Les médias,pouvoir intouchable Par Ivan Rioufol !
Crédits photo : Le Figaro
Le bloc-notes d'Ivan Rioufol
Le Nouvel Observateur vient de publier un appel, soutenu par de talentueux confrères, dénonçant une «campagne obstinée et haineuse» contre Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem. Le texte reproche à «des individus» de contester la véracité d'un de ses reportages montrant Mohammed al-Doura, 12 ans, «tué par des tirs venus de la position israélienne le 30 septembre 2000 dans la bande de Gaza, lors d'un affrontement entre l'armée israélienne et des éléments armés palestiniens». Enderlin, journaliste infaillible ?
La pétition suggère qu'un reporter, singulièrement dans une zone de conflit, ne saurait être jugé que par ses pairs : un esprit de corps qui a pour effet d'imposer une vérité, en décrédibilisant les contradicteurs. La presse soviétique procédait pareillement. Certes, les médias aiment mieux donner des leçons qu'en recevoir. Mais l'omerta sur la contestation de ces faits, qui ont eu de considérables répercussions au Proche-Orient, fait injure à la démocratie.
La diffusion par France 2 de la mort de l'enfant auprès de son père blessé avait attisé la deuxième intifada. Deux réservistes israéliens allaient être lynchés par des Palestiniens. Ceux qui, devant une caméra vidéo, tranchèrent la tête du journaliste américain Daniel Pearl, en 2002 au Pakistan, avaient la photo de la scène. Elle ébranla des esprits aussi avisés que Catherine Nay : «La mort de Mohammed annule, efface celle de l'enfant juif, les mains en l'air devant les SS, dans le ghetto de Varsovie.»
Or, des contre-enquêtes contredisent désormais cette version d'Enderlin, qui n'était pas sur place. C'est son cameraman palestinien, Talal Abou Rahma, militant du Fatah, qui a fourni les images en attribuant les tirs aux Israéliens. Depuis, des expertises font douter de cette thèse. Les rushes, qui montrent des Palestiniens mimant de fausses blessures, font dire également à Philippe Karsenty, directeur d'une agence de notation des médias, qu'il y a même «mise en scène» et «imposture» sur l'agonie filmée. Poursuivi pour diffamation, la cour d'appel de Paris vient de lui reconnaître son «droit de libre critique».
Rien ne permet d'accuser Enderlin, professionnel visiblement estimé, de désinformation. Mais rien ne justifie de le présenter comme au-dessus des critiques. Pourtant, c'est bien un corporatisme absurde qui maintient la chape de plomb sur l'«affaire al-Dura». Dans Marianne, cette semaine, l'historien Elie Barnavi propose une commission d'enquête indépendante. Elle est devenue indispensable. Les amis d'Enderlin ne peuvent cautionner davantage un crime de lèse-majesté.
Exemples d'autoprotection
Le pouvoir médiatique ne peut ainsi s'autoprotéger sans tomber dans l'arbitraire qu'il dénonce par ailleurs. Or ce travers revient assez régulièrement. Michel Legris, qui vient de nous quitter, en avait fait les frais après avoir dénoncé, en 1976, dans un livre à succès (Le Monde tel qu'il est, Plon), la politisation sournoise de cette «institution», mise au service de la gauche derrière un apparent équilibre journalistique. Pour avoir osé mettre en cause la prétendue rigueur du quotidien du soir, dont il avait démissionné en 1972, Legris allait devoir attendre 1985 avant de retrouver un employeur, avec L'Express. Le lynchage de Dominique Baudis, accusé sur la place publique, en 2003, pour des crimes inventés par des affabulateurs, n'a pas davantage conduit à l'autocritique des médias suiveurs. Sans parler du scandale d'Outreau. Quant au «Watergate français», promis par une meute aux trousses de Dominique de Villepin dans l'affaire Clearstream, il y a longtemps qu'il s'est effiloché. Le dossier aura pourtant mobilisé deux juges d'instruction parmi les plus en vue. Il est tellement vide concernant l'ancien premier ministre, mis en examen pour complicité de dénonciation calomnieuse, que le parquet a dû requérir un supplément d'information sur son implication présumée. Depuis, les multiples procureurs autoproclamés ont-ils émis des bémols sur leurs convictions de culpabilité ?
L'ombre de Sarkozy ?
Faudrait-il aussi comprendre l'annonce du départ de Patrick Poivre d'Arvor du journal de TF1 et son remplacement par Laurence Ferrari comme une reprise en main de la droite ? Cette analyse saugrenue semble pourtant acquise par des commentaires mimétiques qui veulent voir l'ombre de Nicolas Sarkozy derrière le jeu de chaises musicales dans l'audiovisuel. En réalité, cette affaire illustre surtout le nombrilisme de bien des médias, tentés de transformer leurs propres histoires en événements d'envergure. Le talentueux grand prêtre du «Journal de 20 heures», esprit libre et indépendant, ne méritait sûrement pas, après vingt et un ans de présence, une telle éviction brutale dont il s'est d'ailleurs plaint publiquement hier. Mais son départ ne justifie pas les effarements d'une caste criant au complot. Pour autant, si la droite a aussi dans l'idée de chercher à rééquilibrer la traditionnelle prééminence des «progressistes» dans la majorité des rédactions, elle n'en est pas blâmable. Les médias, chasse gardée de la gauche ?
Pensée unique
Les «nonistes» irlandais, accusés par leurs médias (comme le furent les «nonistes» français) de ne rien comprendre à rien, seront-ils minoritaires à l'issue du référendum d'hier ? En France, cette pensée unique des «ouiistes» avait été rejetée par 55 % des électeurs…
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