24 Juin - Saint Jean-Baptiste
Nativité de saint Jean-Baptiste (1er s.)
" Nul ne s'est jamais rencontré qui fut plus grand que saint Jean-Baptiste. Il surpasse tous les autres, il brille au-dessus de tous ; auprès de lui les prophètes et les patriarches ne sont que des ombres, et tout homme né de la femme sera toujours impuissant à l'égaler."
Saint Thomas d'Aquin. Part. III, quest. 38, art. 1.
" Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez les sentiers du Seigneur ; voici votre Dieu !" (Isai. XL, 3, 9.).
Oh ! qui, dans notre siècle refroidi, comprendra les transports de la terre à cette annonce si longtemps attendue ? Le Dieu promis n'est point manifesté encore ; mais déjà les cieux se sont abaissés (Psalm. XVII, 10.) pour lui livrer passage. Il n'a plus à venir, celui que nos pères, les illustres saints des temps prophétiques, appelaient sans fin dans leur indomptable espérance. Caché toujours , mais déjà parmi nous, il repose sous la nuée virginale près de laquelle pâlit pour lui la céleste pureté des Chérubins et des Trônes ; les ardeurs réunies des brûlants Séraphins se voient dépassées par l'amour dont l'entoure à elle seule , en son cœur humain, l'humble fille d'Adam qu'il s'est choisie pour mère.
La terre maudite, devenue soudain plus fortunée que l'inexorable ciel fermé jadis à ses supplications, n'attend plus que la révélation de l'auguste mystère ; l'heure est venue pour elle de joindre ses cantiques à l'éternelle et divine louange qui, dès maintenant, monte de ses profondeurs, et, n'étant autre que le Verbe lui-même, célèbre Dieu comme il mérite de l'être. Mais sous le voile d'humilité où, après comme avant sa naissance, doit continuer de se dérober aux hommes sa divinité, qui découvrira l'Emmanuel ? Qui surtout, l'ayant reconnu dans ses miséricordieux abaissements, saura le faire accepter d'un monde perdu d'orgueil, et pourra dire, en montrant dans la foule le fils du charpentier (Matth. XIII, 55.) : " Voilà celui qu'attendaient vos pères !"
Car tel est l'ordre établi d'en haut pour la manifestation du Messie : en conformité de ce qui se fait parmi les hommes, le Dieu fait homme ne s'ingérera pas de lui-même dans les actes de la vie publique ; il attendra, pour inaugurer son divin ministère, qu'un membre de cette race devenue la sienne, un homme venu avant lui, et doué à cette fin d'un crédit suffisant, le présente à son peuple.
Rôle sublime, qui fera d'une créature le garant de Dieu, le témoin du Verbe ! La grandeur de celui qui doit le remplir était signalée, comme celle du Messie, longtemps avant sa naissance. Dans la solennelle liturgie du temps des figures, le chœur des lévites, rappelant au Très-Haut la douceur de David et la promesse qui lui fut faite d'un glorieux héritier, saluait de loin la mystérieuse lumière préparée par Dieu même à son Christ (Psalm. CXXI, 17.). Non que, pour éclairer ses pas, le Christ dût avoir besoin d'un secours étranger : splendeur du Père, il n'avait qu'à paraître en nos obscures régions, pour les remplir de la clarté des cieux ; mais tant de fausses lueurs avaient trompé l'humanité, durant la nuit des siècles d'attente, que la vraie lumière, s'élevant soudain, n'eût point été comprise, ou n'eût fait qu'aveugler des yeux rendus impuissants par les ténèbres précédentes à porter son éclat.
L'éternelle Sagesse avait donc décrété que comme l'astre du jour est annoncé par l'étoile du matin, et prépare sa venue dans la clarté tempérée de l'aurore ; ainsi le Christ lumière serait précédé ici-bas d'un astre précurseur, et signalé parle rayonnement dont lui-même, non visible encore, revêtirait ce fidèle messager de son avènement. Lorsque autrefois le Très-Haut daignait pour ses prophètes illuminer l'avenir, l'éclair qui, par intervalle, sillonnait ainsi le ciel de l'ancienne alliance s'éteignait dans la nuit, sans amener le jour ; l'astre chanté dans le psaume ne connaîtra point la défaite ; signifiant à la nuit que désormais c'en est fini d'elle, il n'éteindra ses feux que dans la triomphante splendeur du Soleil de justice. Aussi intimement que l'aurore s'unit au jour, il confondra avec la lumière incréée sa propre lumière ; n'étant de lui-même, comme toute créature, que néant et ténèbres, il reflétera de si près la clarté du Messie, que plusieurs le prendront pour le Christ (Luc. III, 15.).
La mystérieuse conformité du Christ et de son Précurseur, l'incomparable proximité qui les unit, se retrouvent marquées en maints endroits des saints Livres. Si le Christ est le Verbe, la parole éternelle du Père, lui sera la Voix portant cette parole où elle doit parvenir ; Isaïe l'entend par avance qui remplit d'accents jusque-là inconnus le désert, et le prince des prophètes exprime sa joie dans l'enthousiasme d'une âme qui déjà se voit en présence de son Seigneur et Dieu (Isai. XL.).
Le Christ est l’ange de l’alliance ; mais dans le texte même où l'Esprit-Saint lui donne un titre si rempli pour nous d'espérance, paraît aussi portant ce. nom d'ange l'inséparable messager, l'ambassadeur fidèle à qui la terre devra de connaître l'Epoux :
" Voici que j'envoie mon ange qui préparera le chemin devant ma face, et aussitôt viendra dans son temple le dominateur que vous cherchez, l'ange de l'alliance que vous réclamez ; voici qu'il vient, dit le Seigneur des armées." (Malach. III, 1.).
Et mettant fin au ministère prophétique dont il est le dernier représentant, Malachie termine ses propres oracles par les paroles que nous avons entendu Gabriel adresser à Zacharie, pour lui notifier la naissance prochaine du Précurseur (Ibid. IV, 5, 6.).
La présence de Gabriel en cette occasion, montrait elle-même combien l'enfant promis alors serait l'intime du Fils de Dieu ; car le même prince des célestes milices allait aussi, bientôt, venir annoncer l'Emmanuel. Nombreux pourtant se pressent les messagers fidèles au pied du trône de la Trinité sainte, et le choix de ces augustes envoyés varie, d'ordinaire, selon la grandeur des instructions que le Très-Haut transmet par eux au monde. Mais il convenait que l'archange chargéde conclure les noces sacrées du Verbe avec l'humanité, préludât à cette grande mission en préparant la venue de celui que les décrets éternels avaient désigné comme l’ Ami de l'Epoux (Johan. III, 29.).
Six mois après, député vers Marie, il appuyait son divin message en révélant à la Vierge très pure le prodige qui, dès maintenant, donnait un fils à la stérile Elisabeth : premier pas du Tout-Puissant vers une merveille plus grande. Jean n'est pas né encore ; mais, sans plus tarder, son rôle est ouvert : il atteste la vérité des promesses de l'ange. Ineffable garantie que celle de cet enfant, caché toujours au sein de sa mère, et déjà témoin pour Dieu dans la négociatio sublime qui tient en suspens la terre et les deux ! Eclairée d'en haut, Marie reçoit le témoignage et n'hésite plus :
" Voici la servante du Seigneur, dit-elle à l'archange ; qu'il me soit fait selon votre parole." (Luc. I.).
Gabriel s'est retiré, emportant avec lui le secret divin qu'il n'est point charge de communiquer au reste du monde. La Vierge très prudente ne parlera pas davantage ; Joseph lui-même, son virginal époux, n'aura pas d'elle communication du mystère. Ne craignons point cependant : l'accablante stérilité dont le monde a gémi, ne sera pas suivie d'une ignorance plus triste encore, maintenant que la terre a donné son fruit (Psalm. LXXXIV, 13.). Il est quelqu'un pour qui l'Emmanuel n'aura ni secret, ni retard ; et lui saura bien révéler la merveille. A peine l'Epoux a-t-il pris possession du sanctuaire sans tache où doivent s'écouler les neuf premiers mois de son habitation parmi les hommes, à peine le Verbe s'est fait chair : et Notre-Dame, instruite au dedans du désir de son Fils, se rend en toute hâte vers les monts de Judée (Luc. I, 39.). Voix de mon bien-aimé ! Le voici qui vient, bondissant sur les montagnes, franchissant les collines (Cant. II, 8.). A l'ami de l'Epoux sa première visite, à Jean le début de ses grâces. Une fête distincte nous permettra d'honorer spécialement la journée précieuse où l'Enfant-Dieu, sanctifiant son Précurseur, se révèle à Jean par la voix de Marie ; où Notre-Dame, manifestée par Jean qui tressaille en sa mère, proclame enfin les grandes choses que le Tout-Puissant a opérées en elle selon la miséricordieuse promesse qu'il fit autrefois à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour jamais (Luc. I, 55.).
Mais le temps est venu où, des enfants et des mères, la nouvelle doit s'étendre au pays d'alentour, en attendant qu'elle parvienne au monde entier. Jean va naître, et, ne pouvant parler encore, il déliera la langue de son père. Il fera cesser le mutisme dont le vieux prêtre, image de l'ancienne loi, avait été frappé par l'ange ; et Zacharie, rempli lui-même de l'Esprit-Saint, va publier dans un cantique nouveau la visite bénie du Seigneur Dieu d’Israël (Luc. I, 68.).
HYMNE
Ce que l'on connaît mieux, est l'importance que la première de ces strophes a conquise dans l'histoire du chant grégorien et de la musique. L'air primitif sur lequel on chantait l'Hymne de Paul Diacre, offrait cette particularité que la syllabe initiale de chaque hémistiche s'élevait d'un degré sur la précédente dans l'échelle des sons ; on obtenait, en les rapprochant, la série des notes fondamentales qui forment la base de notre gamme actuelle. L'usage s'introduisit de donner aux notes elles-mêmes les noms de ces syllabes : Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La.
Gui d'Arezzo, par sa méthode d'enseignement, avait donné naissance à cet usage ; en le complétant par l'introduction des lignes régulières de la portée musicale, il fit faire un pas immense à la science du chant sacré, auparavant laborieuse et longue à acquérir. Il convenait que le divin Précurseur, la Voix dont les accents révélèrent au monde l'harmonie du Cantique éternel, eût cet honneur de voir se rattacher à son nom l'organisation des mélodies de la terre.
" Ut queant laxis resonare fibris
Mira gestorum famuli tuorum,
Solve polluti labii reatum, Sancte Johannes.
Nuntius celso veniens olympo.
Te patri magnum fore nasciturum,
Nomen et vitae seriem gerenda ;
Ordine promit.
Ille, promissi dubius superni,
Perdidit promptae modulos loquelae ;
Sed reformasti genitus peremptae
Organa vocis.
Ventris obstruso recubans cubili,
Senseras regem thalamo manentem :
Hinc parens, nati meritis, uterque
Abdita pandit.
Sit decus Patri, genitaeque Proli,
Et tibi, compar utriusque virtus Spiritus,
Semper, Deus unus, omni Temporis aevo.
Amen."
V/. Fuit homo missus a Deo,
R/. Cui nomen erat Johannes.
" Pour que d'une voix étendue et puissante vos serviteurs fassent retentir les merveilles de vos actes, bannissez, Ô saint Jean, l'indignité de nos lèvres souillées.
Un messager venu des célestes sommets annonce à votre père que vous naîtrez et serez grand ; le nom que vous porterez, la vie que vous mènerez, il expose par ordre toutes choses.
Lui doute des célestes promesses, et soudain il n'a plus le pouvoir d'articuler les sons ; mais, en naissant, vous restaurez l'organe de sa voix éteinte.
Reposant dans le secret des entrailles maternelles, vous aviez senti la présence du roi séjournant en sa couche nuptiale ; en suite de quoi, par le mérite de leur fils, votre père et votre mère découvrirent tous deux les mystères.
Honneur au Père, et au Fils qu'il engendre, ainsi qu'à vous, puissance éternellement égale aux deux, Ô Esprit, Dieu unique, dans toute la suite des âges.
Amen."
V/. Il y eut un homme envoyé par Dieu,
R/. Dont le nom était Jean.
PRIERE
" Précurseur du Messie, nous partageons la joie que votre naissance apporta au monde. Elle annonçait la propre naissance du Fils de Dieu. Or, chaque année, l'Emmanuel prend vie à nouveau dans l'Eglise et les âmes ; et, pas plus aujourd'hui qu'il y a dix-huit siècles, il ne veut naître sans que vous-même ayez, comme alors, préparé les voies à cette nativité qui donne à chacun de nous son Sauveur. A peine s'achève, au Cycle sacré, la série des mystères qui ont consommé la glorification de l'Homme-Dieu et fondé l'Eglise, que déjà Noël se montre à l'horizon ; déjà, dans son berceau, Jean tressaille et révèle l'approche de l'Enfant-Dieu. Doux prophète du Très-Haut, qui ne pouvez parler encore et déjà, pourtant, dépassez tous les princes de la prophétie, bientôt le désert, comme nous le redirons, semblera vous avoir ravi pour jamais au commerce des hommes. Mais dans les jours de l'Avent, l'Eglise vous aura retrouvé ; elle nous ramènera sans cesse à vos enseignements sublimes, aux témoignages que vous rendrez à Celui qu'elle attend. Dès maintenant, commencez la préparation de nos âmes ; redescendu sur notre terre en ce jour d'allégresse, venu comme messager de la prochaine arrivée du Seigneur, pourriez-vous un instant rester oisif devant l'œuvre immense qui vous incombe en nous ?
Chasser le péché, dompter les vices, redresser les instincts faussés de la pauvre nature déchue : tout cela devrait être accompli sans doute, tout cela serait achevé dès longtemps, si nous avions répondu fidèlement à vos labeurs passés. Il n'est que trop vrai pourtant ; c'est à peine s'il semble, en plusieurs, que le défrichement ait jamais commencé : terres rebelles, où les pierres et les ronces défient vos soins depuis des années. Nous le reconnaissons, dans la confusion de nos âmes coupables : nous confessons nos fautes à vous et au Dieu tout-puissant, comme l'Eglise nous apprend à le faire au début du grand Sacrifice ; mais, en même temps, nous vous prions avec elle d'intercéder pour nous auprès du Seigneur notre Dieu. Vous le proclamiez au désert : de ces pierres mêmes, Dieu peut toujours faire sortir des fils d'Abraham.
Chaque jour, les solennelles formules de l'oblation qui prépare l'immolation sans cesse renouvelée du Sauveur, nous apprennent la part honorable extrêmement puissante qui vous revient dans cet auguste Sacrifice ; votre nom, de nouveau prononcé lorsque la victime sainte est sur l'autel, supplie alors pour nous pécheurs le Dieu de toutes miséricordes. Puisse-t-il, en considération de vos mérites et de notre misère, être propice à la prière persévérante de notre mère l'Eglise, changer nos cœurs, et remplacer leurs attaches mauvaises par les attraits des vertus qui nous vaudront la visite de l'Emmanuel !
A ce moment sacré des Mystères, trois fois invoqué selon la formule même que vous nous avez apprise, l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde aura lui-même pitié de nous et nous donnera la paix : cette paix précieuse avec le ciel, avec la terre, avec nous-mêmes, qui nous préparera pour l'Epoux en nous rendant les fils de Dieu (Johan I, 12 ; Matth. V, 9.) selon le témoignage que, chaque jour également, vous renouvelez par la bouche du prêtre au sortir de l'autel. Alors votre joie et la nôtre sera complète, ô Précurseur ; l'union sacrée, dont ce jour de votre nativité renferme pour nous l'espérance déjà si joyeuse, sera devenue, dès cette terre et sous les ombres de la foi, une réalité sublime, en attendant la claire vision de l'éternité."
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