Chaque jour je deviendrai toi plus légitimement, plus profondément.
Lettre de Jules Michelet à Athénaïs Mialaret
22 janvier 1849
Dans l’amour, ce n’est pas immédiatement que doit se manifester l’effort vers l’unité. Si cet effort est brusque, il brise, il supprime les différences en supprimant l’objet même. Et alors, ce n’est plus l’amour.
Le respect de la liberté est une vertu, une force, et une tendresse aussi. A celle qui voudrait abdiquer il dit : « Oh ! sois toi-même, et garde-toi, objet charmant, conserve-la, ta fierté, la libre originalité de ton génie ! Que puis-je désirer, sinon que tu deviennes toi-même de plus en plus, que tu t’augmentes toi-même et la raison d’aimer que je trouve en toi. » Voilà la marque du véritable amour. Avant tout, il respecte la différence, il encourage la liberté.
Maintenant, à toi d’examiner si tu peux, dans un si grand rapport de cœur, devenir entièrement toi-même, sans accepter quelque chose de celui qui est toi-même de volonté, et de désir ardent, immense, de te complaire et de s’assimiler à toi.
La différence de nos deux natures est d’ailleurs plus extérieure et apparente que réelle, si bien que l’unité voulue avec douceur, lenteur, patience, se fera d’elle-même, et que chaque jour je deviendrai toi plus légitimement, plus profondément.
En sorte que si ta jeune nature ailée t’envolait ailleurs, te changeait, te conduisait à t’oublier, tu te retrouverais, enfant, en celui qui déjà te conserve entière et inattaquable, hors des mondes du changement, au profond trésor de son cœur.
L’assimilation de deux volontés en une, c’est un art, le plus grand des arts, le plus inconnu.
Comment l’appeler ?
Communication d’esprit et de cœur ?
Éducation ?
Initiation ?
Peut-être ces trois qualificatifs à la fois.
Cet art est-il nouveau ? Les âges précédents l’ont-ils ignoré ?
Non. L’antiquité l’a connu, par ses deux extrêmes : l’éducation très libre pour les libres, très dure et très esclave pour l’esclave et toute personne dépendante.
Le moyen âge a cherché une solution entre ces deux extrêmes ; il a cherché avec passion, plus encore qu’avec amour, et il a trouvé, employé des moyens très efficaces, mais trop souvent de surprise et de ruse.
Ainsi, il a enveloppé l’objet aimé, l’âme ! il l’a surprise dans son sommeil et liée endormie, ou bien encore, l’a endormie pour la lier.
Cela n’est pas loyal.
Celui qui aime vraiment ne demande la fusion des volontés qu’à la volonté elle-même, à la liberté. Il agit sous le soleil, en pleine lumière.
Ce qu’il désire, justement, c’est d’être vu à fond, et pleinement pénétré.
Tout ce qu’il craint, c’est de ne pas être vu profondément ; car l’âme à laquelle il s’adresse, qu’a-t-elle à voir en lui ?
Rien qu’elle-même, et l’abîme d’amour qu’elle a creusé. C’est cet insondable abîme qu’il voudrait qu’elle pût sonder, et son tourment est de n’avoir jamais pour elle assez de jour et de lumière.
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