Daniel Vaillant, Maire du XVIIIè eme arrondissement de Paris a interdit à la société israélienne Soda Club, de participer à la traditionnelle Fêtes des Vendanges, qui se tient tous les ans dans son arrondissement. Le prétexte à cette interdiction ? Un soi disant risque de trouble à l'ordre public !!!
Elle seule importe. Elle seule occupe ses pensées, chacune d’elles. A Londres, l’ectoplasme-idée France a complètement intégré son réceptacle : la symbiose est accomplie, parfaite. La longue carcasse porte et supporte les avanies de la mère patrie, endosse la honte nationale de la capitulation [1]. Le déshonneur de son pays lui instille une douleur insupportable et donne naissance à une volonté surhumaine. La nation vaincue, contrainte à la génuflexion pour mendier sa délivrance, n’est plus la sienne. Elle n’est plus conforme à son idéal, auquel il consacrera le premier paragraphe de ses Mémoires de guerre :
« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur. » [2]
Cher pays de mon enfance
Cette certitude prend sa source dans l’éducation et la formation intellectuelle de Charles de Gaulle. Au sein d’une famille d’intellectuels érudits et loyalistes d’une pudeur sévère, il se passionne pour l’histoire de son pays et s’imprègne de ses mythes et symboles. Enfant jouant aux soldats de plomb, il est toujours roi de France et manœuvre l’armée française – en attendant d‘avoir l‘âge de reconquérir l‘Alsace-Lorraine. Quand la contemplation de Versailles, Notre-Dame, l’Arc de Triomphe et les Invalides provoque son enthousiasme, l’humiliation de Fachoda [3] et l’affaire Dreyfus [4] l’attristent profondément. Son père, monarchiste de regret, professeur de grec, latin et français chez les Jésuites, lui communique son sentiment de la dignité de la France. Quant à sa mère, son amour de la patrie n’a d’égal que sa piété religieuse.
C’est à l’adolescence, alors qu’il prépare l’école militaire de Saint-Cyr au collège Stanislas [5], que prend forme une conception personnelle de la France. Parallèlement à l’apparition d’une autorité précoce – son visage fut décrit comme « peut-être déjà lourd de prémonitions », le jeune Charles met en branle les mécanismes d’une riche vie intérieure et d’une indépendance intellectuelle également précoces : sa notion de la France se détache de celle de son père. Plus républicaine, moins monarchiste. Moins nostalgique. La Révolution française, en particulier, n’est plus la cible désignée des regrets historiques. La guerre qui se profile à l’horizon est entrevue comme une « aventure inconnue » qui sera l’occasion de faire ses preuves.
Une certaine idée de la France pour seule doctrine… Plus qu’une doctrine, elle est la raison d’être de l’action politique : les intérêts nationaux et la grandeur pour seuls enjeux et seules considérations. La nation française, entité abstraite, est une et indivisible ou n’est pas. Elle est menacée par tout ce qui est susceptible de monter ses citoyens les uns contre les autres : les intérêts particuliers, les partis, les idéologies etc. Menaces qui expliquent, chez le général, la distance vis-à-vis de la chose électorale ainsi que la méfiance à l’égard des élites.
Menaces qui le conduisent parfois à se confondre avec l’entité sublime, à tel point qu’il peut évaluer tout désaccord avec sa personne comme une atteinte à la liberté nationale. Fusion divine du prophète et de son peuple : dans ses déplacements, l’homme-nation déconcerte et gagne à lui plus d’un interlocuteur. Son intelligence, sa hauteur de vues et sa dévotion totale ne laissent d’intimider ni de fasciner. C’est la France, que vous avez en face de vous.
Dans l’esprit du général de Gaulle, la nation et les idéologies sont incompatibles. Une nation est la collectivité suprême, définie par son territoire, son histoire, soudée par l’intérêt, sa culture et ses héros ; les idéologies, oripeaux de la philosophie allemande, cachent des appétits et nourrissent volontiers les fausses querelles. Griefs qui seront retenus à l’encontre des communistes – malgré leur rôle dans la résistance française, des partisans de l’Algérie française – en dépit du bien-fondé de certains de leurs arguments, et … de l’ensemble des partis [13]. L’individualisme, assumé ou dissimulé, doit reculer « de gré ou de force devant la solidarité ».
Quand la nation et l’État font fi des idéologies, les circonstances sont prépondérantes. Le général de Gaulle est ce radar surpuissant capable de capter les signes politiques, quelles que soient leurs provenances, afin de produire une analyse et des solutions d’une lucidité exceptionnelle. A Saint-Cyr déjà, puis à l’École militaire, il se risquait à rabattre les oeillères de ses enseignants en opposant la prééminence des données de la bataille à leurs stratégies militaires prédéfinies et étriquées tirées des manuels – dont ils étaient quelquefois les auteurs. Libéré du carcan des préconceptions de divers ordres, l’homme de toutes les circonstances peut agir en conséquence et appliquer son mouvement. Animé par une certaine idée, le général le plus amoureux peut partir à l’assaut de la grandeur.
Abattre la tutelle des imposants alliés pour restaurer l’indépendance de sa faible nation. Le général contrarié par la peureuse prudence de Churchill, aigri par la perfidie de Roosevelt et averti de la folie dictatoriale de Staline, la libre et totale disposition d’elle-même de la République n’est plus négociable : cet axiome est l’objet suprême et constant de son attention en politique extérieure. Le développement et l’acquisition de l’arme atomique [15], la sortie du commandement intégré de l’OTAN [16], la reconnaissance de la Chine maoïste [17], le refus du projet d’une Europe intégrationniste et de diverses alliances sont autant de coups d’éclat qui attestent de la primauté de la souveraineté de la nation française.
Fréquemment dépeint par l’extérieur comme un trublion nationaliste, Charles de Gaulle est, de surcroît, taxé d’antiaméricanisme et d’euroscepticisme. Facilités d’autant plus dénuées de vérité qu’elles consistent à ranger dans des boites un antidoctrinaire déclaré. La réalité est tout autre. Le Connétable éprouve de la sympathie pour l’ogre américain, mais estime que celui-ci se doit d’exercer sa très grande puissance avec sagesse et dignité. Quant au projet européen, il n’y est pas opposé ; il prend partie pour une Europe des nations sous la forme d’une association des États, et contre une Europe supranationale comprenant le Royaume-Uni – le très probable « cheval de Troie » étasunien.
Incontestablement l’homme d’une certaine idée. Abstraction sublime qui, à travers les crises et les désillusions, n’a jamais cessé d’habiter le grand cyclothymique. Bien avant le déferlement des évènements, le jeune Charles avait griffonné sur son carnet ce mot d’Ernest Renan [19] :
« La foi a cela de particulier que, disparue, elle continue d’agir. »
Romain LEFFERT
http://romainleffert.wordpress.com/
Jeanne Jugan (1792-1879), fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres, béatifiée en 1982, a été canonisée à Rome le 11 octobre.
Jeanne Jugan, sœur Marie de la Croix en religion, n'aurait pas aimé. Elle qui désirait ce contact avec le Père, elle qui, au moment de sa mort en 1879 le suppliait d'« ouvrir ses portes à la plus misérable de ses petites filles », la faire revenir sur Terre ? Et pour un événement à Rome, au cœur des attentions de tous, pour une canonisation au vu et au su des uns et des autres ?
Voilà qui cadre mal avec son souci de discrétion et d'humilité, avec son désir d'union au scandale de la Croix en répondant à l'injustice par l'abandon dans les mains de la Providence. Dans ses dernières années, la fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres pouvait estimer sa mission accomplie : son ordre s'étoffait et la mission de recueillir vieillards indigents et pauvres gardait toute sa force. Aussi demandait-elle qu'on lui chante: « Pourquoi sur la rive étrangère prolongerais-je mon séjour ? » Fallait-il donc la faire revenir sur terre à l'occasion de sa canonisation le 11 octobre 2009 ?
Pour les Petites Sœurs des Pauvres, la modestie de leur fondatrice dût-elle en souffrir, « la canonisation est une reconnaissance de la part de l'Église » et une façon de susciter des vocations. Accueillir les personnes âgées pauvres et isolées, leur redonner une famille, une maison et une dignité jusqu'à la fin de leur vie, voilà une vocation qui garde toute sa raison d'être, depuis la Bretagne, racine de cet ordre, jusqu'au reste du monde où œuvrent aujourd'hui plus de 2500 religieuses. Depuis qu'elle s'est mise à sillonner les chemins de Saint-Servan, Saint-Malo, Rennes, Cancale et alentours, le bissac en bandoulière et le panier à la main, cette œuvre a fait bien du chemin à glaner du pain, du linge ou « un peu de bois pour soulager un membre de Jésus Christ ».
Nous ne sommes peut-être plus dans les décombres de la Révolution française et de sa population paupérisée qui a suscité la création de cet ordre. Mais il n'est pas certain que Dickens, maintenant encore, verrait son encre sécher faute d'inspiration après avoir été témoin des débuts de l'ordre. Le message de pauvreté, matérielle et spirituelle, ainsi véhiculé et façonné par la pratique des Béatitudes n'a pas pris une ride. C'est un trésor à redécouvrir et à faire partager que de comprendre la pauvreté comme dépouillement total qui se livre à Dieu. Jeanne Jugan ne le bénissait-elle pas « d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout petits » ?
Elle-même a dû attendre qu'il cesse de lui cacher son dessein. À sa mère inquiète de son avenir, à une demande en mariage, elle dut répondre : « Dieu me veut pour lui, il me garde pour une œuvre qui n'est pas encore fondée ».
Au cours de ses recherches, au cours de ses tâtonnements, elle a eu à cœur de cultiver l'intérieur de son âme pour être en même temps qu'ouvrière du monde orante de Dieu. À cela, une raison historique, ses premiers cours de catéchisme, elle les a eus en contemplant les cimetières jonchés du mobilier sacré des églises saccagées par la tourmente de 1792, année de sa naissance. Cultiver sa foi devient d'abord acte intérieur, acte de résistance clandestine. Plus tard, elle adhérera au Tiers-Ordre de Saint-Jean Eudes, le Cœur de la Mère admirable, où l'on faisait l'apologie de l'humilité et de l'abandon à Dieu, le tout en limitant les sorties de chez soi à l'Église ou aux soins des malades et des pauvres. C'était une façon de préfigurer à la fois la vie religieuse et hospitalière à laquelle aspirait Jeanne Jugan.
Infirmière, dame de compagnie, domestique pendant de longues années, cette vocation a mis du temps à se manifester avec la clarté requise dans la conscience de Jeanne. C'est en recueillant en 1840 une aveugle impotente chez elle puis une première compagne spirituelle, une orpheline sans ressources, qu'elle a posé l'acte de fondation de l'ordre, histoire de faire correspondre l'intérieur de sa maison avec l'intérieur de son âme et de participer à la richesse surnaturelle de l'hospitalité. À chaque création de maison d'accueil, un même souci, que les personnes âgées se sentent chez elles. Aujourd'hui d'ailleurs, les centres des Petites Sœurs des Pauvres sont autant de « Ma maison ».
Progressivement un uniforme et des règles de religieuse voient le jour mais la fondatrice n'a de cesse d'aller quêter pour ses pauvres et de participer « à la douceur de s'oublier », bravant le mépris social et les jalousies. Le conseiller spirituel s'auto-proclame-t-il fondateur et supérieur de l'ordre? Jeanne Jugan obtempère et continue ses quêtes. On lui demande de les cesser pour la laisser dans la maison mère comme simple religieuse pendant plus de 20 ans? Elle obtempère, continue sa quête intérieure et reste lucide.
Ce doux abandon de soi dans les mains de la Providence, les Petites Sœurs des Pauvres y sont restées fidèles. Aujourd'hui encore, elles vivent de la générosité des donateurs, au jour le jour. Pour l'éternité.
|
Ma citation de la semaine:
"l'espoir n'a pas de poussière"
PAUL ELUARD
Les commentaires récents