Après l'abdication de l'Empereur à Fontainebleau le 6 avril 1814 et la première Restauration royale qui s'ensuivit, les maladresses et injustices sans nombre du gouvernement de Louis XVIII à l'égard de l'ancienne armée napoléonienne, qui n'épargnèrent même pas les orphelines des maisons de la Légion d'honneur, la prétention de rétablir les errements de l'Ancien Régime, la non observation du traité de Paris dans les clauses intéressant directement Napoléon retiré à l'île d'Elbe, le refus de lui rendre sa femme et surtout son fils, les menaces d'enlèvement par les royalistes et même d'assassinat, ont fait l'objet d'une énorme bibliographie. La responsabilité de son retour de l'île d'Elbe et de la guerre qui en résulta ne peut donc, en foute justice, être imputée en premier lieu à Napoléon. Certains auteurs n'écartent même pas la duplicité des gouvernants britanniques dans le double but de provoquer de nouveaux troubles en France et de justifier, aux yeux du monde, l'arrestation de Napoléon et sa déportation (1). Par ailleurs, dès sa rentrée aux Tuileries, ce dernier avait tenté toutes les démarches possibles auprès des Alliés afin de maintenir la paix. La coopération de son frère Lucien, de Benjamin Constant, tous deux libéraux, et du républicain Carnot, donnait de sérieuses présomptions de sincérité à ces avances pacifiques auxquelles fut mêlé le baron de Stassart, notre futur gouverneur des provinces de Namur et du Brabant, envoyé en mission à la cour de Vienne mais arrêté en cours de route par la police autrichienne. N'ayant plus d'illusions à se faire quant aux sentiments de sa famille (sic) autrichienne, mis au ban des nations par le Congrès de Vienne, Napoléon fut contraint à se préparer à la guerre et à réorganiser l'armée.
Son plan? Tomber sur les plus rapprochés et les plus menaçants des Alliés là où ils ne l'attendent pas, battre séparément les Anglais et les Prussiens avant de se rejeter vers l'Est à la rencontre des Austro-Russes en marche vers la France. Mais la réussite de ce plan, qui sera très minutieusement préparé par l'Empereur, dépend de la rapidité des mouvements bien combinés des différents corps et l'utilisation rationnelle des moyens dont chacun dispose
Rappelons brièvement que, rassemblée en un temps record dans la région de Beaumont-Walcourt-Philippeville, l'armée du Nord, forte de 120.000 hommes et 570 bouches à feu, sous les ordres directs de l'Empereur, devait se mettre en marche le 15 juin 1815 avant l'aube pour franchir la Sambre en trois colonnes par Marchienne-au-Pont, Charleroi et Châtelet, Dans l'ordre de mouvement du 15 juin faisant suite à celui préparatoire, très développé, donné à Avesnes le 15, figure cette phrase : " Les lieutenants- généraux seront prévenus que l'intention de Sa Majesté est d'avoir franchi la Sambre avant midi et de porter l'armée sur la rive gauche de cette rivière " et dans ces ordres l'Empereur revient à plusieurs reprises sur la prescription pour tous les corps de l'armée de " faire marcher en tête les sapeurs et les moyens de passage que les généraux auront réunis " et sur l'utilisation des équipages de pont, Mieux, il prescrit aux généraux Rogniat et Haxo, respectivement commandants en chef du génie de l'armée et de la Garde impériale, de marcher avec l'avant-garde et d'employer les troupes du génie et les marins aux " travaux de passage des rivières, des têtes de ponts, des réparations de chemins et d'ouvertures de communications, etc.. ".
Et cependant, malgré l'intention si clairement exprimée, nous savons que la Sambre ne fut pas franchie aussi rapidement que l'Empereur le voulait et cela pour des raisons qui ne sont pas le fait de l'ennemi. En effet, le l° Corps prussien du général Zieten, surveillant la frontière entre Binche et Moustier-sur-Sambre, est parvenu à décrocher et à se retirer en combattant adroitement pour aller regrouper ses quatre brigades d'infanterie et ses deux brigades de cavalerie autour de Fleurus où il sait que Blücher l'attende
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C'est que la colonne française du centre est très en retard sur l'horaire fixé par l'Empereur parce que les ordres ne sont pas arrivés, dit-on, au général Vandamme, dont le corps d'armée, le 3, désigné pour former l'avant-garde dès 3 heures du matin, n'a pas bougé et que Napoléon doit le faire remplacer au pied levé par la Garde impériale pour s'emparer de Charleroi. A la colonne de droite c'est plus grave encore. Le 4° corps du général Gérard ne franchira la Sambre entièrement par l'unique pont de Châtelet que le lendemain parce que le commandant d'une de ses divisions, le lieutenant- général comte de Bourmont, vient de passer à l'ennemi avec son état-major.
Certains auteurs ont cru pouvoir atténuer les conséquences de sa félonie en supposant que Bourmont ne connaissait rien du plan des opérations le matin du 15, ce qui resterait à prouver, car à quoi servaient les ordres des 15 et lA si des lieutenants-généraux ne devaient rien en connaître, mais la seule présence de sa division venant de Metz n'était-elle pas une indication suffisante ? Ce serait prendre les Prussiens pour des imbéciles.
Et qu'ont pu raconter les adjoints de Bourmont, son chef d'état-major Clouet et les aides de camp de Villoutreys, de Trélon, d'Andigné et Sardat ? L'action de Bourmont est d'autant plus méprisable qu'il aurait pu se tenir à l'écart comme d'autres et même suivre le Roi à Gand, ce qui était son droit, mais, après avoir sollicité un emploi de Napoléon en se faisant recommander par le général Gérard, il abandonnait ce dernier en le compromettant au moment du combat.
Quant à l'aile gauche, les lenteurs de la progression des lieutenants- généraux Reille et d'Erlon par Marchienne vers Gosselies et les Quatre- Bras et placés dans le courant de l'après-midi, sous les ordres du maréchal Ney qui venait de rejoindre l'armée, ont fait l'objet de commentaires sans fin des historiens militaires dans lesquels revient fréquemment le mauvais fonctionnement d'un état-major dont le maréchal Soult est devenu le chef au grand étonnement de l'armée.
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Quoi qu'il en soit, voici la situation de l'armée de Napoléon le 15 juin au soir. A la colonne de gauche, les éléments de tête ont atteint les lisières nord de Frasnes-lez-Gosselies. Elle n'a pas occupé les Quatre-Bras tenus par une seule brigade de la division des Pays-Bas du lieutenant-général baron de Perponcher, brigade commandée par le prince Bernard de Saxe-Weimar, occupant adroitement le terrain. Fort inquiet néanmoins, le prince réclame d'urgence des ordres, des renforts et des munitions. A la colonne de droite, une seule division du 4 corps, celle du général Hulot qui a remplacé Bourmont, a franchi la Sambre à Châtelet. Au centre, Charleroi a été occupée vers midi et la cavalerie légère de Pajol a poursuivi les Prussiens mais, non soutenue par l'infanterie, n'a pu progresser au-delà de Gilly.
Il a fallu attendre et Napoléon impatient prendra lui-même le commandement de l'engagement qui se déroula vers 17 heures autour de Gilly. C'est là que le lieutenant-général Letort, des dragons de la Garde, aide de camp de l'Empereur, perdit la vie dans une charge à la tête des quatre escadrons de service. En fin de journée, la cavalerie de Grouchy a atteint la transversale Campinaire-Lambusart, le corps de Vandamme bivouaque autour de Soleilmont, puis, échelonnée entre Charleroi et Gilly, la Garde Impériale.
Revenu à son quartier général, installé à Charleroi au château Puissant, Napoléon étudie les rapports de Grouchy et de Ney. Zieten se retirant vers l'Est, l'Empereur en conclu que les Prussiens vont s'éloigner des Anglais, ce qui ne peut que favoriser son plan. Mais bientôt la suite des événements le détrompera.
Le 16 à l'aube, le maréchal Grouchy, ayant occupé Fleurus évacuée par l'arrière-garde de Zieten, prévient Napoléon que de nombreuses colonnes prussiennes venant par la route de Namur se concentrent vers Brye et St-Amand. Le renseignement est bientôt confirmé par un officier de lanciers envoyé par le général Girard détaché la veille par le général Reille avec sa division pour flanquer la droite du 2° corps et en position autour du village de Wangenies. Napoléon se rend alors à Fleurus où il arrive vers 10 h 30, parcourt les avant-postes, fait construire un observatoire au moulin Naveau d'où il observe le terrain, questionne le géomètre Simon et se décide à attaque les Prussiens. Mais, conséquence en partie de la trahison de Bourmont, le 4 corps est en retard, et Napoléon doit attendre alors que Blücher, arrivé la veille en toute hâte de Namur et installé à Sombreffe, presse l'arrivée de ses II° et III° corps et les dispose avec celui de Zieten sur une ligne générale Wagnelée-La Haye-St Amand- Tongrinne. A droite, face au Sud, le 1° Corps, étagé derrière le Grand-Ry et la Ligne tient Wagnelée-La Haye-St Amand, ce dernier village légèrement au-delà du ruisseau, et l'agglomération de Ligny. A sa gauche le III° corps, général Thielman, occupe la région Sombreffe- Tongrinne-Boignée-Balâtre.
En second échelon, sur la route de Nivelles entre Sombreffe et Brye, sont accolées les quatre brigades à trois régiments du I I° corps du général Pirch I° avec, en réserve, sa division de cavalerie à trois brigades sous les ordres du général von Wahlen-Jürgass. Les Prussiens se hâtent d'organiser leur position, de placer leurs batteries, de créneler les murs des enclos, (Ies maisons, des fermes. Blücher qui espère une aide des Anglais vient d'avoir une entrevue avec Wellington sur les hauteurs de Brye et il sait que son IV° Corps sous les ordres de Bülow est en marche venant de Liège ; Bülow n'arrivera pas à temps pour prendre part à la bataille, mais nous savons qu'il interviendra le premier à Waterloo. Quoi qu'il en soit, compte tenu des pertes du corps de Ziethen dans la journée du 15, Blücher dispose maintenant d'environ 85.000 hommes et de 216 canons.
En face de lui Napoléon vient d'adopter le dispositif suivant : Devant La Haye et St Amand f'ace au N.-E. le 3 corps du général Vandamme, renforcé de la division Girard détachée du 2 corps, soit quatre divisions d'infanterie et la division de cavalerie légère Domon constituent la gauche française. Au centre, devant Ligny, se trouve le 4 corps. Le général Gérard a placé les deux divisions d'infanterie, généraux Pêcheux et Vichery, face au X.-O. La troisième, du général Hulot, en potence face au N.-E. en direction de Tongrinne, est passée, avec la division de cavalerie légère du général Maurin, aux ordres du maréchal Grouchy, commandant l'aile droite, en liaison avec les deux corps de cavalerie légère et de dragons des généraux Pajol et Exelmans déployés devant Balâtre et Boignée. En réserve, à hauteur et à l'ouest de Fleurus, la Garde impériale ; à l'est les deux divisions de cuirassiers, huit régiments, du lieutenant-général comte Milhaud. Soit en tout dans la main de l'Empereur à 14 h 30 67.000 hommes et 258 canons. Rappelons que le 6° corps du lieutenant-général Mouton, comte de Lobau, en réserve à Charleroi, sera appelé vers 16 heures, mais ne sera pas engagé, et que le maréchal Ney est maintenant, mais tardivement, aux prises avec les troupes de Wellington qui, depuis midi, se sont renforcées considérablement et, à présent, tiennent solidement les Quatre-Bras.
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Quelle est la situation à ce moment ? Devant Le Hameau, La Haye et St Amand, Blücher qui s'acharne sur la gauche française est contenu par le corps de Vandamme, l'héroïque division Girard (2), la division des tirailleurs et voltigeurs de la Jeune Garde du général comfe Barrois que vient renforcer la division de chasseurs de la Garde, 2, 5 et 4° chasseurs du général comte Duhesme. La division de chasseurs à cheval de Domon et 1cs lanciers et chasseurs de la division Subervie couvent la gauche de ce dispositif.
Devant Ligny l'Empereur organise l'assaut final avec les deux divisions de Gérard électrisées par l'arrivée de la Garde impériale. Les quatre régiments de grenadiers à droite avec l'artillerie, à gauche le l° chasseurs à pied du général Cambronne suivi des sapeurs et marins de la Garde, des dragons et grenadiers à cheval de la Garde, des gendarmes d'élite et des cuirassiers de Milhaud. Mais laissons parler ici un sergent du 1er grenadiers ; Nous marchons ainsi pendant vingt minutes, notre dernier mouvement eut quelque chose de religieusement imposant ! Oui, nous l'aimons, il y avait quelque chose de solennel et de religieux dans cette immense procession militaire marchant à la mort d'un pas ferme et la tête haute, précédée de l'image de la Patrie. Les tambours ne battaient pas . Une salve de soixante coups de canon part de notre droite. C'est l'artillerie de la Garde qui salue l'armée prussienne.
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L'Empereur est près de nous sur un tertre au bord d'un chemin creux que nous allons franchir sous ses yeux en le saluant de nos vivats. A l'instant la charge bat, nos têtes de colonnes s'élancent dans le ravin par sections et demi-sections suivant le terrain et les issues ; chaque régiment suit le mouvement au pas de course et nous sommes bientôt au-delà de Ligny que plus de cinq heures de combats acharnés n'avaient pu mettre complètement en notre pouvoir. Mais cette fois il est définitivement enlevé à la baïonnette. Nous marchons malgré nous quelquefois même nous trébuchons sur des monceaux de cadavres dont sont encombrées les rues de Ligny, mais, grâce au ciel, quelques minutes ont suAi pour nous faire franchir cette espèce de vallée de Josaphat où morts et vivants sont pêle-mêle. Nos têtes de colonne se reforment au bas du coteau car nous avons encore à monter à l'assaut des masses qui nous attendent pour nous foudroyer à notre apparition sur les mamelons qu'elles occupent en force .
Notre régiment était à mi-côte du premier mamelon lorsque les grenadiers à cheval, les dragons de la Garde ainsi que les cuirassiers du général Delort sortirent de ce défilé et se reformèrent au grand trot, par escadrons, pour compléter la victoire. Ce hourrah général de trois mille hommes de grosse cavalerie avait quelque chose de prodigieux et d'effrayant. Ce fut en cette circonstance que le crépuscule rendait encore plus confuse que le maréchal Blücher eut son cheval tué dans l'attaque qu'il commandait en personne .
En effet, Blücher, en apprenant ce qui se passait à Ligny, était accouru de St Amand et avait chargé la cavalerie française avec tout ce qu'il avait pu rassembler. Précipité au sol et immobilisé sous le poids de son cheval atteint d'un coup de feu, toute une charge de cuirassiers l'avait dépassé deux fois, mais l'obscurité l'avait dérobé, ainsi que son aide de camp, à la vue des cavaliers de Delort et un retour offensif de dragons prussiens l'avait délivré. Lorsqu'on réfléchit aux pertes de temps le matin à Châtelet, conséquence en partie de la trahison de Bourmont, et à celle résultant des marches insolites du corps de d'Erlon, on peut se demander comment les choses auraient tourné si l'obscurité n'était venue arrêter les combats qui ne s'éteignirent que passé vingt-deux heures.
Mais on n'écrit pas l'histoire avec des si ; on ne peut que constater les faits, Comme si les éléments avaient voulu se joindre aux fureurs des humains, un orage avait éclaté, épaississant les ombres du crépuscule. I es Prussiens se retirèrent du champ de bataille et, après s'être barricadés à Sombreffe et à Brye, battirent en retraite avant l'aube du 17, le corps de Thielman vers Gembloux, ceux de Ziethen et de Pirch I vers Mont-St- Guibert par Tilly, Mellery, Gentinnes, en direction de Wavre où le corps de Bülow rejoignit Blücher par Dion-le-Mont.
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Telle fut la journée de Ligny la dernière victoire de Napoléon, qui n'atteignit pas l'ampleur qu'il en avait espéré, c'est-à-dire la destruction de l'armée prussienne, car le regroupement de son armée autour de Wavre allaif pcrmettre au tenace Blücher de venir sauver Wellington en tombant dans le flanc droit des Français à Plancenoit en cette fin d'après-midi du 18. Mais l'objet de cette étude n'est pas de décrire les circonstances atmosphériques et humaines qui, malgré Ligny, aboutirent au désastre de Waterloo et... à Ste Hélène.
Général Major Honoraire H.J. COUVREUR
La bataille de Ligny du 16 juin 1815, ~ dernière victoire de l'Empereur ~
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