Assumons le débat sur le burkini
Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet interdisant les tenues qui manifestent, de manière ostensible, une appartenance religieuse. Il a jugé que la mairie n’avait pas établi le risque de trouble à l’ordre public et qu’elle avait par conséquent excédé ses pouvoirs.
Toute décision d’interdiction doit effectivement établir le risque d’atteinte à l’ordre public et être appliquée avec discernement – j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises. Mais, comme vient de le rappeler le ministre de l’Intérieur, le Conseil d’Etat « ne prive pas les maires de ce pouvoir ; il en rappelle à nouveau les conditions de son exercice, dans un cadre juridique conforme aux principes constitutionnels. »
Cependant, cette ordonnance du Conseil d’Etat n’épuise pas le débat qui s’est ouvert dans notre société sur la question du burkini. Ce débat n’est pas anodin. C’est un débat de fond, qui vient après d’autres : il y a trente ans, la question du foulard dans les écoles, puis la loi de 2004 sur le port de signes religieux, et celle de 2010 sur le voile intégral dans l’espace public.
Bien sûr, il ne faut pas être dupe de ceux, à droite et à l’extrême-droite, qui exploitent ce débat pour pointer du doigt les musulmans. Mais au-delà, une question fondamentale se pose : dénoncer cette tenue, est-ce stigmatiser les musulmans, ou bien est-ce justement le port de signes prosélytes de cette nature qui est un risque pour tous les musulmans de France, alors assimilés à l’islamisme politique militant ?
Je veux répondre clairement : dénoncer le burkini, ce n’est en aucun cas mettre en cause une liberté individuelle. Il n’y a pas de liberté qui enferme les femmes ! C’est dénoncer un islamisme mortifère, rétrograde. Une vision que je n’accepte pas au nom même de la place que l’Islam doit trouver dans notre société.
Car il faut faire une distinction très claire. C’est, je crois, la clé du débat.
Il y a, d’une part, cet islamisme politique, qui instrumentalise une religion, qui est le fait d’une minorité. Le burkini n’est pas un signe religieux, c’est l’affirmation dans l’espace public d’un islamisme politique.
Il y a, d’autre part, la très grande majorité des musulmans, qui savent bien que le burkini est l’alliance improbable entre le mot bikini et le mot burqa – un mot qui dit bien ce qu’il veut dire !
Ces Français musulmans savent qu’ils sont une part de la culture française. Qu’ils soient pratiquants ou non, ils forment une composante essentielle de la France. Cette composante s’est diversifiée, profondément mêlée à toutes les autres composantes de notre société, à la suite de mariages mixtes, de combats politiques, sociaux, à la suite d’engagements pour la France, dans la guerre et dans la vie quotidienne. C’est une chance, il faut le redire.
Une fois cette distinction faite, la question se pose de ce qu’il faut faire, face au burkini, face aux manifestations d’un islamisme politique.
Le combat est juridique, chaque fois qu’un risque de trouble à l’ordre public sera établi. Mais le combat est d’abord, et avant tout, politique, au sens le plus profond du mot, culturel, pour dire ce que nous n’acceptons pas, car cela met en danger la cohésion de la Nation.
Le silence serait sans doute plus confortable, pour ne pas risquer les généralisations, pour ne pas aviver des plaies ouvertes au sein de la société française. Mais rester silencieux, comme par le passé, c’est un petit renoncement. Une démission de plus. Petit à petit, c’est alors notre pacte républicain qui se fissure sous le poids des communautarismes et des réflexes xénophobes qu’ils engendrent.
Les Français, tous les Français, et les musulmans eux-mêmes, attendent un regard lucide, des réponses claires.
Ils attendent qu’un Islam de son temps, revendiquant pleinement les valeurs de la République, l’emporte. Et c’est en premier lieu aux musulmans de France de le construire, de mener ce combat culturel. Ils sont les premiers confrontés à la violence du message salafiste, radical.
L’Etat est là pour accompagner et protéger les musulmans de France. Il doit être implacable face aux actes anti-musulmans, comme il doit être implacable face aux actes antisémites, anti-chrétiens ou racistes.
Avec le ministre de l’Intérieur, nous avons voulu relancer la construction d’un Islam de France, apaisé, indépendant des influences étrangères. Bernard Cazeneuve fera des propositions ce lundi.
L’Etat est là pour réaffirmer ce qui fait, depuis plus d’un siècle, la condition de notre vie en société : la laïcité. Elle n’est pas la négation du fait religieux. Elle n’est pas un instrument pour viser ou exclure une religion en particulier. Je n’accepte pas ceux qui utilisent l’argument de la laïcité pour pointer du doigt les Français musulmans. Elle est ce socle républicain qui accueille chacun en son sein, quelle que soit sa culture, quelle que soit son histoire. Elle est cette liberté moderne, émancipatrice, qui consiste à tirer une ligne nette entre ce qui relève du temporel et des choix spirituels de chacun. La laïcité, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire. Mais c’est l’exigence, aussi, de ne jamais imposer ses croyances ou ses pratiques à l’autre. Cet équilibre, la France a su le construire. C’est sa singularité. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’elle est visée. Cet équilibre, c’est une part de notre identité. Nous devons tous le défendre.
Manuel Valls
Premier ministre de la France
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