Conférence de presse du 25 mars 2010
J 'ai entendu le message des Français : un message de défiance, quand on voit que 50% des Français ont décidé de ne pas aller voter, un message également d’exaspération, quand on voit le score qui est fait par le Front national, un message enfin de sanction, quand on voit que le premier parti, le parti majoritaire, l’UMP, arrive en second des formations politiques françaises.
Pour moi, c’est l’échec d’une stratégie, et c’est l’échec d’une politique. C’est l’échec d’une stratégie parce que d’aucuns ont espéré au cours des dernières années une politique vigoureuse qui permettrait de faire reculer le Front national ; or nous avons vu que tel n’était pas le cas. C’est l’échec d’une stratégie parce que le choix d’un parti unique, monolithique, au sein de la majorité, n’a pas permis de rassembler les électeurs.
Des inspirations aussi diverses que la tradition démocrate-chrétienne, la tradition gaulliste, à laquelle j’appartiens, n’ont pas eu l’occasion d’exprimer la tradition qui est la leur, les convictions qui sont les leurs, les visions de l’avenir qui sont les leurs. On voit bien aujourd’hui que c’est un rétrécissement des soutiens du parti majoritaire auquel nous avons assisté. C’est également l’échec d’une politique, j’ai dit et redit, tout au long des dernières années, les risques qui étaient encourus par une politique de dispersion de réformes tous azimuts, incapable de choisir ses cibles, et qui au bout du compte était peu lisible, n’emportait pas l’adhésion des Français et n’avait pas l’efficacité escomptée. Cette politique : il faut que nous en tirions les leçons.
Ma conviction, celle que je veux exprimer ce matin, c’est que nous ne pouvons pas désormais différer la réponse. Pourquoi ?
Eh bien il faut revenir à ce qui est la réalité de notre pays, la réalité des Français. Les Français souffrent. Le rapport de Jean-Paul Delevoye, le Médiateur de la République, est de ce point de vue là sans appel. Point n’est besoin de se cacher derrière de complexes statistiques : 15 millions de nos compatriotes ont des fins de mois difficiles, douloureuses, à quelques dizaines d’euros près. Je ne parle même pas des laissés-pour-compte, des exclus de la République, je parle d’une partie considérable de Français. Et cette situation de souffrance, j’ai le sentiment qu’elle est aujourd’hui partagée par tous les Français : ceux qui ont, ceux qui ont beaucoup, et ceux qui n’ont pas, partagent aujourd’hui le sentiment que les choses ne sont pas tenables. On peut, bien sûr, avoir le sentiment légitime d’avoir un emploi et un bon emploi, des revenus et des bons revenus, on ne peut pas comme citoyens français accepter de vivre dans un pays où des situations d’inégalité et d’injustice atteignent un tel niveau.
C’est pour cela que je vous le dis sans fard : je suis mal à l’aise dans la politique qui est menée aujourd’hui par la majorité, mal à l’aise sur le plan intérieur, sur le plan économique, sur le plan social, sur le plan culturel, mal à l’aise sur le plan de la politique étrangère – et nous aurons peut-être l’occasion de revenir sur ces questions.
Cette souffrance est aggravée par le sentiment de n’être ni compris, ni entendu. Et je ne pense pas que les quelques éléments de réponse qui ont pu être apportés depuis les élections régionales puissent être la réponse qu’attendent les Français. Ce ne sont pas les conciliabules dans les palais nationaux, au Parlement, ce ne sont pas les aménagements techniques, ce ne sont pas les changements de personnes qui sont attendus. Aujourd’hui, la vraie question, c’est : la politique qui est menée par le pouvoir en place est-elle la bonne ?
Cette souffrance et cette incompréhension doivent être appréciées à l’aune d’une donnée historique. Nous devons là aussi regarder la réalité en face et dire la vérité aux Français. Nous ne sommes pas dans une situation difficile qui a vocation à devenir du jour au lendemain moins difficile par un coup de baguette magique. C’est faux. Nous sommes confrontés à une crise de longue durée, avec des conséquences économiques, sociales, culturelles, pour notre pays, de très grande ampleur. Au-delà de la crise économique et financière, il y a un basculement du monde qui modifie les rapports de force et de puissance et qui nous affecte très directement.
C’est pourquoi je veux vous dire ce matin que la réponse que j’entends défendre, c’est un changement de politique. Seul un changement de politique permettra de placer la France et les Français dans la position d’un redressement indispensable. Changer de politique, pour quoi faire ?
J’ai utilisé au cours des dernières années et des derniers mois des formules qui sont aujourd’hui reprises par les uns et les autres : revenir aux fondamentaux. Entendons-nous sur les mots – les mots ne sont pas des simples cautères sur une jambe de bois, les mots doivent être vivants. Revenir aux sources, revenir aux fondements.
Mais quels fondements, et quelles sources ? S’il s’agit de revenir aux fondamentaux de 2007, d’une politique qui gagne, d’une politique de rupture, je crois que nous faisons fausse route. Il faut revenir aux fondements de la France. Et les fondements de la France, c’est la République, c’est la Nation, c’est l’Etat. Et le contre-sens qui a été commis en 2007, à travers la politique de rupture, c’est de penser qu’on pouvait rompre avec la France. Même si on voulait imaginer que c’était rompre avec la politique d’avant, les politiques d’avant, on ne peut pas rompre avec la France.
Or la France c’est quoi ? C’est un pacte social et républicain qui a été solennellement signé au lendemain de la Guerre, inscrit dans le préambule de la Constitution : une République démocratique et sociale. Et c’est pour cela que le mot d’ordre de mon combat, c’est une république solidaire. Nous ne pouvons pas tourner le dos à ce pacte français.
La République, on la voit sur mille sujets du quotidien :
Le débat sur la laïcité, est-ce qu’il faut aujourd’hui, dans le contexte français d’aujourd’hui aller se quereller sur une loi sur la burqa ? Est-ce que nous n’avons pas dans nos outils législatifs, réglementaires, les moyens d’apporter une juste réponse, mesurée, sans rechercher de bouc-émissaires, sans diviser les Français, sans montrer du doigt telle ou telle communauté ?
La République, c’est aussi la liberté : inscrivons cette liberté dans notre vie quotidienne ! 800.000 gardes à vue, est-ce que c’est digne d’un pays démocratique ? Combien de ces gardes à vue sont justifiées quand on sait que l’Allemagne recourt à la garde à vue dans dix fois moins de cas que nous ?
Là encore, Liberté, Egalité, est-ce que sérieusement nous pouvons maintenir cette idée qu’il y a en France une France qui serait issue de l’immigration et qui pourrait être stigmatisée culturellement, ethniquement, religieusement ? Est-ce qu’on peut ignorer que derrière cette réalité là, il y a la question sociale de ceux à qui on donne moins de chance pour réussir dans la vie, de ceux pour lesquels on fait moins ? Cette question sociale, cette question populaire, puisque c’est dans ces milieux que l’on retrouve ceux qui font face au plus grand nombre de difficultés, nous ne pouvons pas les ignorer et continuer à parler en termes abstraits, clivants, politisés. Il y a des réalités qu’il faut assumer en face.
La République, mais aussi la Nation. Le débat sur l’identité nationale a montré qu’on pouvait jouer avec tout. On ne joue pas avec la nation ! La nation, c’est notre bien commun. La nation, ce n’est pas par ici les uns, par ici les autres. Toute notre histoire, toute notre expérience, c’est justement de faire une place à chacun, de tendre la main à chacun, et nous sommes fiers, nous nous enorgueillissons de relever ce défi. La nation, elle aurait sans doute préféré qu’on lance un grand débat sur le service civique, elle aurait préféré qu’on se pose la question : comment pourrait-on appliquer au quotidien les valeurs qui sont les nôtres et qui sont inscrites aux frontons des palais nationaux ? La nation doit être traduite dans le langage du quotidien, dans la vérité du quotidien, dans le réel, et pas dans des discours politiciens qui divisent.
L’Etat. Comment réformer la France ? Comment donner une traduction concrète et efficace à une politique de réforme quand on pointe du doigt ceux qui ont choisi de la servir ? J’adore l’arithmétique : un fonctionnaire sur deux, c’est formidable, mais ce n’est pas efficace. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Philippe Seguin et c’est la Cour des Comptes. Alors en politique c’est peut-être moins payant de faire dans la nuance, mais il faut être capable de faire des analyses nuancées. Oui, nous devons être soucieux de la meilleure organisation de la fonction publique. Et en même temps, nous devons être responsables. Est-ce que les Français veulent moins d’infirmières ? Est-ce que les Français veulent moins d’enseignants ? Est-ce que les Français veulent moins de policiers ? Quand on écoute les discours officiels, on voit bien que sur tous ces sujets, il y a la volonté d’apporter des réponses. Alors soyons cohérents. Il faut faire des efforts mais il faut faire des choix. Et je l’avais dit en son temps, la politique du rabot n’est jamais en ce qui concerne l’Etat une bonne politique.
Vous le voyez, je n’ai pas de solution miracle. Mais je crois en la France. La République, celle que nous ont léguée nos parents, la Nation, celle qui a fait ce que nous sommes, l’Etat, qui a précédé en France la nation, et bien, je souhaite pouvoir les transmettre tels qu’en eux-mêmes à mes enfants, et je crains que si nous continuons dans la voie qui a été choisie, cela ne puisse pas être le cas. Pour pouvoir le faire, nous avons besoin de revenir à un équilibre institutionnel et à un pluralisme des pouvoirs.
Le retour à un équilibre institutionnel, c’est quoi ? C’est tout simplement que le Président fasse son travail, que le Premier ministre et le gouvernement fassent le leur, et que le Parlement, qui a pour tâche de voter la loi, puisse mettre un peu d’ordre dans ce qui est aujourd’hui devenu un domaine totalement anarchique, voter la loi et contrôler l’exécutif. Là encore, ce n’est pas très compliqué, encore faut-il le vouloir…
Il y a là, une première exigence, c’est que tous les pouvoirs puissent assumer leurs responsabilités, ça veut dire l’indépendance de la justice. Une réforme de la procédure pénale a été engagée. Ayons le courage de traiter les vrais problèmes. Il faut rompre les liens entre le Parquet et le pouvoir politique, pour deux raisons : une raison de principe, nous sommes tous attachés à l’idée d’une justice indépendante, et une question de démocratie, nous sommes tous en Europe, et nous sommes à la traîne de l’Europe, puisque nous ne respectons pas les critères démocratiques européens – il faut savoir, de temps en temps, faire son examen de conscience – et l’Europe nous demande de rompre ce lien avec le Parquet pour que ceux qui sont membres du Parquet puisse devenir véritablement des magistrats, ce qu’ils ne sont pas aujourd’hui.
Toujours dans le sens de la réforme de la justice – puisque nous y sommes, ne nous arrêtons pas en chemin -, défendre l’idée d’un accès pour tous à la justice, croyez-moi, c’est un vrai sujet. J’étais il ya quelques jours dans la banlieue parisienne, à la rencontre d’une association de femmes victimes du harcèlement moral. L’une d’entre elles m’a expliqué que depuis dix ans, elle vivait le cauchemar de procédures initiées par son mari, qu’elle souhaitait tous les jours tout arrêter et qu’elle ne pouvait pas, et que par ailleurs, tout cela lui coûtait la bagatelle de 50.000 euros. Voilà de vrais sujets, de vrais problèmes à traiter par la Chancellerie : c’est cela le devoir démocratique de cette Institution.
Il y a une deuxième exigence – et vous m’excuserez, elle vous concerne directement -, c’est la liberté des médias. C’est un sujet qui a déjà fleuri, que j’ai souvent abordé, mais je pense qu’il faut la garantir. Il faut la garantir dans un monde où les pressions, d’où qu’elles viennent – politique ou de l’argent –, ...
Dominique de VILLEPIN
Les commentaires récents