Bien sûr, j'aurais pu aborder la crise avec la Turquie, l'initiative palestinienne à l'Onu, la commémoration du 11-Septembre ou la colère sociale. Mais j'ai préféré, justement cette semaine, faire une pause dans cet univers impitoyable, comme on disait à Dallas, et vous parler de nous, les Israéliens et de notre petit pays.
Ce petit pays, grand comme deux départements français, qui est le centre du monde. Il dérange tout le monde, ceux qui le haïssent sont pour la plupart des théocraties fondamentalistes, des dictatures et des racistes. Il est vrai que nous sommes spécialistes du mélange des cultures, du métissage et de l'intégration, car originaires d'une centaine de pays différents, qui dit mieux ? Plus de 70% sont nés sur cette terre, ce sont des Sabras, ils ne sont plus ni ashkénazes ni sépharades, il n'y a que des Israéliens. Ils adorent le couscous d'où qu'il vienne (pas de jaloux…), le djahnoun yéménite, le koubé irakien, le medjadra iranien, peut-être un peu moins le gefillte fish (moi j'aime, surtout celui de ma mère, mais du poisson sucré, ce n'est pas évident pour tout le monde).
Ils ne sont pas très polis, d'après les normes occidentales. Ils ne disent pas bonjour. Ce n'est pas parce qu'ils sont méchants, mais c'est souvent parce qu'ils sont timides.
Ils sont toujours surpris par le cérémonial à la française : la bise, le serrement de mains, le bonjour de la boulangère, comment allez-vous, etc…Eux, lorsqu'ils achètent une baguette, ils payent et puis c'est tout, "takhless", droit au but (comme on dirait à Marseille), pas le temps pour toutes ces politesses inutiles. Ils sont bruts de décoffrage. Mais détrompez-vous, ils sont tout sauf indifférents.
En France ou en Belgique, ou ailleurs, on vous dit certes bonjour et on vous fait la bise, mais lorsque vous êtes attaqué dans la rue, on détourne la tête et on passe son chemin.
Ici, dans notre petit pays, on intervient, le premier vous porte secours, le deuxième poursuit l'agresseur et le troisième appelle la police. Chez nous, les filles peuvent rentrer tranquillement à la maison, la nuit tombée, sans se faire importuner. On peut téléphoner sans se faire arracher son portable. Cette semaine, un tribunal a condamné à 9 ans de prison un type qui avait commis un vol avec violence sur une personne âgée. Dans le 9-3, ils sont relâchés au bout d'une heure, le sourire aux lèvres. Et oui, ma p'tite dame, on est poli en France, surtout avec les délinquants et la racaille, comme dirait l'autre.
Comme partout il y a des incivilités. Mais en Israël on peut organiser une manifestation de 300.000 personnes (équivalent de 3 millions à Paris) sur une place de Tel Aviv, le Kikar Hamédina, symbole du luxe, sans qu'une seule vitrine ne soit brisée ou un acte de violence commis. Vous en avez déjà vu, vous, des manifestations de revendication sociale avenue Montaigne à Paris ? Je n'ose imaginer ce qui s'y passerait. Quand on constate les dégâts après chaque manif place de la Nation, quel est le peuple le plus pacifique ? Ici, les forces de sécurité contrôlent les accès aux cortèges par crainte d'un acte terroriste, mais il n'y a pratiquement aucun policier pour surveiller les manifestants. Combien de CRS et gendarmes mobiles seraient mobilisés pour une manif de 3 millions ou même de 300.000 personnes ?
Chez nous, on se dispute, on s'engueule, mais on s'entraide.
C'est le pays de la "houtspa" (le culot) et de la resquille. Au supermarché, on met quelques produits dans le caddie qu'on laisse devant une caisse, puis on va faire tranquillement ses courses et ensuite on passe devant tout le monde. On marchande partout (mais après tout, on est en Orient), on dépasse par la droite, on n'utilise pas de clignotant, bref, c'est chacun pour soi.
Mais ce sont les mêmes qui ne laisseront pas un voisin âgé seul pour Shabbat ou les fêtes. Ici, les adolescents doivent choisir un travail d'intérêt général dans le cadre des activités scolaires : visite aux malades, volontariat au Maguen David Adom, auxiliaire dans la police, etc…
C'est un pays où la qualité de vie est bien supérieure à celle de nombreux pays occidentaux, mais où la situation peut se dégrader en quelques jours, en quelques instants. Et lorsque c'est malheureusement le cas, alors plus de houtspa, fini l'égoïsme, envolées les incivilités. On se tient les coudes, on se réconforte, on aide, on ne compte pas, la solidarité juive est à son paroxysme.
Je me rappelle d'une période militaire lors de laquelle une dispute très vive avait opposé plusieurs soldats de notre unité. C'est alors que nous fûmes appelés pour une opération assez dangereuse. Pendant le transport, un militaire commença à fredonner une vieille mélodie que nous reprîmes tous en chœur. Ceux qui s'étaient disputés ne se quittèrent pas pendant toute la mission et l'un d'entre eux fut blessé alors qu'il portait secours à l'un de ceux avec lequel il s'était accroché verbalement.
Nous n'avons pas toujours la manière et les manières, nous ne sommes pas dociles, nous avons la nuque raide, comme le disaient déjà les Romains. Nous voulons bien nous excuser si nous avons vraiment tort (voilà pour les Turcs), nous sommes prêts à négocier, à faire des concessions à condition que notre existence ne soit pas niée, que nous soyons reconnus et respectés en tant que tels (voilà pour les Palestiniens et les Arabes en général).
Il y aurait tant de choses encore à dire sur un peuple vieux de plus de 3.000 ans, qui est redevenu une nation il y a 63 ans. Mais voilà ce que j'avais envie d'écrire aujourd'hui, sur mon pays, sur mon peuple, sur nous, les Israéliens.
Nos pensées, vont ce soir, à Guilad Shalit otage français, détenu depuis 1914 jours par le Hamas. Ses parents sont toujours sans nouvelles. Les visites, même celles de la Croix-Rouge, lui sont interdites…
Marc Femsohn
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