où reconstruire sa vie. De l’autre, je pense que c’est extrêmement complexe de légiférer sur l’immigration.
Dans les interviews, vous parlez de vous, vous ne parlez pas des Français. Comment les voyez-vous ?
Je ne parle pas des Français, c’est vrai. Je n’étais pas concernée avant, même si je vis en France depuis longtemps, par cette entité que sont devenus les Français pour moi. Les Français sont un peuple assez nostalgique, très littéraire, et aussi assez peu musical.
Pensez-vous que les gens ont des raisons de manifester ?
Les gens ont des droits, le droit de les faire valoir, de protester. C’est une tradition française de protester, très forte et importante, finalement précieuse.
Vous vous êtes toujours affichée comme une femme libre. Elle a l’air très contrainte par la fonction, la femme libre…
Je suis contrainte par l’effet que fait la fonction, pas par la fonction elle-même, qui n’est pas une grande contrainte.
Pour les conseillers du Président, vous êtes une carte maîtresse dans la reconquête de l’opinion. Etes-vous consciente ou inconsciente de ce rôle ?
Je n’en suis pas très consciente. Je ne suis pas sûre que ce soit vrai.
Quand même…
Si l’opinion est une chose de surface, alors oui, je peux l’aider. Si l’opinion est une chose de fond, non. Je ne fais rien sur le fond pour l’instant. Si un jour je fais quelque chose, j’espère que cela pourra servir à des gens. Pas seulement à son image.
Mais le redressement de l’image qui passe par la fin du «Sarko bling-bling», c’est grâce à vous ?
Peut-être que, plus que bling-bling, il a été inconscient avec moi dans les débuts. J’ai essayé de comprendre ce qui s’est passé au début, pourquoi cela avait été tellement épouvantable au moment le meilleur. Pour un couple, c’était épouvantable. Le bling-bling, ce serait les montres, les lunettes, etc ? J’ai des goûts assez austères. Est-ce vraiment une affaire de montre ?
Non, c’est une affaire de style en général.
De style ?
Il est plus sobre aujourd’hui qu’il ne l’était il y a un an…
C’est vrai ? Ouais !
Votre «ouais» sonne comme une victoire !
Il est plus sobre. C’est important pour quelqu’un dans sa position.
Une femme est-elle obligée de faire corps à ce point avec la politique de son mari ?
Faire corps ? Personne n’est obligé de faire corps ni avec la politique ni avec son mari ! On fait corps si on veut.
Je ne fais pas tellement corps avec sa politique. Si ? Vous trouvez ? Je lui ai apporté mon univers comme il m’a apporté le sien. Faire corps voudrait dire adhérer à tout ce que pense mon mari. Ce n’est pas comme cela dans un couple ! J’ai toujours les mêmes convictions même si je suis une femme assez peu engagée politiquement.
(Transcrit par Christine Rouxel et Isabelle Peker)
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