LE SACRE-COEUR, BREF APERCU HISTORIQUE.
(A. DENIZOT LE SACRÉ-COEUR ET LA GRANDE GUERRE NOUVELLES ÉDITIONS LATINES, rue Palatine, 75006 PARIS)
LE COEUR D’UN DIEU ET LE COEUR D’UN HOMME.
La dévotion au Sacré-Coeur a un double objet, l’un sensible et corporel, l’autre invisible et spirituel. L’objet sensible est le Coeur corporel de Jésus uni a sa divinité. L’objet spirituel est la charité du Christ, son amour pour les hommes dont il a témoigné dans la passion et l’Eucharistie. L’objet total représente le Coeur de Jésus, considéré comme le symbole de sa charité, il est à la fois le coeur d’un Dieu et le coeur d‘un homme ; l’amour divin et incréé du Fils et son amour humain et créé.
La dévotion au Sacré-Coeur implique la croyance au mystère de l’Incarnation, renouvelle symboliquement la mémoire de ce divin amour par lequel le fils de Dieu s’est revêtu de la nature humaine. La mort du Christ sur la Croix coïncide pratiquement avec le don de l’Esprit saint - " Il remit l’Esprit " - et avec le don de la vie en plénitude, dans l’eau et le sang qui jaillirent du côté transpercé. Par sa mort le Christ a donné sa vie au monde. L’effusion du sang et de l’eau exprime symboliquement le mystère pascal, le passage de la mort à la vie. L’eau symbolise la résurrection, la vie dans l’Esprit, les sacrements de l’Eglise; le sang est signe du salut.
Mais le Coeur demeure fondamentalement le symbole de l’Amour, du don libre de soi. C’est un amour blessé, miséricordieux qui s’exprime à travers l’épisode de la transfixion. Cet amour va jusqu’au sacrifice, au don de soi. Le Coeur transpercé manifeste l’éternelle ouverture du Coeur de Dieu, sa contemplation conduit dans les profondeurs du mystère du salut, dans l’union intime avec le Christ. Dans les formules: " Voilà ce Coeur qui a tant aimé les hommes ", ce " Coeur humainement divin et divinement humain " (Cardinal de Bérulle) le Sacré-Coeur s’offre à tous ceux qui voudront aller à lui, dans l’acceptation des peines de Ia vie.
La dévotion au Sacré-Coeur commence au Calvaire où le divin Coeur, percé par la lance de Longin, laisse échapper du sang et de l’eau, l’eau pour se laver, le sang pour racheter les hommes. " On ne peut témoigner une plus grande affection que de donner sa vie pour ceux qu’on aime " écrit saint Jean (XV, I3). C’est de ce coeur que " I’Eglise est sortie toute rayonnante de beauté ", déclare saint Cyprien, évêque de Carthage, martyr sous Valérien en 258. Pour saint Augustin (354-430) : " Le côté fut ouvert, c’est-à-dire que la porte de Vie s’ouvrit, d’où s’épanchèrent sur le monde les sacrements et toutes les grâces. "
La France élue de Dieu.
Au IVe siècle, Constantin, fils du gouverneur des Gaules et de sainte Hélène, se montre favorable aux chrétiens. A la mort de son père, en 306, ses soldats le proclament empereur à la place de l’empereur en titre Maxence, impie et cruel. Constantin franchit les Alpes, s’approche de Rome pour combattre les forces considérables de Maxence. Un jour, il aperçoit dans le ciel une croix lumineuse avec cette inscription : in hoc signo vinces (par ce signe tu vaincras). La nuit suivante, le Christ apparait et lui ordonne de se servir du signe céleste dans les combats. Constantin fait reproduire la croix sur son étendard et livre bataille à l’ennemi. Vaincu au pont de Milvius, Maxence se noie dans le Tibre (312).. Pour la première fois dans l’histoire un étendard, porte le signe du Christ. Connu sous le nom de Labarum (du nom assyrien labar qui signifie succès, victoire) cette enseigne se compose d’une croix surmontée d’une couronne au milieu de laquelle les lettres Khi et Ro entrelacées représentent le monogramme du Christ.
L’événement décisif se produit un siècle plus tard avec la conversion des Francs saliens établis en Gaule depuis 420. Leur chef Clovis, époux de Clotilde, princesse chrétienne, continue à adorer les idoles. La tribu des Alamans a franchi le Rhin pour envahir la Gaule et Clovis accourt avec ses troupes. Il attaque dans la vallée du Rhin près de Cologne. Il sent que la victoire lui échappe et implore " Jésus-Christ que Clotilde annonce être le Fils du Dieu vivant ". Il Iui demande son appui. " Si tu m’ accordes la victoire sur ces ennemis je croirai en toi et je me ferai baptiser en ton nom, car j’ai invoqué nos dieux et ils ne m’ont été d’ aucun secours. " Les Alamans lâchent pied, leur chef est tué. Après la victoire de Tolbiac (496), Clovis se convertit et reçoit le baptême, avec 3 000 guerriers, la veille de Noël, des mains de saint Rémi, évêque de Reims.
C’est pendant la nuit de Noël, au jour anniversaire et à l’heure de sa naissance, que le Christ apparaît à Clovis, roi des Francs. Hincmar, archevêque de Reims, raconte la vision de Clovis, dans son " . Historia Ecclesiae Remensis " : " Soudain, une lumière plus éclatante que le soleil inonde l’église ! Le visage de l’évêque en est irradié ! En même temps, une voix retentit : " Apprenez, mon fils, que le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l’Église romaine qui est la seule véritable Église du Christ. Ce Royaume sera un jour grand entre tous les Royaumes et il embrassera toutes les limites de l’Empire romain ! Et il soumettra tous les peuples à son sceptre ! Il durera jusqu’à la fin des temps ! Il sera victorieux et prospère tant qu’il sera fidèle à Dieu. Mais il sera rudement châtié toutes les fois qu’il sera infidèle à sa vocation. "
Le sacre de Clovis par saint Rémi, vaut à la France le titre de " fille ainée de l’Église ".
Le pape Grégoire IX l’explicite dans une lettre à saint Louis en 1230.
" Dieu, auquel obéissent les légions célestes, ayant établi, ici-bas, des royaumes différents suivant la diversité des langues et des climats, a conféré à un grand nombre de gouvemements des missions spéciales pour l’accomplissement de ses desseins. Et comme autrefois Il préféra la tribu de Juda à celle des autres fils de Jacob, et comme il la gratifia de bénédictions spéciales, ainsi il choisit la France de préférence à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif la France est le royaume de Dieu même, les ennemis de la France sont les ennemis du Christ. Pour ce motif, Dieu aime la France parce qu’il aime l’Église qui traverse les siècles et recrute les légions pour l’éternité. Dieu aime la France, qu’aucun effort n’a jamais pu détacher entièrement de la cause de Dieu. Dieu aime la France où en aucun temps la foi n’a perdu de sa vigueur, où les rois et les soldats n’ont jamais hésité à affronter les périls et à donner leur sang pour la conservation de la foi et de la liberté religieuse. "
Sainte Jeanne d’ Arc (1412-1431) entend des voix célestes dès l’âge de treize ans. Saint Michel, Sainte Catherine, Sainte Marguerite lui disent de chasser les Anglais et de couronner le Roi. Depuis Azincourt et le traité de Troyes (1420), la France connaît une double monarchie au profit de l’Angleterre. Jeanne arrive à Chinon le 23 février. Charles VII consent à la recevoir le 25. Elle lui annonce que sa mission est de le faire sacrer et couronner à Reims comme héritier légitime du roi de France. Jeanne reçoit alors sa maison militaire, une armure, fait peindre sur un étendard le Christ entre deux anges et broder sur la soie " Jésus, Maria ! ". Jeanne délivre Orléans le 8 mai. Le 18 juin la victoire de Patay sur l’armée anglaise de renfort libère la région de la Loire. Jeanne conduit Charles VII à Reims où il est sacré le 17 juillet.
Il faut attendre Saint Français de Sales (1567-1622) pour que le culte du Sacré-Coeur devienne un culte public. Aidé de Sainte Jeanne de Chantal, il fonde l’ordre de la Visitation avec pour blason un coeur percé de deux flèches, cerclé d’épines et surmonté d’ une croix.
Saint Jean Eudes (1601-1680), fondateur de la congrégation de Jésus et de Marie en 1643 (les Eudistes), pense le premier à rendre un culte liturgique au Sacré-Coeur (1672) après avoir rendu un culte liturgique au Saint Coeur de Marie (1648). Il a la conviction que le Christ nous a donné son coeur pour être notre coeur, de même que les Coeurs de Jésus et de Marie ne font qu’un. Le 8 mars 1670, Eudes obtient de l’évêque de Rennes l’autorisation de célébrer " la fête du Coeur adorable de Notre Seigneur Jésus-Christ "
Le 10 février 1638, Louis XIII consacre officiellement La France à la Vierge précisant " notre personne, notre État, notre couronne et nos sujets " et instaure une procession chaque année le 15 août, fête de l’Assomption.
Sainte Marguerite-Marie Alacoque. (1647-1690)
Plusieurs messages sont adressés à la Sainte de Paray le Monial par notre Seigneur Jésus-Christ. La révélation la plus significative se produit le 16 juin 1675, jour de la Fête-Dieu : " Voilà ce Coeur qui a tant aimé les hommes, n’a rien épargné Jusqu’à se consumer pour leur témoigner son amour et ne reçoit que froideurs et mépris ".
Le premier message s’adresse aux rois : " Il désire entrer avec pompe et magnificence dans la maison des princes et des Rois, pour y être honoré, autant qu’ il y a été outragé, méprisé et humilié en sa passion " Mais plus spécifiquement à Louis XIV :<< Fais savoir au fils aîné de mon Sacré-Coeur que, comme sa naissance a été obtenue par la dévotion aux mérites de ma sainte enfance, ( sa mère Anne d’ Autriche procréa très tard, Louis XIV fut l’enfant du miracle) de même il obtiendra sa naissance de grâce et de gloire éternelle par la consécration qu’ il fera de lui-même à mon coeur adorable qui veut triompher du sien et, par son entremise, de celui des grands de la terre. "
Le deuxième message : " Le Père Éternel voulant réparer les amertumes et angoisses que l’adorable Coeur de son divin Fils a reçues dans la maison des princes de la terre veut établir son empire dans le coeur de notre Grand monarque, duquel il veut se servir pour l’exécution de ses desseins. "
Le roi est fils aîné du Sacré-Coeur en qualité de chef d’État de même que la France est fille aînée de l’Église.
Le troisième message demande au Roi : " d’être peint sur ses étendards et gravé sur ses armes pour le rendre victorieux de tous ses ennemis, en abattant à ses pieds les têtes orgueilleuses et superbes, afin de le rendre triomphant de tous les ennemis de la Sainte-Eglise ".
Le quatrième message est : de " faire construire un édifice où sera le tableau de ce divin Coeur, pour y recevoir la consécration et les hommages du Roi et de toute la cour. Dans cet édifice le chef de la nation française reconnaîtra l’empire du divin Coeur sur lui-même et la nation, il proclamera sa royauté, se dira lieutenant du Christ ".
Sainte Marguerite-Marie résume les conséquences du culte public au Sacré-Coeur : " Je prépare à la France un déluge de grâces lorsqu’elle sera consacrée à mon divin coeur. "
Louis XIV et le Sacré -Coeur.
Le P.Eudes a fait entrer la dévotion au Sacré-Coeur dans le palais et la famille de Louis XIV par des prédications à la cour de 1671 à 1674. En 1674 Eudes reçoit 14.000 livres du Roi pour la construction à Caen de la première église érigée au Sacré-Coeur, et la fête solennelle du Sacré-Coeur est célébrée à Montmartre le 20 octobre. Sept autres églises sont autorisées par le pape à s’ouvrir et se consacrer au culte du Sacré-Coeur.
La peste à Marseille (1720).
Une autre visionnaire, Anne-Madeleine Rémuzat (1696-1730), est religieuse au Monastère de la Visitation à Marseille.
Le 17 octobre, Jésus lui fait connaître ses desseins, elle reçoit pour mission de continuer l’oeuvre de Paray, en avertit son évêque Mgr de Belsunce. En juin 1716, l’évêque fait célébrer à Marseille la première messe du Sacré-Coeur. L’année suivante Anne-Madeleine fonde l’Archiconfrérie de l’adoration perpétuelle du Sacré-Coeur approuvée par le pape Clément XI.
Au cours du Carême de 1718, à l’église des Cordeliers, le visage du Christ apparaît dans l’hostie. Avertie surnaturellement soeur Rémuzat prévient Mgr de Belsunce : " si Marseille ne se convertit pas un terrible fléau ravagera la ville ". Les édiles et le peuple ne tiennent aucun compte des avertissements de l’ évêque.
Le 25 mai 1720 le navire " Grand Saint-Antoine "; venant de Sidon (Saïda au Liban) apporte la peste. Sur une population de 90.000 habitants Marseille, recense 40.000 décès. Anne-Madeleine demande alors, comme Marguerite-Marie, l’institution de la fête solennelle du Sacré-Coeur au lendemain de l’octave du Saint-Sacrement. Mgr de Belsunce établit le 20 octobre la fête du Sacré-Coeur dans son diocèse . Le 2 novembre le prélat organise une procession expiatoire, il consacre la ville et le diocèse au Sacré-Coeur. Aussitôt il n’y a plus de morts à Marseille en raison de la peste. Mais la dépravation des moeurs et les menées jansénistes reprennent et la peste reparaît en mai 1722. Les édiles font " voeu ferme, stable et irrévocable, à perpétuité, à aller toutes les années au jour de la fête du Sacré-Coeur de Jésus entendre la sainte messe dans l’église du premier monastère de la Visitation, y communier et à assister le soir à une procession d’action de grâces ". La peste disparaît définitivement de Marseille.
Louis XV.
La reine Marie Leckzinska suggère, en 1751, l’adoration perpétuelle du Sacré-Coeur dans le Saint Sacrement. Elle obtient du pape Clément XIII, la fête du Sacré-Coeur dans tous les diocèses de France le 17 juillet 1765. Une lettre de la Mère Marie-Hélène Coing, supérieure de la visitation de Paray-le-Monial, adressée le 17 mars 1744 relance le message de 1689. Louis XV reste sourd au message, mais son fils le dauphin Louis fait dédier, dans l’église du Château de Versailles, en 1773, une chapelle au Coeur de Jésus dans la tradition eudiste à laquelle la famille royale participe.
Le voeu de Louis XVI.
L’influence spirituelle des Eudistes sur la famille royale continue sous Louis XVI avec le Père Hébert, supérieur général des Eudistes et confesseur de Louis XVI. Au moment ou la Révolution met en péril les institutions royales, le prêtre montre au prince le Coeur de Jésus comme un dernier refuge où puisse s’abriter la France et son roi.
Louis XVI est réservé de Dieu pour expier les fautes de ses pères et de la nation française. Emprisonné au Temple, ayant perdu tout pouvoir, le Roi écrit en 1792 une lettre sans date intitulée : " Voeu " par lequel Louis XVI a dévoué sa Personne, sa Famille et tout son Royaume, au Sacré-Coeur de Jésus. Dans une " Prière ", le Roi reconnaît ses faiblesses politiques et en appelle à la fois au " divin rédempteur ", au " Coeur de Marie ", à " l’ assistance de saint Louis ". Le " Voeu " est lié à ce que Louis XVI " recouvre sa liberté ". Il s’engage à révoquer la Constitution civile du Clergé du 24 août 1790, à établir, " une fête solennelle en l’honneur du Sacré-Coeur de Jésus, laquelle sera célébrée à perpétuité dans toute la France, le premier vendredi après l’octave du Saint-Sacrement en réparation des outrages et profanations commises pendant le temps des troubles ". Louis XVI promet d’ériger une église, une chapelle ou un autel " dédié au Sacré-Coeur de Jésus ",de consacrer sa personne, sa famille, son royaume avec promesse de donner à tous ses sujets " l’exemple du culte et de la dévotion qui sont dus à ce Coeur adorable " et de renouveler ce voeu chaque année le jour de la fête du Sacré-Coeur. Enfin, faisant allusion au " miracle éclatant qui arrêta dans une de nos villes le fléau de la la peste ", le roi consacre la France au Sacré-Coeur : " O Coeur de Jésus, nous vous offrons notre patrie toute entière et les coeurs de tous vos enfants.
Ce voeu, balayé dans la tourmente anticléricale, ne peut être réalisé. La Révolution traque les croyants. Au cours des massacres de Septembre (1792) de nombreuses victimes portent des images représentant deux coeurs percés de flèches dans une couronne d’épines, surmontés d’une croix, avec pour inscription : " Coeurs-Sacrés, protégez-nous ! ".
La Révolution et le Sacré-Coeur.
Le culte du Sacré-Coeur avait pénétré dans les provinces de l’Ouest grâce aux Eudistes et aux monastères de la Visitation. Dès le début de l’insurrection, le 13 mars 1793, le signe apparaît sur les poitrines, le Sacré-Coeur. Cathelineau se rend à l’église, s’offre en holocauste, Il met à sa boutonnière un Sacré-Coeur et suspend un chapelet à son cou. Un autre chef, le marquis de Lescure, revient bouleversé d’un pèlerinage à Paray-le-Monial. Il rallie l’armée catholique et royale et porte le Sacré-Coeur cousu sur sa poitrine. Pour la première fois en 1794, pendant la guerre de Vendée, une armée arbore publiquement l’image du Sacré-Coeur.
Le culte du Sacré-Coeur de 1800 à 1870.
Le culte de Marie très vivace sous la royauté, qui se consacre à la Vierge ainsi que son royaume en 1638 sous Louis XIII, en 1650 sous Louis XIV, en 1738 sous Louis XV, en 1775 sous Louis XVI, Se renforce avec les apparitions mariales du XIXe siècle. L’association Marie-Jésus prêchée par Eudes prend alors toute sa valeur, c’est par la mère que le Fils doit régner dans les coeurs et sur la terre.
Par ses apparitions, la Vierge explicite le message de Paray-le-Monial. Catherine Labouré, en 1830, voit la Vierge tenant un globe surmonté d’une croix symbole du règne futur de Jésus sur le monde. A La Salette, en 1846, Marie exhorte à la Pénitence, de même à Lourdes en 1858. Dans une France qui se laïcise de plus en plus jusqu’à son aboutissement en 1905, les apparitions mariales par leurs messages, semblent alerter le monde qu’il faut réaliser le message du Sacré-Coeur de Paray-le-Monial.
En parallèle aux malheurs de la France, passés ou annoncés, le développement de la dévotion au Sacré-Coeur connaît un renouveau.
Marie de Jésus (1797-1854) appartient à la congrégation des chanoinesses de Saint-Augustin. Sans avoir connaissance des révélations de Marguerite-Marie, les communications célestes qu’elle reçoit corroborent les révélations de Paray-le-Monial. Dans son extase du 3 mai 1822 Jésus lui dit : " que le voeu de Consécration de la France au sacré-Coeur, attribué à Louis XVI, était bien de Lui, qu’il désirait ardemment que le voeu fût exécuté, c’est-à-dire que le Roi consacrât sa famille et tout son royaume à son divin Coeur, comme autrefois Louis XIII à la Sainte Vierge ; qu’il en fit célébrer la fête solennellement et universellement tous les ans, le vendredi après l’octave du Saint-Sacrement et qu’enfin il fit bâtir une chapelle et ériger un autel en son honneur. A cette condition le roi, la famille royale et la France entière recevront les plus abondantes bénédictions ". L’apparition du 21 juin 1823 en la fête du Sacré-Coeur, le vendredi après l’octave du Saint-Sacrement, ordre est donné de les communiquer au roi Louis XVIII. " La France est toujours bien chère à mon divin Coeur et elle lui sera consacrée. Mais il faut que ce soit le Roi lui-même qui consacre sa personne, sa famille et tout son royaume à mon divin Coeur, et qu’il lui fasse, comme je te l’ai dit, élever un autel comme on en a élevé un déjà en l’honneur de la Sainte Vierge. Je prépare à la France un déluge de grâces, lorsqu’elle sera consacrée à mon divin Coeur. Les outrages faits à la majesté royale ont été réparés publiquement et les outrages sans nombre que j’ai reçus dans le sacrement de mon amour n’ont pas encore été réparés ! Je prépare toutes choses, la France sera consacrée à mon divin Coeur, et toute la terre se ressentira des bénédictions que je répandrai sur elle. La foi et la religion refleuriront en France par la dévotion à mon Divin Coeur ". Mais Louis XVIII ne réalise pas le voeu de consécration au Sacré-Coeur.
L‘oeuvre fondamentale du P. Lambert " Le Salut de la France " devient un élément moteur de renouveau. A son appel de consécrations par cité ou diocèse avant la consécration générale, les évêques vouent leurs diocèses dans la proportion des deux-tiers entre 1814 et 1869.
Sous le Second Empire, une extension officielle du culte public du Sacré-Coeur se produit à l’occasion du baptême du prince en 1856. L’épiscopat français demande au pape Pie IX et obtient l’extension de la fête du Sacré-Coeur, à toute l’Eglise.
En 1865 les fêtes de la béatification de Marguerite-Marie marquent un tournant dans l’extension générale de la dévotion. Le Second Empire représente une période féconde pour le développement du culte du Sacré-Coeur. En 1870, au milieu des désastres, l’impératrice Eugénie, catholique espagnole fervente tente de consacrer la France. L’appel au Sacré-Coeur pour le salut de la France touche huit évêques qui consacrent leur diocèse au cours de la guerre de 1870-1871.
La guerre 1870-1871.
Les désastres français d’août 1870 font reprendre du service aux Zouaves pontificaux rebaptisés " Volontaires de l’Ouest " sous le commandement du colonel de Charette. Le 10 octobre, ils arrivent au au Mans et le 14 octobre, se consacrent publiquement au Sacré-Coeur en prononçant la formule : " Jésus, Roi immortel des siècles, des peuples et des rois, désirant réparer les outrages que l’impiété vous prodigue dans le Sacrement de votre amour et dans la personne, de votre vicaire, Notre Saint-Père le Pape, je consacre à votre divin Coeur ma personne, ma famille et, autant qu’il dépend de moi, la France, fille aînée de ce Coeur Sacré, et l’Eglise universelle notre mère ".
Le 24 novembre, le général de Sonis est nommé à la tête du 17e corps d’ armée dont font partie les 600 " Volontaires ". Ce spahi très pratiquant a pour emblème sur son fanion une croix héraldique blanche sur fond bleu mais souhaite un emblème religieux plus marqué. Le ler décembre au cours d’une rencontre avec Charette, ce dernier évoque une bannière portant l’image du Sacré-Coeur et relate son histoire.
Fin septembre, en pleine déroute militaire, deux Bourguignons, l’abbé Victor de Musy et son cousin Louis de Montagu se souviennent du message de Marguerite-Marie assurant que le Coeur de Jésus sauvera la France. Aussitôt l’abbé fait exécuter à ses frais un drapeau du Sacré-Coeur avec l’invocation : " Coeur de Jésus, sauvez la France ! " et demande son envoi au général Trochu, catholique, breton, ayant pour devise : " Avec l’aide de Dieu pour la Patrie ", Trochu, chef du gouvernement de la Défense nationale, assiégé dans Paris, ne peut rien recevoir. La bannière est alors adressée à. M.Dupont, à Tours, où réside la délégation gouvernementale, avec charge de la confier à Charette. CeIui-ci accepte et, alors que l’étendard a déjà touché les reliques de Marguerite-Marie, le fait toucher aux reliques de saint Martin et demande qu’on brode à l’envers cette requête : " Saint-Martin, patron de la France, priez pour nous. " Le 2 décembre 1870 de Sonis change d’avis, la bannière ne sera pas son fanion mais le drapeau du régiment Charette. Appelé au secours le 17e corps de Sonis arrive de Paray à marches forcées.
Le général de Sonis ne pouvant renvoyer les fuyards au combat s’écrie : " Puisque vous ne savez pas mourir pour la France, je vais dépIoyer devant vous le drapeau de l’honneur ! " II demande à Charette de lui apporter la bannière.Trois cents Zouaves suivent le général aux cris de : " Vive Pie IX ! Vive la France. " Cinq cents hommes se joignent à la troupe. L’Elan est irresistible, les Allemands reculent, les Zouaves atteignent Loigny, le drapeau du Sacré-Coeur flotte au milieu de la rue, en tête des assaillants, en pleine mitraille. Mais l’ennemi s’aperçoit de leur nombre, contre-attaque. Cent quatre-vingt-dix-huit Zouaves sont hors de combat, de Sonis et Charette blessés ; l’ étendard du Sacré-Coeur change cinq fois de mains, rouge de sang. Héroïsme inutile ? Le 4 Orléans est perdu, l’armée de la Loire désagrégée.
Pour la première fois dans l’ histoire de France le drapeau du Sacré-Coeur paraît sur un champ de bataille.
Le 17 janvier 1871, les Allemands sont aux portes de Laval . A Pontmain, à 50 kilomètres au nord, la Vierge apparaît à 18 h 45 à des enfants et leur dit :" Priez mes enfants, Dieu vous exaucera dans peu de temps, mon Fils se laisse toucher. " Le 17 janvier, Mgr David, évêque de Saint-Brieuc, adresse un voeu à Notre-Dame d’Espérance ; Mgr Fournier évêque de Nantes promet d’élever une église au Sacré-Coeur si la ville et le diocèse échappent à l’invasion. Le général von Schmidt reçoit l’ordre de se rendre sur la Seine au lieu de pénétrer dans Laval. Ce changement de tactique injustifié, arrêt de la poursuite d’anéantissement, fait dire à Von Schmidt : " C’est fini, nous n’irons pas plus loin, là-bas du côté de la Bretagne une Dame invisible nous a barré la route . "
La basilique du Sacré-Coeur de Montmartre.
Pendant la guerre de 1870 les voeux de constructions d’églises dédiées au Sacré-Coeur connaissent un développement parallèle aux consécrations de diocèses. Ces voeux sont souscrits par les villes au cas où elles seraient préservées de l’invasion allemande. Le 6 octobre 1870, Mgr Pie, évêque de Poitiers, explique en chaire : Le crime qui nous attire de si cruels châtiments c’est le crime public, le crime social, le crime national. Élevons nos coeurs vers le Coeur de Jésus pour lui faire une consécration personnelle, domestique, nationale.
Le 8 décembre 1870, deux Parisiens exilés à Poitiers, Alexandre Legentil et son beau-frère Hubert Rohault de Fleury, font le voeu de faire ériger une église dédiée au Sacré-Coeur à Paris. Mis en contact avec le P. Ramière directeur du " Messager du Sacré-Coeur de Jésus ", M. Legentil lance dans cette revue, en janvier 1871, l’idée qui deviendra le Voeu national. Le 18 janvier 1872, Mgr Guibert, archevêque de Paris, approuve le projet. Le 5 mars 1873, il adresse une lettre au ministre des Cultes demandant " qu’un temple, élevé pour rappeler la protection divine sur la France et particulièrement sur la Capitale, soit placé dans un lieu qui domine Paris et puisse être vu de tous les points de la cité ".
Le choix de Montmartre " Montagne des Martyrs " s’explique parce que " c’est là que saint Denis et ses compagnons de martyre ont répandu, avec leur sang, les premières semences de la foi chrétienne, qui ont fructifié si rapidement dans la Gaule septentrionale ".
Le 25 juillet 1873 le projet de loi tendant à déclarer d’utilité publique la construction d’une église sur la colline de Montmartre est adopté par 382 voix contre 138 à l’ Assemblée. Le 31 juillet, le pape Pie IX reconnaît que par ces faits la France implore la miséricorde de Dieu et lui confirme son ancien honneur de fille aînée de l’Eglise.
La construction de la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre réalisée par souscription correspond à une des demandes de Marguerite-Marie.
Les consécrations durant la période : 1872 -1914.
En 1873, le président Garcia Moreno obtient des évêques de l’Équateur la consécration de la nation au Sacré-Coeur. Députés et sénateurs consentent et décrètent : " La république de l’Équateur est consacrée au très saint Coeur de Jésus qui en est proclamé le patron et le protecteur. "
Le 16 juin 1875, Pie IX consacre l’univers chrétien au Sacré-Coeur.
A Montmartre la première pierre de la basilique est posée.
L’Année suivante le " Bulletin du Voeu national ", mensuel des protagonistes du Voeu, rappelle que quatre diocèses ne sont pas encore consacres. Aussitôt les évêques s’exécutent, tous les diocèses de France sont consacrés au Sacré-Coeur.
Montmartre devient grâce à Adèle Garnier (1838-1924) centre de rayonnement du Sacré-Coeur. Après des visions intérieures du Christ, Adèle le voit dans une grande ostie en 1869 qui lui demande de prier, expier, souffrir pour la France.
En 1889, à l’occasion des centenaires de 1689 et 1789, les consécrations au Sacré-Coeur de Montmartre se développent sous plusieurs formes.
En 1890 la Visitation de Paray-le-Monial reçoit un million et demi de consécrations de familles du monde entier, en 1893 Montmartre en comptabilise 2.226.048.
La formule de consécration, du cardinal Richard, archevêque de Paris, se référant à la " Déclaration des droits de l’homme " proclame les droits de l’Homme-Dieu sur le coeur, la famille et la société du fidèle qui se consacre.
La consécration des communes participe également à la campagne à partir de 1890. L’union des communes de France dirige le mouvement.
" Élus de nos citoyens, proclame le maire au nom de tous les conseillers municipaux, pour représenter la commune de * * *, nous vous consacrons, Coeur Sacré de Jésus, cette partie de la terre de France, et nous y arborons publiquement le Drapeau national avec le nouveau signe du salut. Nous reconnaissons vos droits souverains sur les citoyens de cette commune, sur leurs familles, sur tous leurs biens. Vous êtes désormais notre premier Maître ; vous nous inspirerez les actes de notre administration, et rien de contraire à vos saintes lois ne sera décrété en cette commune. En retour Coeur Sacré de Jésus, Coeur d’une inépuisable bonté, vous prendrez sous votre protection directe tous les intérêts de cette commune qui vous appartient, et vous en bénirez toutes les familles. Impuissants à faire à nos administrés tout le bien que nous désirerions, nous les confions à votre puissance et à votre amour. Tels sont nos engagements, Coeur Sacré de Jésus, soyez-en vous même gardien fidèle, et puissiez-vous recevoir ainsi en hommage toutes les communes du sol français. "
Mme Royer (1841-1924), bien que mariée et mère de quatre enfants, mène une vie intense et discrète de prières et de mortifications. Au cours de la guerre 1870-1871 elle reçoit des messages du ciel lui suggérant de fonder une association de pénitence, le Christ lui-même précise la demande lors d’un pèlerinage à Paray-le-Monial en 1873. En 1894, Mme Royer appuyée par Mgr Richard, archevêque de Paris, et le P.Lémius, supérieur du Sacré-Coeur, obtient du pape Léon XIIl, la proclamation du caractère universel et indépendant d’une " Archiconfrérie de Prière et de Pénitence de Montmartre ".
Composé essentiellement de femmes " le Sacré-Coeur de Mme Royer " complète l’apostolat des " Hommes de France " voués au Sacré-Coeur. Les deux oeuvres dépassent les 600.000 associes.
L’âge d’or du Sacré-Coeur atteint son apogée grâce à Marie du Divin Coeur, de l’ordre de Notre-Dame de Charité fondé à Caen en 1641 par Eudes. Elle demande au Pape, de la part du Christ, Ia consécration universelle du genre humain au Sacré-Coeur. Le pape Léon XIII y consent en 1899 et publie l’ encyclique " Annum Sacrum. " Le Saint-Père justifie ainsi la consécration : " Puisque le Sacré-Coeur est le symbole et l’image sensible de la charité infinie de Jésus-Christ qui nous pousse elle-même à l’aimer en retour, il est tout naturel de se consacrer à ce Coeur très saint. Agir ainsi n’est pas autre chose que se donner et se lier à Jésus-Christ, car tout honneur, tout hommage, toute marque de dévotion au divin Coeur se rapporte vraiment et proprement au Christ lui-même ". Et Léon XIII officialise un nouveau " Labarum " :" Lorsque l’Église était encore toute proche de ses origines, il fut montré à un jeune empereur un signe, qui lui prédisait une immédiate et très éclatante victoire. Aujourd’hui, apparaît à nos yeux un autre signe, signe très divin et de suprême espérance, à savoir : le Sacré-Coeur surmonté de la croix et tout brillant au milieu des flammes." C’est en lui qu’il faut placer toutes nos espérances, " c’est de lui, qu’il faut solliciter et attendre le salut des hommes.
La politique anti religieuse : 1871-1914.
L’année 1877 marque une coupure dans les relations Église-État.
La IIIe République semble solidement installée, le 4 mai Gambetta déclare la guerre en s’écriant : " Le cléricalisme voilà l’ennemi ".
En septembre le Convent du Grand-Orient de France décide de supprimer l’obligation de croire en Dieu et à l’immortalité de l’ âme.
Condamnée en 1884 par le pape Léon XIII dans l’encyclique " Humanum genus " la " secte des francs-maçons " engage au Convent de 1886 la lutte pour la séparation de l’Eglise et de l’État. La franc-maçonnerie devient " l’Eglise de la République ", surtout par le Grand-Orient de France dont Ies effectifs passent de 15.600 membres en 1880 à 30.000 en 1910. Sur 576 députés, 150 environ sont franc-maçons d’où leur influence décisive sur la politique française.On les retrouve présidents de la République: Félix Faure; présidents du Conseil : Ferry, Dupuy, Bourgeois, Brisson, Combes, Briand, Monis, Doumergue, Viviani, Painlevé; à l’Instruction publique : Bert, Bienvenu, Martin, Leygues, à la Guerre : André, Berteaux, Etienne.
La politique anticléricale s’attaque à tous les domaines, expulsion des congrégations, laïcisation de l’ enseignement (1882). Combes veut " briser la redoutable machine d’éducation instaurée au nom d’une liberté ennemie de la liberté ".
En 1904 se produit la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, en 1905 la séparation de l’Eglise et de l’Etat consacre une coupure douloureuse dans Ie peuple français.
L‘épuration de l’État face au " péril clérical " touche également l’armée dont les cadres sont souvent formés dans des " jésuitières ". Pour favoriser l’avancement des républicains le général André, ministre de la Guerre, décide d’établir un fichier consignant les opinions politiques des officiers. Le secrétariat du Grand-Orient rédige des fiches sur les opinions religieuses et politiques des officiers : " Va à la Messe ", " Fait faire la première communion à son fils ".
Le Sacré-Coeur en 1914-1918. L’apothéose du culte.
En 1914 le temple du Sacré-Coeur demandé par Marguerite-Marie et réalisé par le voeu national de 1870 est enfin achevé. Le 26 juillet à Lourdes, le cardinal Amette, archevêque de Paris, annonce la consécration du monument " qui aura lieu le 7 octobre, en la fête de la Bienheureuse Marguerite-Marie. " Le 28, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie, l’ancien monde s’effondre, une France nouvelle apparaît.
La mobilisation du Sacré-Coeur au service exclusif de la France dure toute la guerre.
Face aux échecs militaires français le chanoine Crépin rappelle les demandes de 1689 et constate qu’une seule a été réalisée, le temple de Montmartre qui a sauvé Paris de l’invasion.
Sur l’initiative de l’épiscopat, toutes les églises de France adressent de solennelles supplications pour la victoire des armées alliées, le 12 décembre à Paris en la basilique du Sacré-Coeur, le lendemain, fête de l’ Immaculée Conception, à Notre-Dame. Au cours de ces manifestations la France est consacrée au Sacré-Coeur de Jésus et au Sacré-Coeur de Marie, sans la participation des autorités civiles.
Le cardinal Amette, archevêque de Paris, dans une " lettre du 24 mai 1915 " , propose " la Consécration de la France au Sacré-Coeur ". Se référant à la consécration du genre humain au Sacré-Coeur de 1899, où le pape Léon XIII citait le Labarum, le Cardinal reprend la justification du symbole du drapeau du Sacré-Coeur. " nous le supplierons de donner la force à ceux qui combattent, la victoire à la France et aux nations qui luttent avec elle pour la cause du droit. ". Dans cette guerre juste, le Coeur de Jésus a déjà soutenu la France. " Nous aimons à lui attribuer d’avoir détourné soudain de Paris l’armée ennemie, le premier vendredi du mois de septembre , qu’il daigne continuer et achever bientôt son oeuvre de délivrance et de salut. "
A la demande du pape Benoît XV, le cardinal Amette encourage " une pratique très salutaire ", la consécration des Familles au Sacré-Coeur.
Le vendredi 11 juin 1915, fête du Coeur de Jésus, avec ses évêques, ses curés, en présence de députés et sénateurs catholiques, le cardinal consacre la France au Sacré-Coeur. La France officielle ne s’y est pas associée. La formule lue dans toutes les églises de France a pour titre " Amende honorable et consécration de la France au Sacré-Coeur de Jésus ".
La France est donc une fois de plus consacrée au Sacré-Coeur, mais par l’Eglise seule. Il n’y a toujours pas de consécration officielle.
Le P. Mathéo Crawley-Boevey est à l’origine de la relance des consécrations familiales au Sacré-Coeur. En 1907, ce prêtre de la congrégation des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie, condamné par la médecine se rend à Paray-le-Monial. A sa première visite à la chapelle de la Visitation il est subitement guéri. Le soir même le Sacré-Coeur lui révèle le plan de l’Intronisation et lui donne pour mission de travailler à la conquête du monde, famille par famille. Avec l’ accord du pape Pie X, le P. Mathéo se rend au Chili . En 1915, plus de trois millions de familles ont intronisé le Sacré-Coeur.
Le 27 avril 1915, le pape Benoit XV encourage l’apôtre de l’Intronisation.
Pendant cette guerre, des milliers de soldats " épinglent le drapeau du Sacré-Coeur, comme insigne individuel, sur leur capote et leur képi : pour eux c’est le nouveau labarum ".
Pour H. Odelin " la France catholique a donc répondu généreusement aux demandes du Sacré-Coeur. Et c’est pour cela qu’il l’a sauvée, au mois de Septembre 1914 où le flot de l’invasion des barbares le détourna de la capitale ". En effet, le vendredi 4 septembre 1914, Von Klück oblique à l’est de Paris.
Le cardinal Amette s’adressant au clergé et aux fidèles de son diocèse pour le mois et la fête du Sacré-Coeur rappelle que le Pape " exhorte à implorer du Coeur très aimant et très compatissant de Jésus le retour d’une paix durable ".
En juin 1917 des soldats alliés se rassemblent à Paray-le-Monial avec leurs étendards sur lesquels un Sacré-Coeur a été apposé. Ils se retrouvent le 15 pour une journée des soldats catholiques des armées alliées où ils renouvellent leur consécration à Montmartre.
La basilique de Montmartre devient ainsi le centre mondial d’expansion de la dévotion au Sacré-Coeur. Le cardinal Amette, dont le rôle est décisif, appose, l’emblème du Coeur de Jésus sur l’oriflamme de Saint-Denis et le reçoit à Montmartre, à défaut du drapeau national. Il décide d’ouvrir le procès de canonisation de la Bienheureuse Marguerite-Marie.
L’année 1917 correspond au point culminant de la mise en place du culte du Sacré-Coeur, il atteint sa maturité sinon sa finalité.
Depuis plus de deux siècles le culte a progressé en fonction des crises politiques et militaires de la France.
Dès avant 1914, la France est profondément déchristianisée, la société civile, se laïcise.
Dans une conférence faite à la Société des conférences, Mgr Baudrillat déclarait " Que le gouvernement français sous le nom de laïcité demeure fïdèle à son principe de neutralité religieuse, nous nous inclinons, mais que seul de tous les Gouvernements du monde, il considère comme une impossibilité de prononcer le nom de Dieu et de prier en quelque circonstance et de quelque façon que ce soit, qu’en d’autres termes, il se déclare officiellement athée, c’est la pierre de scandale pour nous et pour l’immense majorité des hommes en tous pays " (24 mars 1916).
En 1918, le cardinal Luçon, archevêque de Reims, ville martyre, écrit au président de la République : " Elle est impatiemment attendue et ardemment désirée la parole par laquelle ceux qui ont l’honneur de représenter la France devant Dieu et devant les nations, imploreraient officiellement l’assistance divine. C’est une humiliation pour notre pays qu’il soit le seul dont les chefs n’aient pas provoqué des prières nationales, à l’occasion de cette guerre qui tient dans l’angoisse le monde entier. Aucune raison valable ne peut justifier l’abstention dans laquelle on s’est obstinés jusqu’ici. "
Clémenceau répond : " Nous nous trouvons devant l’obstacle décisif de la loi. "
Au front le soldat vit comme un animal, les repères de la vie sociale n’existent plus, le fatalisme règne.
Dans un monde bouleversé par la guerre, le prêtre retrouve son rôle de missionnaire. Une loi anticléricale instaure " les curés sac au dos " en 1889. En 1914, 25.000 prêtres sont mobilisés et deviennent sous-officiers, officiers combattants, brancardiers ou infirmiers du service auxiliaire, aumôniers volontaires. Partageant la vie des soldats, l’ecclésiastique n’est plus différent des autres. Dans la fraternité des tranchées il est l’égal et l’ami de tous.
Le rôle de l’aumônier est décisif dans la vie religieuse au front, les hommes pratiquent à leur manière, certains ont oublié, lui il rassemble.
Le chapelet, que l’on peut porter sur soi comme une médaille, prend une place particulière. Les Amis du Sacré-Coeur recommandent " la Croisade du chapelet pour la France " instituée en 1899. Cette dévotion " chère au Coeur Immaculé de Marie " doit fléchir Dieu et arrêter la guerre. La dévotion à la Vierge est renforcée par les apparitions, de Fatima , de plus Marie symbolise la Mère, la mère du Christ et du soldat, la mère consolatrice.
Le côté miraculeux, merveilleux, n’est jamais absent de la dévotion mariale. La mort chrétienne du fils d’un sénateur anticlérical en démontre le mécanisme ( La Semaine religieuse de Toulouse, 21 février 1915), L’autre jour a été tué un officier de très grande valeur, le lieutenant d’artillerie X..., fils de l’ ancien sénateur X..., qui fut grand-maître de la maçonnerie. Or, savez-vous ce que I’on a trouve sur lui, à l’intérieur de sa tunique ? Une médaille de la Vierge et un de ses parents est venu demander pour lui, disant connaître ses sentiments, des obsèques religieuses. Ce lieutenant d’artillerie n’ est autre que le fils de l’ex-sénateur de l’ Ariège trop célèbre pour son anticléricalisme outrancier, M. Delpech. "
La fête de Jeanne d’ Arc fait partie intégrante de la piété au front. Symbole du nationalisme victorieux, de la nation catholique, Jeanne est aussi une sainte, patriote, jeune comme les soldats. Toutefois la dévotion au Sacré-Coeur tient une place prépondérante car elle se réfère au collectif et à l’individuel. Par l’Intronisation de la famille au Sacré-Coeeur le soldat reste intégré dans sa famille, il garde ses racines civiles et religieuses. Par la dévotion à la Passion, intégrée dans le culte du Sacré-Coeur, le soldat s’identifie au Christ souffrant.
A Montmartre " on ne suffit pas à bénir des médailles, médailles du scapulaire, images du Sacré-Coeur, insignes de foi que les combattants porteront ostensiblement.
La diffusion est partout : " Tous ont gardé l’image du Sacré-Coeur que les dames de la Croix-Rouge épinglèrent sur nos poitrines lors de notre passage à Paray -le-Monial. (La Croix d’Auvergne, 10 janvier 1915).
En France occupée, la police allemande s’inquiète de cette manifestation. A Cambrai, une broche aux trois couleurs représentant le Sacré-Coeur, avec une invocation pour la France, est donnée par un prisonnier à une personne pieuse. Aussitôt l’objet est reproduit à des milliers d’ exemplaires et distribué. La police allemande interdit de porter cet insigne sous peine d’une amende de 3.000 marks ou d’ emprisonnement jusqu’à cinq ans (Raconté par Mgr Chollet, évêque de Cambrai).
Le drapeau du Sacré-Coeur : 1914-1916.
Depuis la peste de Marseille la coutume s’ est établie de recourir au Sacré-Coeur aux heures difficiles de la vie individuelle, sociale, nationale.
Aussi dès août 1914 l’élan spontané se traduit, tant au front qu’à l’arrière, à la distribution de millions d’images, insignes, scapulaires, que les combattants mettent à leurs capotes, à leurs képis, sur leurs bérets.
Le " Pèlerin " du 1er novembre 1914 certifie la distribution de trois millions de carrés d’étoffe blanche avec Sacré-Coeur imprimé en rouge en deux mois.
L’oeuvre des Insignes du Sacré-Coeur (19 quai Tilsitt à Lyon). Distribue, au cours de la Grande guerre, douze millions d’insignes, 1.529.000 fanions, 375.000 Sacré-Coeur scapulaires, 32.425 dra-peaux. D’après le P. Perroy, jésuite, cela représente un fanion par soixante centimètres, un drapeau du Sacré-Coeur tous les trente mètres.
Les préfets interdisent le port d’insignes avec un emblème, l’exhibition en public de drapeaux tricolores revêtus d’emblèmes. Des personnes sont verbalisées. Depuis les arrêtés préfectoraux l’ insigne du Sacré-Coeur est épinglé sous la capote.
Le pape Benoît XV approuve l’oeuvre de l’Insigne du Sacré-Coeur et de la Consécration des familles. L’image du Sacré-Coeur, insigne ou fanion, " doit être portée non comme une amulette ou un porte-bonheur, mais avec des sentiments de foi. Notre-Seigneur a promis de bénir ceux qui honoreraient son image ".
1917 : Claire Ferchaud.
Claire Ferchaud (1896-1972), la Grande Guerre lui révèle l’agonie du Christ, le Coeur broyé par la France. A la fin de l’année 1916, les apparitions se multiplient.
Le 28 novembre, elle se trouve par la pensée dans la chambre du Président à genoux où une voix inconnue dit : " Raymond, Raymond ! Pourquoi me persécutes-tu ? " " Les temps sont mauvais sur la terre ; les coeurs sont broyés parfois, mais même dans l’épreuve on continue à m’outrager. Le mal se rallume dans les âmes, et c’est la France qui ouvre dans mon coeur cette blessure d’où s’échappent des flots de sang. Je veux tenter un dernier effort ; mon amour surpasse toute mesure : j’aime tant la France ; je veux la sauver... En mon nom, je te commande d’écrire au Chef de ceux qui gouvernent. L’image de mon Coeur qui doit sauver la France. C’est à eux que tu l’enverras. Si on la respecte, c’est le salut ; mais si on la foule aux pieds, ce sont les malédictions du Ciel qui tombent et écrasent tout Ie peupIe. Va droit à ceux qui vous gouvernent. Si tu savais comme la conscience de ces gens-là est agitée ! Je remue leurs coeurs ; à toi maintenant de me faire connaître. La chose te paraît grave, mais obéis ; c’est le salut de ta Patrie " (26-11-1916).
" Les gouvernants sentent que Dieu seul peut les sauver. Mais lâches qu’ils sont, ils vivent chacun dans leur milieu, cachant ces pensées au fond de leur coeur. C’est pourquoi tu vas écrire au Président lui montrant son devoir sur lequel tout le peuple doit se former. S’il ne se soumet pas à ce que je lui adresse par toi, de grands malheurs menacent sa personne et ses droits. Au contraire si, par lui, je suis gravé sur le drapeau français, dès le lendemain, il poursuivra l’ennemi qui fuira en désordre et le rejettera au-delà de la frontière. En peu de temps, c’ est la paix pour toutes les nations " (16-12-1916).
Le 1er janvier 1917 elle écrit une lettre au Président Poincaré. Le 16, M. De Baudry d’ Asson, député de Vendée, la remet en mains propres.
Une lettre ne suffit pas, la mission de Claire doit, s’effectuer par des contacts, des relations avec le haut clergé, la haute politique. Interrogée fin décembre à Poitiers, sur sa mission, par une commission de théologiens, Claire reçoit l’accord de son évêque, Mgr Humbrecht.
Le 27 février, Claire écrit une deuxième lettre au Président Poincaré rappelant que les " francs-maçons sont les bourreaux de son Coeur adorable. C’est à vous qu’il demande de régner sur la France officielle, c’est par vous qu’ il veut être peint sur le drapeau national ".
Le 1er mars, Jésus demande à Claire : " Va supplier le cardinal, demande-lui de passer cette nuit dans la basilique ; dis-lui qu’ensuite tu reprendras le chemin de ton village, emportant avec toi le grand secret national. "
Claire écrit le 6 au cardinal qui répond le 12 au chanoine Crépin, Supérieur de Montmartre, de faire accompagner la jeune fille toute la nuit, dans le plus grand secret.
La nuit d’Adoration Claire reçoit plusieurs secrets :la franc-maçonnerie trahit le secret de la France à l’ ennemi, elle sera châtiée ; " Je demande aux braves petits soldats de France, jusqu’aux généraux qui sont aux armées, de déployer le drapeau du Sacré-Coeur, malgré les défenses formelles qu’on fera autour d’eux, et que tous aillent de l’avant, je leur promets la victoire. " Claire transmet les messages au cardinal Amette le 18 mars y compris l’avertissement aux généraux.
Cette petite vendéenne, est reçue à l’Elysée le 21 mars par le Président Poincaré. L’audience n’apporte rien de positif, Poincaré se retranche derrière les lois laïques mais promet d’intervenir à la Chambre. En mai 1917 la situation militaire est catastrophique.
Claire Ferchaud, qui n’a décidément convaincu personne, s’adresse le 7 mai aux généraux de France, leur transmet le même message qu’à Poincaré.
" Mon général. C’est pour obéir à Dieu que j’ai l’honneur de faire connaître sa volonté à tous les généraux de France. Notre-Seigneur qui aime tant les Francs leur demande d’accomplir un acte de foi vis-à-vis de sa royauté divine et de réclamer près du chef de l’État que l’image du Sacré-Coeur, signe d’espérance et de salut, brille officiellement sur nos couleurs nationales. En récompense de cet hommage rendu à Dieu par nos vaillants défenseurs, le Sacré-Coeur leur promet le salut et la victoire sur tous nos ennemis. C’est aussi pour éviter une catastrophe que Dieu fait avertir nos généraux de la perte que risque notre pauvre pays de France, qui conduit par un gouvernement impie et dont la franc-maçonnerie dirige la France à sa perte par d’affreuses trahisons. Qu’on me permette d’ exposer l’avertissement que Notre-Seigneur dans sa bonté fait connaître à tous les bons Français. Je revis Notre-Seigneur pleurant sur la France. Il parla et il dit : Le peuple de France est à deux doigts de, sa perte : le traître vit au coeur de la France ; c’est la franc-maçonnerie qui, pour obtenir la perte éternelle de ce pays, d’accord avec l’Allemagne, a engendré cette guerre ; les trahisons se poursuivent, et si quelqu’un pouvait pénétrer dans l’intérieur de plusieurs cabinets, il en découvrirait les pièges. Sans moi, la France serait perdue, mais mon amour qui veut la vie de cette France arrête le fil électrique qui communique le secret de la France à l’ennemi. La franc-maçonnerie sera vaincue. De terribles châtiments fondront sur elle. Mais je demande aux braves petits soldats de France, jusqu’aux généraux qui sont aux armées, de déployer le drapeau du Sacré-Coeur malgré les défenses formelles qu’on fera autour d’eux, et que tous, officiers et soldats aillent de l’avant. Je leur promets la victoire. La franc-maçonnerie, le gouvernement actuel, seront châtiés ; Non Satan aura beau faire, jamais la France ne lui appartiendra. " Cette communication eut lieu le 16 mars 1917.
Cette lettre fut écrite à quinze exemplaires et envoyée aux géneraux suivants :
Lyautey, ministre de la Guerre dans le précédent ministère (Briand) ; Pétain, généralissime ; Micheler, commandant la lre armée ; Guillaumat, commandant la 2e armée ; Humbert, commandant la 3e armée ; Gouraud, commandant la 4e armée ; Passaga, commandant la 5e armée ; Maistre, commandant la 6e armée ; Boissoudy, commandant la 7e armée ; Gérard, commandant la 8e armée ; Duchesne, commandant la 10e armée ; et aussi les généraux : de Castelnau, Nivelle, Fayolle, et Foch.
1917 : La bataille du drapeau.
A Montmartre le Bulletin (mai 1917, p. 83), évoque la " vocation de la France ". " Chaque fois qu’elle se trouve sur le Calvaire, invariablement elle montre aux autres le Sacré-Coeur. 1793 ! 1870 ! 1914 ! Les treize millions d’ insignes du Sacré-Coeur et les Cinq cent mille drapeaux de Notre-Seigneur flottent au souffle de la mitraille. L’exemple est contagieux, l’Europe imite, émerveillée.
Le rayonnement s’étend aux autres fronts. Les comités distribuent par centaines de milliers les insignes.
Il est donc logique d’internationaliser la dévotion au Sacré-Coeur dans cette Grande Guerre et le 26 mars à Paray-le-Monial, la bénédiction solennelle des drapeaux alliés relance le grand espoir du drapeau national. France, Angleterre, Belgique, Italie, Russie, Serbie, Roumanie sont réunies, drapeaux écussonnés du Sacré-Coeur de Jésus, dans la chapelle de la Visitation, au-dessus des reliques de Marguerite-Marie.
Le cardinal Amette prononce, en la basilique, la consécration des soldats catholiques des armées alliées.
En juin 1917, période des mutineries, du risque de rupture des armées françaises et de l’arrière, la dévotion au Sacré-Coeur atteint son apogée même si la bataille du drapeau n’ aboutit pas.
Dès qu’elle est connue, l’apparition de Notre-Dame à Fatima, au Portugal catholique, allié de la France, crédibilise et renforce la dévotion au Sacré-Coeur par le culte marial.
Les États-Unis, le 4 octobre 1914, et l’Angleterre, le 3 janvier 1915, organisent une journée nationale de prières. En France les signes extérieurs de la religion ne sont pas tolérés.
A Lyon la police saisit, à la librairie catholique de Mme Veuve Paquet, les insignes du Sacré-Coeur exposés dans le magasin avec défense d’en exposer d’autres en étalage.
Le 1er juin, les préfets interdisent l’apposition de tout emblème sur le drapeau national et menacent de poursuite les contrevenants.
Le 7 juin, le ministre de la Guerre, Painlevé, interdit par circulaire la consécration des soldats au Sacré-Coeur.
Le 6 août, une Note aux Armées montre l’ampleur des emblèmes religieux au front :
Grand Quartier Général des Armées du Nord et du Nord-Est, Etat Major 1er Bureau N° 5796 (Confidentiel). Le 6août l917.
Note pour les Armées
A la date du 29 juillet sous le N° 8748 D, le ministre écrit ce qui suit : " à la date du 21 juillet 1917, comme suite à ma lettre N° 7296 D, du 18, vous avez prescrit aux armées d’observer une stricte neutralité religieuse et d’interdire en particulier les emblèmes apparents portés sur l’uniforme et les fanions ou bannières arborant des images religieuses ".
M. Le ministre de l’ Intérieur (Malvy), me signale qu’une propagande cléricale active est exercée actuellement sous diverses formes auprès des soldats du front.
Certaines ligues font confectionner par centaines de mille des fanions et des étendards, du Sacré-Coeur, destinés aux troupes, que l’" Oeuvre de l’Insigne du Sacré-Coeur " expédie gratuitement par colis postaux, portant cette mention " linge " ou " conserves ", aux aumôniers militaires, aux prêtres mobilisés, et à certains officiers.
D’autre part, plusieurs officiers, sur la recommandation d’autorité religieuses, s’efforceraient de consacrer leur unité au Sacré-Coeur, par un acte qui constitue une violation flagrante de la liberté de conscience de leurs hommes et de la neutralité religieuse de l’État français.
Il me sera rendu compte de toutes les indications qui seraient relevées à ce sujet.
Paul Painlevé. (ministre de la Guerre).
Eclaboussé par le scandale du " Bonnet Rouge " journal vendu à l’Allemagne, Malvy démissionne le 31 août.
1918 : L’ apaisement.
La dévotion au Sacré-Coeur de Jésus trouve son épanouissement dans la canonisation de la Bienheureuse Marguerite-Marie.
Par cet acte, le pape Benoît XV clôt le cheminement d’un culte essentiellement français, échelonné sur un peu plus de deux cents ans.
L’ année 1918 retrouve toute la ferveur du début de la guerre. La victoire, certaine à partir du 17 juillet, conforte les milieux catholiques de l’utilité des dévotions du Sacré-Coeur.
IIIe partie Le Sacré-Coeur à la Grande Guerre.
Des généraux pratiquants.
Édouard de Curières de Castelnau fait des études secondaires au collège Saint-Gabriel, tenu par des jésuites, à Saint-Affrique. Castelnau prend dans son entourage son neveu Pierre, jésuite, comme secrétaire et chapelain. Commandant la IIe Armée en 1914 il sauve le Grand Couronné de Nancy. Le 17 novembre 1918, il fait poser un ex-voto à Notre-Dame de Bon Secours à Nancy, avec pour inscription : " A Notre-Dame de Bon Secours,éternelle gratitude. Nisi Dominus custodierit civitatem. Général de Castelnau, 12 septembre 1914. "
Fayolle, dans ses " Cahiers secrets de la Grande Guerre ", évoque sa foi, invoque Notre-Dame de Lourdes, Jeanne d’ Arc, Notre-Dame de la Victoire. Chaque dimanche il se rend à la messe pour retrouver Dieu. Le 1er janvier 1917, Fayolle met l’année nouvelle " sous la protection de la Vierge miraculeuse ". Le 15 juin, en pleines mutineries, il écrit : " Fête du Sacré-Coeur qui sauvera ce pays et moi aussi. " Le militaire conclut le 11 novembre 1918 :
" Les hommes d’armes batailleront, Dieu donnera la victoire, disait Jeanne d’Arc. Ainsi fut fait et Dieu nous a donné une fois de plus la victoire. Le peuple de France comprendra-t-il que c’est bien Dieu qui l’a sauvé une nouvelle fois ? Oui car il ne nous a pas sauvés pour nous laisser périr ensuite. "
Foch, élève des jésuites, connu pour sa foi et sa piété, son prestige militaire, n’a jamais livré le secret de sa consécration. Le chanoine Crépin écrit : " Il y a à Montmartre, depuis le 3 août, un précieux autographe qui reposera sous le pied du grand ostensoir pendant la durée de la guerre : consécration d’une partie de notre armée par l’un des ses chefs les plus qualifiés. Foch commande le 20e corps d’armée de Nancy, sous les ordres de Castelnau ; sa dévotion au Sacré-Coeur ne fait aucun doute, l’autographe a dû être envoyé par la poste.
Foch représente l’exemple type du soldat catholique. En 1918, Clemenceau arrive à l’improviste au quartier général de Bonbon (près de Melun), demande le général. On lui répond qu’il est à la messe mais va être prévenu. Clémenceau répond : " Ne le dérangez pas, cela lui a trop bien réussi. J’ attendrai ! "
L’abbé Paul Noyer, curé de Bonbon, écrit le 8 juillet 1918 une lettre à Foch : " Mon Généralissime, avant de quitter bientôt peut-être ma paroisse, veuillez, je vous prie, agenouillé devant une statue du Sacré-Coeur de Jésus, Roi de France, lui consacrer toutes vos armées françaises. Demandez-lui avec supplication une prochaine et décisive victoire et que la France reste triomphante tant et surtout par ses Traités que par ses glorieux succès. Veuillez agréer, mon Généralissime, les très humbles sentiments de votre serviteur entièrement dévoué, Paul Noyer, Curé de Bonbon."
La lettre est remise le jour même.
Le 16 juillet, Foch rend visite au curé : " Monsieur le Curé, je viens vous remercier, j’ai fait tout ce que vous m’avez demandé et même plus. "
Le 17 octobre, Foch fait ses adieux à son curé, lui explique qu’il a consacré les armées au Sacré-Coeur,avec deux ou trois personnes devant la grande statue du Sacré-Coeur, près du maître-autel, au fond de l’église à droite.
Le P.Perroy jésuite de l’Oeuvre de l’Insigne du Sacré-Coeur, qui le 17 novembre 1918, du haut de la chaire de la cathédrale de Saint-Vincent de Chalon révèle :" A genoux devant le Sacré-Coeur, le général Foch a demandé au Sacré-Coeur, en lui consacrant les armées dont il avait la charge : premièrement une victoire prompte et définitive, deuxièmement une paix glorieuse pour la France. "
" Cette victoire nous la devons à Dieu et c’est pour le remercier que je suis venu ici ", explique Foch au chanoine Schenékelé lors de sa visite à la cathédrale de Strasbourg.
Le 15 juillet la dernière attaque allemande en Champagne échoue, l’Allemagne a perdu la guerre.
La bataille de la Marne, 5-8 septembre 1914.
L’aspect miraculeux de la bataille est très vite vivace côté français.
Après l’échec du plan Joffre en Lorraine, l’échec de la bataille des frontières, l’invasion et la retraite, l’armée française recule, mais quel facteur pourrait la sauver du désastre ?
La Ière Armée von Klück, chargée d’investir Paris, délaisse la ville pour participer à la curée des armées adverses. Le demi-tour des Français le 6 septembre, brusque, inattendu, frappe de stupeur les Allemands. Il faut se battre, or les homme sont sous-alimentés, épuisés, les pieds meurtris. Le trou entre les Ière et IIème Armées atteint 30 kilomètres, il faut ressouder les armées allemandes sur l’Aisne, le 9 l’ordre de repli général est donné. La vérité historique est simple, von Klück trop sûr de son armée a pris l’initiative de la poursuite de forces qu’il estimait en déroute.
Le journal catholique, " Le Courrier de la Manche " du dimanche 14 janvier 1917 publie un article citant des sources allemandes dignes de foi puisqu’ il s’agit d’un prêtre et de deux officiers. La Vierge a barré la route de Paris et 100.000 hommes l’ont vue, mais doivent se taire sous peine d’être fusillés. Le récit explicite bien le retournement inespéré de la bataille de la Marne qui tient du miracle puisqu’il se produit entre le premier vendredi de septembre et l’octave de la Nativité de la Vierge Marie.
L’article " Le Sacré-Coeur de Jésus signe de la victoire " rappelle la vocation de la basilique dans la protection de Paris et de la France. Nous rendrons grâce au Sacré-Coeur de Jésus, à la Très Sainte Vierge Marie et à sainte Geneviève, notre patronne, à l’ intervention desquels nous attribuons à bon droit d’ avoir donné le succès à l’énergie clairvoyante de nos généraux et à l’héroïsme de nos soldats, et d’avoir ainsi arrêté les envahisseurs déjà parvenus presque aux portes de Paris. Ce fut, en effet, le premier vendredi de ce mois de septembre que l’armée allemande se détourna soudain de la capitale pour aller se faire battre sur les bords de la Marne.
Oui, Montmartre a été la citadelle inexpugnable qui a protégé Paris et arrêté les barbares. Le pape Saint Pie X l’avait en quelque sorte prophétisé lorsque, recevant le 10 avril 1910 les pèlerins français, il leur avait fit ces paroles souvent rappelées dans le Bulletin du Voeu National : " Ne perdez jamais confiance dans la Providence mais priez le Sacré-Coeur de Jésus qui garde la France du haut de Montmartre. "
Le 3 janvier 1915 " Un prêtre allemand blessé et fait prisonnier à la bataille de la Marne, est mort dans une ambulance française où se trouvaient des religieuses. Il leur dit : < Comme soldat, je devrais garder le silence, comme prêtre, je crois devoir dire ce que j’ai vu. Pendant la bataille de la Marne, nous étions surpris d’ être refoulés car nous étions légion, comparés aux Français et nous comptions bien arriver à Paris. Mais nous vîmes la Sainte Vierge toute habillée de blanc avec une ceinture bleue, inclinée vers Paris... elle nous tournait le dos et de la main droite, semblait nous repousser... Cela je l’ai vu et un grand nombre des nôtres aussi. Dans les jours où ce prêtre allemand parlait ainsi, deux officiers allemands, prisonniers, comme lui, et blessés, entraient dans une ambulance française de la Croix-Rouge. Une dame infirmière parlant allemand les accompagne. Quand ils entrèrent dans une salle où se trouvait une statue de Notre-Dame de Lourdes, ils se regardèrent et dirent : " Oh ! La Vierge de la Marne ! "
La meilleure preuve d’ authenticité du récit qui précède est le suivant, qui se rapporte au même fait : une religieuse qui soigne les blessés à Issy-les-Moulineaux, écrit : " C’était après la bataille de la Marne, parmi les blessés soignés à l’ambulance d’Issy, se trouvait un Allemand très grièvement atteint et jugé perdu. Grâce aux soins qui lui furent prodigués, il vécut encore plus d’un mois, il était catholique et témoignait de grands sentiments de foi. Les infirmiers étaient tous prêtres. Il reçut les secours de la religion et ne savait comment témoigner sa gratitude ; il disait souvent : " Je voudrais faire quelque chose pour vous remercier. " Enfin, le jour où il reçut l’ extrême-onction, il dit aux infirmiers : " Vous m’avez soigné avec beaucoup de charité, je veux faire quelque chose pour vous en vous racontant ce qui n’est pas à notre avantage, mais qui vous fera plaisir. Je paierai ainsi un peu de ma dette.
" Si j’ étais sur le front, je serais fusillé, car défense a été faite de raconter, sous peine de mort ce que je vais vous dire : vous avez été étonnés de notre recul si subit quand nous sommes arrivés aux portes de Paris ." Nous n’avons pas pu aller plus loin, une Vierge se tenait devant nous, les bras étendus, nous poussant chaque fois que nous avions l’ordre d’avancer. Pendant plusieurs jours nous ne savions pas si c’était une de vos saintes nationales, Geneviève ou Jeanne d’ Arc. Après, nous avons compris que c’était la Sainte Vierge qui nous clouait sur place. Le 8 septembre, Elle nous repoussa avec tant de force, que tous, comme un seul Homme, nous nous sommes enfuis. Ce que je vous dis, vous l’entendrez sans doute redire plus tard, car nous sommes peut-être 100.000 hommes qui l’avons vu. "
(Le courrier de la Manche, du dimanche 14 janvier 1917.)
Récits anonymes du Sacré Coeur au front.
Nombreux sont les récits relatifs aux bienfaits du Sacré-Coeur pour les soldats aux tranchées.
Le livre de l’abbé Charles Marcault, " Réalisons le Message du Sacré-Coeur ", paru en 1934 comporte un chapitre consacré à la " Merveilleuse protection accordée par le Sacré-Coeur aux porteurs de fanions dans les combats ". La source des témoignages a pour origine le Père Perroy et l’Oeuvre de l’Insigne du Sacré-Coeur ou des récits confiés à Marcault. Le Sacré-Coeur protège le soldat, quelle que soit la situation.
Les archives de Montmartre classées sous le titre " Culte du Sacré-Coeur au front pendant la guerre " (cotes Ol-04), les archives sont des extraits de lettres du front. Les archives du Sacré-Coeur de Montmartre ont la même origine que les extraits de Marcault," l’Oeuvre de l’Insigne du Sacré-Coeur " à Lyon ; les récits se complètent.
La dévotion au Sacré-Coeur égale sinon dépasse la ferveur à l’arrière. Au front où sa vie est en danger, le soldat catholique affirme sa foi. Face à la mort la pratique religieuse se moque des interdits. " Nos soldats portent les insignes ostensiblement sur la poitrine ou sur le képi, nos officiers, pour la plupart, donnent l’exemple. Quelle belle et riche idée d’avoir inventé ces insignes ! Vous ne pourriez croire combien tous sont heureux de s’en parer comme de la plus belle décoration ". Caporal brancardier.
Face à ce raz de marée que constitue la dévotion extérieure au Sacré-Coeur, les autorités républicaines, en particulier Malvy ministre de l’Intérieur, rappellent la neutralité religieuse de l’État. L’interdiction de porter des emblèmes religieux ne casse pas le mouvement mais l’amène à être plus discret. " Nos soldats ont été obligés comme les officiers de faire disparaître du képi ou de la capote les petits insignes du Sacré-Coeur. Ils les portent à l’intérieur duvêtement ou plus fréquemment à leur bracelet de montre, où il est plus souvent visible. Ces misères n’auront qu’un temps. Je suis convaincu que l’heure n’est pas si éloignée que l’on pourrait croire, ou ceux qui auront survécu auront toute liberté d’honorer le Sacré-Coeur et où la France elle-même, lui apportera un hommage officiel. "
Le rôle de l’aumônier, directeur de conscience, confident, rassembleur, semble décisif dans l’extension du mouvement. Le " curé sac à dos" n’est plus un " planqué " mais à ce titre la République en fait un poilu comme les autres. Quelle que soit sa fonction au Front, le prêtre appartient " à ceux qui prient " même si la République anticléricale les classe dans " ceux qui se battent ". Le prêtre au front reste un homme d’Eglise, mais la boue des tranchées le désacralise, l’intègre et dans cette vie de catacombes lui permet de redevenir le missionnaire du Christ.
" J’ai reçu votre lettre ainsi que le paquet, je vous remercie de ce beau drapeau, c’est en effet le modèle des drapeaux de l’armée. Le jour de son arrivée il a servi à une manifestation à l’église. L... faisait ses Pâques et au salut chanté par la musique du régiment, nous avons fixé à la place d’honneur l’étendard qui venait d’arriver. Je partage, avec vous, le désir de voir flotter ce drapeau sur le champ de bataille... vous pouvez être certain que je ferai pour cela tout ce qui est possible". Aumônier militaire.
Les officiers jouent un rôle important en tolérant la dévotion au Sacré-Coeur quand ils ne s’y associent pas. " Après le triomphe, en tête de notre régiment, nous le disposons pieusement dans notre petite chapelle de Jeanne d’Arc que nous venons de créer au milieu de nos gourbis. Que le Sacré-Coeur nous garde et nous donne la victoire ! ". Le Col. X... du X...
Parmi les nombreux récits anonymes, certains peuvent retrouver leur identité. Deux récits se complètent, celui du " Général de X... " : J’ ai bien reçu le colis que les ouvrières lyonnaises ont brodé en souvenir de mon enfant chéri, glorieusement tombé pour la France. " Et celui d’un " Aumônier " : " Mon général de... est le général de... En voilà un brave qui n’a peur de rien et qui communie tous les jours quand il peut : Il a déjà deux fils de tués. Le général s’appelle De Castelnau, le premier fils est tué le 21 août 1914, le deuxième le 7 septembre 1915. Le troisième est blessé et fait prisonnier le 10 septembre 1915, le quatrième tué le 2 octobre 1915.
La consécration des soldats.
Cet acte solennel rencontre des difficultés en raison de la vie en première ligne. La préparation se fait par une sorte de retraite avec nombreuses confessions et communions. Chacun s’engage à mener une vie chrétienne, à réinstaller le Christ au foyer. Femme et enfants sont avertis de l’acte et de la promesse par une feuille signée.
Le plus souvent la consécration se fait en groupe, en unités, associée au drapeau du Sacré-Coeur.
"Dimanche 31 mai, le drapeau a été béni à l’infirmerie par un des aumôniers de la division, la cérémonie s’est faite très simplement ; notre capitaine était présent. A l’issue de la messe, Monsieur l’aumônier a béni le drapeau que lui présentait le plus ancien sous-officier de la Cie, puis, avec l’autorisation du capitaine, au nom de nos camarades absents, on a lu la consécration de la compagnie au Sacré-Coeur".
Après la guerre, M. Du Plessis de Grenédan, doyen de la faculté catholique de droit d’Angers, écrit : " Depuis le début de la guerre jusqu’à ma démobilisation, le 25 février 1919, j’ ai constamment arboré, soit au cantonnement, soit dans ma chambre, soit en ligne, dans mon poste de commandement, le drapeau du Sacré-Coeur, contre la paroi de la pièce ou de l’abri, bien en évidence. Quand je logeais à la belle étoile, il était, soit dans ma musette, soit au bout d’un bâton fiché dans le sol. J’ai consacré deux fois, en 1917 et en 1918, mon bataillon au Sacré-Coeur, le jour de sa fête. "
La consécration du fort de Vaux, un bâtiment, montre qu’un lieu considéré comme sanctuaire peut bénéficier de ce rite. Henri Bordeaux dans la Délivrance de Verdun, p. 116, évoque " la première messe de Vaux : quel souvenir inoubliable pour les assistants ! " sans parler du Sacré-Coeur.
Histoires de drapeaux du Sacré-Coeur.
Charles Marchant (1880-1919) choisit la carrière des armes à Saint-Cyr en 1901. Né 26 juillet 1917, Marchant prend le commandement du 17e Bataillon de Chasseurs Alpins. Sa dévotion au Sacré-Coeur s’affirme dans un petit drapeau frangé d’or visible au musée des Chasseurs à Vincennes, une sauvegarde avec épinglette.
Le récit de l’aumônier Lenoir, (Georges Guitton, Louis Lenoir, Aumônier des Marsouins,Édition de Gigorg, 1921, p. 174.) porte un précieux renseignement concernant le général Henri Gouraud (1867-1946). Quand, après le repos de Hans, le 4e reparut, le 15 avril, au Fortin, il y apportait un drapeau du Sacré-Coeur, offert au régiment par la mère du général Gouraud et béni la veille par l’aumônier. "
Le 116e R.I. appartient à la 22e D.I. jusqu’en octobre 1917, puis passe à la 170e D.I. Le régiment est consacré par son colonel Charles-René d’Arnoux, le lundi 26 mars 1917 et, en 1918, auprès de l’évêque de Luçon, en juin. (Claude Mouton, dans Au plus fort de la tourmente, parle de trois attestations comptant cent seize signatures, p. 88-89.)
Le récit du colonel de Gouvello, rédigé après la guerre, (Jacques Péricard, Le soldat de Verdun, Éd. Baudillière,p. 228 et suiv.) explique les conséquences de l’attaque allemande du 1er juin : " Le 8 juin, les Allemands prononcèrent une grosse attaque sur le front de notre division, la 151e, et de la 21e division. La ferme de Thiaumont tomba aux mains de l’ennemi et, dans le courant de l’après-midi, je reçus de mon commandant de brigade le message suivant: " La ferme de Thiaumont est prise, je suis obligé de reporter mon P.C. en arrière, et faites, l’impossible pour contenir l’ ennemi. " C’est le cas où jamais d’arborer mon drapeau du Sacré-Coeur. Allez le prendre et fixez-le à une perche au-dessus de mon P.C. pour que tous les hommes du régiment le voient. "
Pendant la Grande Guerre la dévotion au Sacré-Coeur se pratique dans toutes les armes, terre, air, mer.
Dans les archives du Sacré-Coeur de Montmartre un document de la 1re Armée navale contient deux lettres du 29 décembre 1915.
1re Armée navale, 29 décembre 1915. Le commandant en chef a voulu lui-même accuser réception à votre Comité du pieux et précieux envoi fait à l’armée navale. L’amiral me fait le grand honneur de me confier le dépôt de ce magnifique drapeau qui fait l’admiration de tous ceux qui l’ont vu. Nous allons organiser une grande fête au cours de laquelle cet emblème de notre foi et de notre patriotisme sera solennellement béni : il sera notre centre de ralliement dans toutes nos cérémonies religieuses. Et je le garderai à la disposition du chef de notre Flotte pour l’arborer au moment du combat, et dans toute autre circonstance qu’il jugera favorable. R...Aumônier de la 1ère Armée navale.
29 décembre 1915. J’ai reçu hier et remis de suite à notre aumônier le beau drapeau que vous avez eu la pensée touchante d’offrir à l’armée navale. Il ne peut que nous porter bonheur, et je l’accepte avec toute la gratitude que mérite un tel témoignage de l’intérêt que votre Comité porte à la Marine. D... L’ amiral D... dont parle l’aumônier est le vice-amiral Dartige du Fournet.
Conclusion.
Il faut attendre le XVIIe siècle pour que le culte du Sacré-Coeur trouve son autonomie. Auparavant le culte rendu au Coeur de Marie ne se distinguait pas du culte rendu au Coeur de Jésus. Jean Eudes associe les deux cultes de la Mère et du Fils. Puis Sainte Marguerite-Marie Alacoque promeut le culte du Sacré-Coeur qui devient culte public.
Au moment où l’Église catholique se heurte au jansénisme, au gallicanisme, l’apparition de ce nouveau culte insuffle un nouvel esprit, un retour aux sources.
La royauté de droit divin ne réagit pas, Louis XIV qu’il ait ou non reçu le message, fait rédiger la déclaration des Quatre Articles, étend la Régale pour renforcer son pouvoir absolu.
La royauté pratique une certaine dévotion au Sacré-Coeur, " traditionnelle " puisque Jésus est le Fils de Dieu et le Fils de Marie mais non particulière, spécifique. Église et royauté ne profitent pas de cette nouvelle dévotion pour relancer la christianisation du peuple français.
Il faut attendre le milieu du XIXe siècle et le Second Empire pour que le culte du Sacré-Coeur connaisse un essor important. La fête du Sacré-Coeur et les consécrations, églises, diocèses, communes, consécration universelle, tentent de conquérir ou reconquérir une population en pleine mutation sociale, industrielle. La consécration des familles symbolise un retour à une pratique plus personnelle que publique.
La guerre de 1870-1871 opère une cassure et une relance du message de 1689. Dés 1873 la construction de la basilique de Montmartre, reconnue d’utilité publique, payée par souscription, représente bien le temple élevé au Sacré-Coeur. A partir de 1890, nombre d’associations catholiques ont un drapeau écussonné au Sacré-Coeur. Paradoxalement le culte du Sacré-Coeur se développe sous la IIIe République.
La dévotion au Sacré-Coeur connaît son apothéose en 1917. Insignes, fanions, drapeaux circulent au front par millions; l’Eglise développe l’Intronisation du Sacré-Coeur dans les familles, autre forme de consécration.
En 1919, la France reconstruit ses régions dévastées, pleure ses morts. Une nouvelle France apparaît, vainqueur au prix d’un holocauste, en état de choc, souhaitant la " der des der ". Les préoccupations ne sont pas spirituelles, encore moins religieuses, il faut gagner la paix, construire une société civile plus juste. La paix religieuse s’instaure, les catholiques ont bien mérité de la patrie, même les prêtres sont morts au champ d’honneur.
Aussi la basilique de Montmartre fête-t-elle sa consécration du 16 au 19 octobre 1919, consécration interrompue par la guerre. Le cantique chanté le jour de la dédicace s’intitule " Merci mon Dieu ! Le Sacré-Coeur et la France ". La France élue de Dieu est sauvée par le Christ qui lui a donné la victoire comme jadis à Clovis et Jeanne d’Arc. Cette cérémonie nationale, qui rassemble l’ épiscopat français et le légat du Pape, on note l’absence des autorités civiles.
Marguerite-Marie Alacoque et Jeanne d’Arc sont canonisées le 13 mai 1920 par le pape Benoît XV. Le patriotisme religieux français reconnu par le Pape, confirme le rôle de la dévotion au Sacré-Coeur, y compris le drapeau par les références à ces saintes, et donne une impulsion nouvelle au culte en développant le pèlerinage de Paray-le-Monial.
Le successeur du pape Benoît XV, Pie XI, reprend dans son encyclique " Miserentissimus Redemptor " la vraie dévotion au Sacré-Coeur.
Entre les deux guerres, dans la foulée de la Victoire, les consécrations au Sacré-Coeur continuent, liées à la fête du Christ-Roi. Cette vie dynamique se développe à Montmartre face aux périls idéologiques.
La question du drapeau reparaît en 1940, pendant la " drôle de guerre ".
Mgr Flans, recteur de la Basilique, écrit dans la revue " Montmartre " de mars 1940 : << C’est comme pendant la guerre de 1914-1918, de toutes parts nous parviennent des invitations à lancer un mouvement en faveur de l’apposition du Sacré-Coeur sur le drapeau national.
Le 19 mai, à Notre-Dame de Paris, le gouvernement assiste à une cérémonie, une procession des reliques de sainte Geneviève se déroule à Paris. Cette piété publique, officielle, impensable vingt ans plus tôt, trouve son apogée le samedi 1er juin 1940 à Montmartre. Le cardinal Suhard, nouvel archevêque de Paris, consacre Paris et la France aux Sacrés-Coeurs de Jésus et Marie sur demande du gouvernement. Le chroniqueur de " Paris Soir " du 2 juin l940, écrit ::< Au premier rang des 50.000 fidèles, on reconnaissait Mme Lebrun, les ministres Sarraut, Marin, Ybarnegaray, Rollin, Héraud et Robert Schumann, les généraux Gouraud et de Castelnau. ". Le Maréchal Pétain, vice-président du Conseil, (cosignataire avec Malvy de la " Note aux armées " d’août 1917) n’assiste pas à la cérémonie.
Le Sacré-Coeur est entré dans l’Histoire de France comme un cheval de Troie. A chaque période dramatique certaines dévotions reviennent d’actualité. En ce qui concerne la Grande Guerre le temple existait, les consécrations ont toutes été faites, familles, patrie, mais par les autorités religieuses seules, la fête du Sacré-Coeur s’est bien déroulée le vendredi après l’octave, le drapeau du Sacré-Coeur a bien été déployé sur le champ de bataille, béni par les aumôniers. Par rapport au message de Marguerite-Marie il ne manque que la participation des autorités civiles. La République Française, neutre en affaires religieuses depuis 1905, gardera cette ligne de conduite.
Depuis la Seconde Guerre mondiale la dévotion au Sacré-Coeur rencontre la même foi même si elle paraît plus discrète. La pratique du Sacre-Coeur perdure dans la foi catholique et le Sacré-Coeur de Montmartre compte environ 10.000 adorateurs.
Sources.
Archives du Service Historique de l’Armée de Terre (S.H.A.T.) à Vincennes.
- 3e Hussards : 25 N 596
- 10e D.C.P. 24 N 3240 (10e Dragons)
- 3e B.T.C.A : 26 N 836
- 4e R.M.Z.T. : 25 N 514
-116e R.I : 25 N 108
-167e R.I. : 25 N 185
- 410e RI. : 25 N 351
Les Armées Françaises dans la Grande Guerre
Musée des Chasseurs à Vincennes
Archives de l’archevêché de Paris
Archives de l’archevêché de Lyon
Archives départementales, section moderne, du Rhône
Archives du Sacré-Coeur de Montmartre :
- cote 01 -04 : culte du Sacré-Coeur au front pendant la guerre 1914-1918 et la campagne de France (1939-1940). Lettres et listes de consécrations.
- cote 07-14 : dons pour l’inscription au livre d’or des soldats morts pour la France (1914-1918).
Bibliographie.
ALET V., La France et le Sacré-Coeur, Paris, Dumoulin et Cie, 1892.
BECKER A., La guerre et la foi, de la mort à la mémoire, 1914-année trente, Armand-Colin, 1994.
BENOIST J., Le Sacré-Coeur de Montmartre, thèse, Paris IV, 1991 ; et Éditions Ouvrières, 2 vol.,1992.
B0ISSARD, vie et Message de Mme Royer, Lethellieux,1960.
BRUGERETTE, Le prêtre français et la société contemporaine, 1908-1936, Lethellieux, 1938.
CHALINE N.-J., Des catholiques normands sous la IIIe République, Horvath, 1985.
Sous la direction de, Chrétiens dans la Première Guerre mondiale, les Éditions du Cerf, 1993.
CHEVALLIER G., La peur, P.U.F., 1930.
D’ARNOUX J., Paroles d’un revenant, Plon, 1925.
DARTIGE DU FOURNET, Souvenir de guerre d’un amiral, 1914-1916, Plon.
DORGELÈS R., Les Croix de bois, Albin-Michel, 1919.
L’Écho de l’lntronisation du Sacré-Coeur dans les foyers, 1917, Fontarabie, Paris.
FAYOLLE, Les carnets secrets de la Grande Guerre, Plon, l964.
FERCHAUD C., Note, autobiographiques, tome I et II, Téqui, 1974-1975.
FONTANA J., Attitudes et sentiments du clergé et des catholiques français devant et durant la guerre de 1914-1918, Lille, 1973.
Mgr GINISTY, Verdun, Paroles de guerre, 1919.
GUITTON G., Louis Lenoir, aumônier des Marsouins Éditions de Gigord, 1921.
HAMON A, Histoire de la dévotion au Sacré-Coeur, Beauchesne, Paris.
HAMON A., Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie Paris, 1907.
L’ Intronisation du Sacré-Coeur de Jésus dans les foyers par la Consécration solennelle des Familles, Paris,1915.
R.P. JONQUET, Montmartre autrefois et aujourd’hui Paris.
Mgr JOUIN et M. GAUDEAU, Le drapeau national du Sacré-Coeur, Paris, 1918.
Mgr LACROIX, Le Clergé et la guerre de 1914, Paris, 1914.
LANGLOIS G., Le Clergé, les catholiques et la guerre, Paris, 1915.
LEBRUN F, Histoire des catholiques en France, Privat, 1980.
R.P. LE DORÉ A., Le Message du Sacré-Coeur, Paris, 1917.
LÉMIUS J.-B., Les grands desseins du Sacré-Coeur de Jésus et la France, Paris, 1915.
LEROY, Au drapeau ! France et Sacré-Coeur, Nancy.
LEROY, Le drapeau du Sacré-Coeur, Nancy, 1901.
LOUBLANDE (à), Le Sacré-Coeur et Claire Ferchaud, Téqui.
MOUTON C., Ce " Voltaire " qui portait le Sacré-Coeur, Résiac, 1979.
MOUTON C., Au plus fort de la tourmente, Claire Ferchaud, Résiac, 1983.
MARCAULT Ch., Réalisons le Message du Sacré-Coeur, Desclée de Brouwer, Paris, 1934.
PÉRICARD J., Le soldat de Verdun, Baudinière, 1937.
PERROY H., Le Message d’Espoir, Paris, 1918.
POULAIN E., Pour le drapeau du Sacré-Coeur ! Pour le Salut de la France, Beauchesne,1918.
REDIER A., Méditations dans la tranchée, Payot, 1916.
VEUILLOT F., Le drapeau du Sacré-Coeur, Paris, 1899.
WEYGAND, Foch, Flammarion, 1947.
YENVEUX P., Le règne du Sacré-Coeur, Paris, 1902.
5 mai 2011
Mireille Fanon Mendès France
La mort d’Oussama Ben Laden et les circonstances dans lesquelles celle ci a eu lieu interpellent, éclairent sur les mœurs de ceux qui l’ont ordonnée et posent une série de questionnement sur le dés-ordre du monde qu’ils organisent..
Cet individu, quelle que soit sa responsabilité dans les crimes qui ont frappé des milliers de victimes un peu partout dans le monde et qui ont endeuillé de très nombreuses familles a été exécuté dans le cadre d’une justice expéditive comme au temps de la conquête du Far-West. L’opération de l’armée américaine à Abbotabad a été baptisée Geronimo. Les cow-boys d’aujourd’hui déplacent ainsi en d’autres lieux leur guerre éternelle contre les habitants d’une terre que leurs ancêtres ont spolié et qu’ils se sont arrogée par un génocide à ce jour impuni ?
Ben Laden aurait dû être arrêté et traduit en justice pour répondre de sa responsabilité dans les actes de terrorisme dans le cadre d’un procès équitable, tel que cela est précisé dans l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qui constitue le critère principal d’un Etat de droit.
Ce procès aurait permis aux familles des victimes, quel que soit le continent sur lequel elles se trouvent, de comprendre et d’écouter celui qui a commandité de nombreux crimes terroristes. La sentence qui l’aurait frappé aurait été fondée sur le respect des droits humains et par ce qui fait lien entre les hommes, à savoir le droit à la vie et à la dignité. Ce procès, pour difficile qu’il aurait pu être, aurait permis de transcender le sentiment de vengeance qui habite chacun de ceux qui sont frappés par des actes incommensurables et indignes.
Le procès de Nuremberg n’a t il pas eu cette fonction ?
De fait le choix de l’élimination de Ben Laden repose sur les mêmes ressorts que ceux utilisés par les responsables d’actes terroristes. Dès lors comment panser les plaies d’un deuil rendu impossible, comment construire un monde de paix où la vie et la dignité humaine sont respectées si ceux qui ont été élus pour garantir les attentes de leur peuple transgressent leur mandat et sont responsables de crimes ?
Dans la brutale réalité de cette exécution, ceux qui pensent avoir vengé les milliers de morts par terrorisme ont utilisé les mêmes éléments que ceux qui assument les actes terroristes. La barbarie répond à la barbarie.
Non, justice n’a pas été rendue ! Seul le sentiment de vengeance a été assouvi. Dans cette affaire sordide, les Etats-Unis ont joué sur l’émotion pour occulter la raison. Aussi criminel que Ben Laden a pu être, il était un justiciable comme un autre. En bafouant ce principe, les Etats-Unis pavent la voie à un monde sans loi ni droit.
Ainsi en France, quelques semaines après la chute du dictateur Ben Ali, l’arrivée de jeunes Tunisiens fuyant le chômage et voulant, après leur lutte menée pour le changement, enfin circuler sans entraves, est le prétexte d’une désinhibition du discours politique et fait trébucher des représentants politiques, dont certains demandent le retour manu militari par bateau de ces jeunes ou l’autorisation, par circulaire officielle, de traquer les personnes d’origine maghrébine.
Mais auparavant, il y a eu l’actuel ministre de l’Intérieur déclarant à l’égard des musulmans en France que « cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème ». Sans oublier, ceux de l’ancien ministre de l’intérieur qui a affirmé que « quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup que ça pose problème » et qui a été condamné pour ces propos à la demande du MRAP. C’est cette libération de la parole, autorisée par cette France qui libère les inconscients et permet à l’impensé raciste de lâcher prise et de s’exprimer partout. Sans oublier, les quotas ethniques évoqués dans le cadre de la fédération française de football. Certains peuvent affirmer que ni les uns ni les autres n’ont d’attitude raciste, il n’en demeure pas moins que leur inconscient raciste se sent autorisé à s’exprimer puisqu’ils font partie de cette France qui assume d’être décomplexée car elle lutte ardemment contre le terrorisme !
La mort d’Oussama Ben Laden n’est pas une avancée en direction du progrès humain et d’un monde meilleur. Cet homme disparait en emportant avec lui ce qu’il savait, ce qu’il aurait pu dire et sans que les parents et amis des victimes aient droit au procès de celui présenté comme l’architecte de leur douleur. La mise hors d’état de nuire d’un terroriste, aussi emblématique fut il, par des moyens qui ignorent le droit est symptomatique de la violence qui sous-tend l’organisation du monde telle que voulue par les néo-conservateurs. L’Occident, qui se réclame des Lumières, entend imposer une culture des relations internationales basées sur la supériorité des armes,le mépris du droit et la hiérarchie des cultures.
La banalisation de la mutation et de la déstructuration du droit international et la banalisation du racisme confirment, entre autres signaux, la mise en place du nouvel ordre mondial basé sur la force et la violence. Un ordre glacial et désespéré dominé par la fureur et la peur de tous ceux qui veulent le monde à leur image et à leurs pieds.
P.-S.
Mireille Fanon-Mendès France dirige la Fondation Frantz Fanon et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC-France