Les enseignements de la crise grecque...
Après la crise financière des subprimes, nous risquons de connaître celle encore plus grave des Etats en faillite. Pour certains, ce n’est pas seulement l’euro mais aussi l’Union européenne qui est en danger. Il est temps de tirer les leçons de la faillite de l’Etat grec.
L’euro est une bonne chose, mais pour être viable, il devrait être le reflet d’économies coordonnées et harmonisées. De plus, à la différence des Etats-Unis, l’Europe ne dispose pas de fond fédéral habilité à injecter des milliards pour rééquilibrer les comptes d’Etats en faillite. Ainsi, depuis l’abandon des monnaies nationales, le rééquilibrage des comptes ne peut plus se faire en douceur par des moyens comme la dévaluation, mais uniquement par la solution brutale des politiques d’austérité drastiques, tel le plan adopté par le gouvernement grec qui fait payer la facture au peuple : gel des retraites, baisse des revenus des employés du public, réduction des primes salariales, augmentation de la TVA et des prix de plusieurs produits, etc. Des sacrifices qui seront contestés par la violence des rues. Car la Grèce est déjà au bord de l’explosion. Il est clair que en attendant que les politiques économiques européennes soient harmonisées, en attendant que l'Europe des 27 ( ou même l'Eurogroupe, pas beaucoup plus harmonisé) devienne une zone économique et monétaire optimale, viable, le dogme actuel de l'euro fort va continuer à faire des dégats.
« Les Européens vivent tous au-dessus de leurs moyens »
C’est en tout cas ce que craint Jean-Luc Schaffaeuser (*), l’influent et discret conseiller des princes qui avait prévu la crise des subprimes dès 2005, « l’injustice perçue par l’opinion repose sur le constat que les mêmes Etats qui ont dépensé des milliards pour sauver des banques responsables de la crise financière (dont beaucoup auraient dû être sanctionnées), refusent de débourser un euro pour sauver les peuples »… Par ailleurs, la grave erreur est de croire que la crise est terminée ou que la reprise est là. Car « la crise est profonde et structurelle. Les Européens – et pas seulement les Grecs – vivent tous au-dessus de leurs moyens ». Le déficit public français a pris plus de 20 % de plus en trois ans : sur cette lancée, dans quatre ans, la France connaîtra la même tragédie que la Grèce… Au niveau européen, en effet, le problème de fond n’a pas été traité : les déficits publics de plusieurs Etats menacés de faillite sont intenables.
D’après un autre expert iconoclaste, Jean Ewald Kramer (**), haut fonctionnaire international ayant contribué à la création de l’euro, l’exclusion de l’euro des « très mauvais élèves » comme la Grèce permettrait d’éviter le pire. Athènes pourrait régler son problème d’endettement colossal en « adoptant le drachme, dont la parité de change inférieure rendrait les exportations plus compétitives, ce qui « permettrait de rétablir une balance commerciale assez positive pour générer des revenus imposables supplémentaires, lesquels permettraient d’augmenter les recettes fiscales, d’où une réduction de la dette du pays ». D’ailleurs « rien juridiquement ne s’opposerait à ce que la Grèce, Etat souverain, transforme par une loi sa dette en euros en une dette libellée en drachmes », comme le gouvernement français le fit en 1999, en transformant sa dette (libellée en francs) en une dette en euros. Mais cette option est totalement exclue par l’Eurogroupe et la BCE.
Une Europe à géométrie variable
L'euro serait « plus viable s’il prévoyait, grâce à un contrôle strict des banques commerciales par la BCE, de pratiquer autant de politiques monétaires que de pays, selon qu’ils sont en croissance ou en récession, car rien dans le Traité de l’UE ne l’interdit. Pour Kramer, la BCE devrait donc réformer sa politique monétaire, en pratiquant des taux différenciés par groupes d’Etats Membres » présentant des caractéristiques d’homogénéité économique. En conclusion, il semblerait qu’une Europe à géométrie variable ou à plusieurs cercles (ou à cercles concentriques, pour reprendre la célèbre formule de Jacques Delors), serait plus réaliste qu’une Europe unique niant les disparités persistantes sans pouvoir y remédier. En fait, tout le problème de l'Europe actuelle réside dans le fait qu'elle détruit les souverainetés nationales sans créer une réelle souveraineté. Elle détruit les monnaies et donc les politiques budgétaires des Etats membres, mais sans permettre une véritable politique économique et monétaire européenne cohérente et efficace. La Banque centrale européenne prétend justifier son dogme de l'Euro fort et du non-interventionnisme "fédéral" en prenant l'exemple de l'indépendance de la FED américaine. Mais l'exemple n'est pas valable. Car les Etats-Unis ont une politique économique coordonnée. La Fed n'est pas si indépendante ou plutôt si indifférente aux politiques économiques fédérales qu'on le dit. Et l'Etat fédéral peut intervenir en injectant des milliards dans l'économie en cas de nécessité. L'Europe veut être comparée aux Etats-Unis, mais elle n'est qu'une organisation supranationale à prétention fédérale (vaine) dont le vrai pouvoir décisionnel, les Etats réunis en Conseil européen, ne peut pas prendre de décisions signifiantes et utiles pour l'Europe. Car aucun de ces Etats membres n'est d'accord avec les autres et n'a vraiment intérêt à raisonner en "nation européene". D'où le fait que notre chère Commission européenne passe son temps à pondre des directives, règlements et autres mesures en matière d'harmonisation des dioxydes de carbones, des confitures, des compositions des peintures, des façons de mettre en bocal les fromages, sans oublier les fascinantes mesures relatives à l'harmonisation des règles d'urbanismes, des normes d'habitat, des systèmes de conditionnement, des droits des minorités sexuelles et autres sujets "majeurs" pour l'avenir de l'Europe.. .
(*) La crise financière : stop ou encore ?, Jean-Luc Schaffaeuser, à paraître. ** L’Euro, Jean Ewald Kramer, Les Syrtes, 2008.
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