Le négationnisme et le droit. Le Pen aime les juges. Il est accro, et il a besoin sa dose de condamnation à espace régulier. Le 8 février dernier, il a été condamné à trois mois de prison avec sursis pour complicité de contestation de crimes contre l'humanité et complicité d'apologie de crimes de guerre pour avoir dit que l'Occupation allemande n'avait « pas été particulièrement inhumaine ». Ses déclarations au magazine « Bretons », ce vendredi, lui assurent un nouveau passage par le tribunal. Ah, les dépendances…
C’est reparti : « J'ai dit que les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la Seconde guerre mondiale: ça me paraît tellement évident. » Et au journaliste qui l’interroge sur le processus de déportation et d'extermination, Jean-Marie Le Pen répond: « Mais ça, c'est parce que vous croyez à ça. Je ne me sens pas obligé d'adhérer à cette vision-là. Je constate qu'à Auschwitz il y avait l'usine IG Farben, qu'il y avait 80.000 ouvriers qui y travaillaient. A ma connaissance, ceux-là n'ont pas été gazés en tout cas. Ni brûlés ». Le parquet de Paris a annoncé qu’il va donner suite.
Il fut un temps où le grand bonimenteur du FN pesait lourdement sur la vie politique. Actuellement, le FN vend son siège social pour payer ses dettes. Aussi, il est moins nécessaire de s’interroger sur le pourquoi de ses provocations, et on peut se contenter d’en analyser le contenu. En rappelant que Le Pen a déjà à deux reprises développé sa thèse du « détail », en septembre 1987 et décembre 1997, et que le plus riche des chômeurs de Saint-Cloud a été condamné les deux fois.
Pour le droit, c’est une réactivation de la question des lois mémorielles. Et c’est bien là toute la difficulté, car si chacun est d’accord pour dire que ces déclarations sont ineptes, le fait de condamner pénalement quelqu’un pour ce qu’il dit d’évènements historiques ne va pas de soit. Il faut distinguer selon que les faits historiques aient été jugés ou non.
La liberté d’expression
En droit européen, la jurisprudence de référence est l’affaire Handyside / Royaume-Uni du 7 décembre 1976, fondée sur l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. Pour la Cour Européenne, « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de la société démocratique ; elle vaut non seulement pour les informations accueillies avec ferveur ou considérées comme inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, qui choquent ou qui inquiètent. »
En droit interne, l’approche est sensiblement différente. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 18 septembre 1986, fondée sur article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, estime que « si la liberté d’expression est une condition de la démocratie, elle n’est ni générale, ni absolue. Elle doit se concilier avec les autres droits et principes de valeur constitutionnelle tels le respect de la liberté d’autrui, les exigences du service public, la sauvegarde de l’ordre public, la préservation du caractère pluraliste et courant d’expressions socio culturelles ».
Nous sommes loin du 1° amendement de la Constitution des Etats-Unis : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l'établissement d'une religion ou interdisant son libre exercice, restreignant la liberté de parole ou de la presse, ou touchant au droit des citoyens de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de leurs griefs. »
Histoire de culture. Pour nous, européens, il n’existe pas de liberté sans limite, et c’est bien dans la définition de ces limites que vient la difficulté. Et il faut distinguer la Shoah, et les autres évènements historiques.
La loi Gayssot
Cette loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 a ajouté à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un article 24 bis ainsi rédigé:
« Art. 24 bis. - Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »
Le texte visé, l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 » définit ainsi les crimes contre l’humanité :
« c) Les crimes contre l’Humanité: c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. »
Ainsi, la loi Gayssot respecte la liberté d’expression du fait du caractère très précis de sa définition : c’est la contestation de faits jugés, constitutifs de crimes contre l’humanité. Et c’est tout. C’est le respect de l’autorité de la chose jugée. D’ailleurs d’autres pays européens ont un texte similaire, à commencer par l’Allemagne, et la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que cette loi n’était pas contraire à la liberté d’expression, dans l’affaire Marais jugée le 24 juin 1996, requête n° 31159.
Les lois mémorielles
On en peut donc mettre sur le même plan les lois qui renforcent l’autorité de chose jugée par des cours internationales, et la lecture d’évènements historiques par les parlements nationaux. Il y a là une confusion souvent entretenue, y compris par les historiens qui peinent toujours à abandonner leur grille de lecture lorsqu’il s’approchent du droit. L’abrogation des lois mémorielles, oui ; celle de la loi Gayssot, non.
En France, trois lois ont posé problème.
Cela avait le cas avec la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 dont l’article 4 imposait aux enseignants de développer « le rôle positif » de la colonisation. Cet article a été abrogé.
Restent deux législations très discutables, et d’ailleurs restées inappliquées, ce qui est la honte pour une loi, qui passe du statut de loi de la République à celui de loi d’opérette.
La première est la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001, dite loi Taubira, qui « reconnaît » la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité – le Législateur se fait juge – et précise que les programmes scolaires « accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente (sic) qu’ils méritent » - le Législateur se fait directeur de conscience. En attendant d’autres lois pour les autres réalités historiques de l’esclavagisme…
La deuxième est la loi n° 2001-70 du 29 juillet 2001, relative à la reconnaissance du génocide arménien. Une loi pour ne rien dire. Quel est en effectivement le texte :
Article 1
« La France reconnaît publiquement le génocide arménien »
Et c’est tout. Aucun régime, aucune limite, aucune sanction. Du vent légiféré. Et il est impossible à la loi de faire davantage, car à l’inverse de ce qui existe pour l’Holocauste, il n’y a pas de décision de justice. Ce serait donc écrire légalement l’histoire, dire qu’il existe une manière illégale de penser.
Mais ces arguments d’évidence n’ont pas calmé tous nos parlementaires, qui le 12 octobre 2006 ont adopté la pénalisation de cette loi. Un formulation ambigüe, la quatrième proposée en 5 ans. Car lorsqu’il faut écrire la loi, l’équation apparaît impossible. Comment menacer de sanction pénale l’analyse de faits historiques sans écrie l’Histoire, et sans conduire les juges à devenir des historiens réglementaires ? Comment poursuivre la recherche sur des faits si l’émission d’un doute conduit en prison ? Peu importe. Le vote a été acquis par 106 voix contre 19 (49 UMP, 40 PS, 7 UDF, 6 PCF et 4 non inscrits ayant voté le texte, tandis que 17 UMP et 2 PS s’y étaient opposés). Et depuis 2006, rien : le Sénat ne s’est pas prononcé, car chacun sait le caractère abusif d’un tel texte. C’est vraiment se moquer du monde.
Cette prétention du Législateur à vouloir écrire l’histoire caractérise l’abus de pouvoir.
Les commentaires récents