Chers lecteurs, veuillez trouver ci-joint l'interview la plus complète jamais accordée à la presse francophone par la célèbre essayiste et opposante Taslima Nasreen, qui continue son combat de par le monde, entre l'Inde, les États-Unis et Paris. Un combat en faveur des femmes et, d’une manière plus générale, pour la liberté d’expression et de penser en terre d'Islam et ailleurs.
Son témoignage est saisissant. Il permettra à ceux qui ne connaissent pas la réalité quotidienne de pays comme le Bengladesh, où est née Taslima, de comprendre à quel point la progression de l'idéologie islamiste radicale peut être terrifiante pour les Musulmans libres comme pour les non-musulmans. Taslima Nasreen dénonce d'ailleurs avec autant de virulence les persécutions dont sont victimes les minorités musulmanes ou les Intouchables en Inde et dont les intégristes hindouïstes sont les instigateurs.
Politique Intern ationale est la plus influente revue francophone consacrée aux questions internationales. Dirigée depuis trente ans par Patrick Wajsman (responsable des relations internationales de l'UMP entre 2006 et 2008), cette prestigieuse publication décerne un Prix du "Courage Politique". Parmi les heureux récipiendaires, on peut citer notre Président Nicolas Sarkozy et, avant lui, Anouar el-Sadate et Ss le Pape Jean Paul II (pour sa contribution au démantèlement du communisme en Europe). En matière de courage politique Taslima Nasreen mériterait, elle aussi, d’être reconnue pour son combat inlassable qui continue de lui valoir maintes f atwa, menaces de mort et exils successifs.
(Prochain entretien: Magdi Cristiano Allam, Eurodéputé, écrivain à succès et journaliste italien d'origine égyptienne, devenu chrétien et ami d'Israël..., lui aussi condamné à mort par les islamistes radicaux).
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Taslima Nasreen est née au Bengladesh (à l’époque Pakistan oriental) en 1962 dans une famille aisée et cultivée, de confession musulmane. Médecin gynécologue de formation, elle exerça dès 1986 dans un hôpital public. La vie et la carrière de Taslima Nasreen bascule en 1994 à la suite de la parution de son premier roman Lajja (La Honte), qui dénonçait les persécutions subies par les « infidèles » hindouistes dans le Bangladesh islamique. Menacée de mort par les islamistes, bannie par son propre pays, elle trouve refuge en Suède. C’est là qu’elle reçoit du Par lement européen le prix Sakharov pour la liberté de pensée, puis des autorités suédoises le prix Kurt Tucholsky. Son exil se poursuit en Occident : après la Suède, elle choisit l’Allemagne (1995-1996), puis à nouveau Stockholm (1997) et New York (1998), où vit sa sœur. Elle réside en France de
1999 à 2000 et finit par s’installer à Calcutta, capitale de l'État fédéré indien du Bengale occidental, où l’on parle sa langue maternelle et où elle tente en vain d'obtenir la nationalité indienne. Mais, en mars 2007, sa tête est mise à prix par un mouvement islamiste indien. Une « prime de décapitation » de 500 000 roupies (10 000 euros) est offerte à celui qui réussira à mettre la main sur elle. Contrainte de quitter Calcutta, elle fuit de ville en ville. Le 28 novembre 2007, e lle reçoit l’appui du ministre des Affaires étrangères, Pranab Mukherjee, ainsi que celui des services de renseignement indiens qui l’exfiltrent vers un lieu tenu secret. Persuadée que l’Inde est sa seconde patrie, elle obtient, en février 2008, la prolongation de son visa indien pour six mois.
Mais l’embellie est de courte durée : menacée de mort par les islamistes pour « blasphème » et déçue par la tiédeur des autorités indiennes à son endroit, elle plie bagage le 19 mars 2008 et regagne la Suède. Sous le coup de la colère, elle affirme que « le gouvernement indien ne vaut pas mieux que les fondamentalistes religieux » , l’accusant même d’avoir voulu « l’empoisonner » en lui fournissant des médicaments inadaptés à son hypertension. Depuis, elle semble s’&e circ;tre réconciliée avec sa « seconde patrie » et envisage d’y retourner dès qu’elle aura reçu les garanties nécessaires.
C’est toutefois depuis la Suède qu’elle publie son dernier ouvrage, De ma prison. Le 21 mai 2008, elle reçoit à Paris, des mains de la secrétaire d’État aux droits de l’homme, Rama Yade, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.
Taslima Nasreen s’est installée en France depuis mars 2009, avec l’aide de la Mairie de Paris et de toute une chaîne d’amitiés principalement situées à gauche. Une nouvelle phase de la vie de cette « révolutionnaire laïque » commence dans la patrie des droits de l’homme et de Voltaire. A. D. V.
Alexandre Del Valle — Vous vous êtes installée à Paris depuis quelques mois.
Vous y sentez-vous en sécurité ?
Taslima Nasreen — Oui, je pense que je suis ici en sécurité. J’ai choisi la France, mais il est vrai également que la France m’a choisie. J’y ai reçu, depuis des années, de nombreux témoignages de sympathie et j’y ai des amis fidèles. Je tiens à remercier ici la mairie de Paris, qui m’a soutenue et qui m’a procuré un logement, même si ce soutien est prévu pour une durée assez limitée et si mes difficultés financières ne sont toujours pas résolues.
A. D. V. — Comment vos problèmes ont-ils commencé et comment êtes-vous devenue la cible des islamistes du monde entier ?
T. N. — Tout a commencé au Bangladesh au milieu des années 1990. Je travaillais à l’hôpital. J’étais jeune et j&rsqu o;avais déjà acquis une notoriété internationale grâce à mes premiers best-sellers. De fil en aiguille, de grands organes de presse m’ont demandé de rédiger des rubriques. J’ai accepté et j’ai co mmencé à écrire des articles engagés sur les femmes opprimées, à partir de ma propre expérience de médecin des hôpitaux. C’est à ce moment-là que j’ai commis l’irréparable aux yeux des fondamentalistes : j’ai écrit que les lois religieuses, notamment islamiques, ne devaient pas exister.
A. D. V. — Quand votre vie a-t-elle été mise en danger pour la première fois ?
T. N. — Les islamistes ont mis à sac les bureaux d’un journal qui me publiait et mes éditeurs ont subi des menaces. Mais l’horreur a véritablement fait irruption dans ma vie pendant le Salon du livre du Bangladesh de 1994 : alors que je dédicaçais tranquillement mon roman Lajja, une foule d’islamistes enragés ont brutalement débarqué et se sont mis à tabasser tout le monde. Ils ont brûlé mes livres sur place et ont tenté de me tuer. J’ai été sauvée de justesse par les policiers. Pour la première fois, j’ai senti la mort tout près de moi. Mon destin a basculé d’un coup. Après cela, on m’a raccompagné e à la maison. Les éditeurs et les organisateurs du Salon m’ont fait comprendre qu’il valait mieux que je ne participe plus jamais à un événement de ce genre… Puis le gouvernement s’est emparé de l’affaire. Mon livre fut interdit parce que j’avais eu le malheur de critiquer la loi islamique et fait remarqu er que les Hindous victimes de pogroms et de tortures n’étaient jamais défendus par les pouvoirs publics.
J’étais tout à coup bannie et accusée de blasphème — crime suprême — pour avoir osé dire du mal des religions en général et de la religion musulmane en particulier. Au lieu de me protéger, l’État m’a poursuivie. Entre avril et juin 1994, des millions de fondamentalistes exigèrent que je sois exécutée. Comme le gouvernement tardait à me condamner, de gigantesques manifestations furent organisées à travers le pays pour réclamer ma lapidation. Au comble de la crise, un appel à la grève générale fut lancé ! Aucun bus et aucun train ne quitta le quai et aucun avion ne décolla pendant sept longues journées de grèves qui paralysèrent totalement le pays. Je vous rappelle qu’à la différence de Salman Rushdie, qui vivait en Grande-Bretagne, j’étais alors au milieu de millions de gens qui voulaient ma peau tandis que l’État central me recherchait pour m’enfermer derrière les barreaux…
A. D. V. — Comment vous êtes-vous sortie de ce piège infernal ?
T. N. — J’aurais très bien pu ne pas m’en sortir. Je me suis tout d’abord cachée chez des amis courageux qui ont risqué leur vie pour moi. D’ailleurs, des gens ont été tués pour avoir pris ma défense. Très vite, plus personne n’a voulu prendre mon parti. Certains ont protesté contre les islamistes et leurs grèves, mais ils n’osaient plus me défendre directement car j’étais cataloguée comme « anti-musulmane ». En fait, c’est mon av ocat qui m’a sauvé la vie en me conseillant de ne pas me rendre à la justice. Il m’a expliqué que, si je me retrouvais en prison, je serais rapidement élim inée.
A. D. V. — Comment vous êtes-vous échappée ?
T. N. — C’est grâce à l’Union européenne qui a négocié mon départ avec le Bangladesh. Finalement, la Suède m’a accordé l’asile politique et c’est là que je me suis installée en 1994. J’ai un souvenir très précis de la manière pour le moins musclée dont la police bengalie m’a conduite à l’aéroport. Je me rappelle aussi avoir été surprise par l’accueil officiel que m’avaient réservé les autorités suédoises. Tout s’était accéléré.
A. D. V. — Pourquoi avez-vous quitté si rapidement la Suède ?
T. N. — En réalité, je n’avais pas choisi mon pays d’asile. J’étais prête à vivre n’importe où, et il se trouve que les Suédois se sont manifestés les premiers. D’une certaine manière ils m’ont sauvé la vie. Mais, par la suite, leur comportement n’a pas été irréprochable. Ils ont cherché à se mettre en avant et à exploiter mon image dans un but de marketing politique. Les autorités suédoises se sont montrée s très amicales à mon égard, et puis plus rien. Elles s’en sont lavé les mains. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de partir.
A. D. V. — Pourquoi avez-vous été contrainte de changer si souven t de pays d’accueil ?
T. N. — Après l’exil suédois, j’ai quitté Stockholm pour Berlin, puis à nouveau Stockholm, New York et, finalement, Paris où je suis arrivée en 2000. J’étais très déprimée à cette époque. Ma mère venait juste de mourir. En fait, je change régulièrement de pays à cause des problèmes politiques, mais aussi pour des raisons économiques. Mon errance, d’ailleurs, s’est poursuivie, comme vous le savez.
A. D. V. — Comment s’appelait ce livre qui vous a valu tant de haine au Bangladesh et en Inde ?
T. N. — Le titre de ce livre, que j’ai publié en 2003, était Dwikhon dito (« Split in two »). J’ai écrit ce roman dans un contexte particulier, au moment où le gouvernement du Bangladesh envisageait d’intro duire la loi islamique et la religion musulmane comme religion d’État. Mon objectif était d’expliquer aux gens ce qu’est véritablement la charia. Je voulais leur faire comprendre que la « loi islamique divine » a, en réalité, été dictée par des contingences humaines. Les textes traditionnels eux-mêmes l’attestent. Le livre a été mis à l’index par le gouvernement indien au nom de la « politique d’apaisement » envers les musulmans. Cette politique, partagée par tous les partis indiens, consiste à se concilier les bonnes grâces des musulmans en évitant de parler des sujets qui fâchent. On m’a accusée de discréditer la charia. Or tout ce que j’ai dit, c’est qu’elle découlait des faits et gestes de Mahomet. La polygamie, par exemple, est autorisée par la lo i coranique parce que Mahomet la pratiquait lui-même. Dans mon livre, qui ne parlait d’ailleurs pas spécifiquement de l’islam, mais des femmes en général, je rappelais que, chaque nuit, Mahomet mettait une nouvelle jeune fille dans son lit. J’ai fait l’objet d’un e fatwa pour avoir raconté comment Mahomet s’était glissé dans la couche de sa servante Hafsa. J’ai dit qu’il avait eu des relations sexuelles avec elle alors même qu’elle était mariée et que le texte sacré musulman (les fameux « dits » du Prophète (hadith)) juge cette union admissible.
Je suis coupable d’avoir démontré que maintes lois coraniques ne sont que des légitimations a posteriori des désirs personnels de Mahomet. Une autre tradition « divine » autorise Mahomet à épouser la femme de son beau-fils, s ous prétexte que celui-ci n’est pas son fils de sang, mais un fils adoptif… J’ai aggravé mon cas en critiquant le voile islamique : cette obligation découle du fait que Mahomet fit voiler sa très jolie femme Aicha parce qu’il en était fort jaloux.
Bref, je voulais prouver aux musulmans que les lois islamiques proviennent non pas de Dieu, mais qu’elles sont le reflet des actions personnelles de Mahomet.
Résultat : mon livre a été censuré aussi bien par le g ouvernement bengali que par le gouvernement indien. En Inde, heureusement, une association humanitaire (AFDR, Association for democratic rights) a déposé un recours auprès de la Haute Cour, en 2005, et a obtenu que cette interdiction soit déclarée illégale.
A. D. V. — Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, basé à Genève, a &eac ute;mis une résolution le 27 mars 2008 qui limite la liberté d’expression en cas d’« islamophobie ». Comment réagissez-vous à cette initiative ?
T. N. — Cette résolution fut une très mauvaise nouvelle pour moi. En condamnant le « blasphème » et en tentant d’assimiler la critique des religions à la « diffamation » ou au « racisme », ce texte signe purement et simplement l’arrêt de mort de la liberté d’expression — une liberté d’autant plus fondamentale que c’est d’elle que découlent toutes les autres formes de liberté. Céder sur ce point est extrêmement grave.
En agissant de la sorte, les Nations unies renforcent la position de s fondamentalistes, lesquels n’ont d’autre ambition que de maintenir les communautés musulmanes du monde entier dan s l’obscurantisme. D’une manière générale, les initiatives visant à pénaliser la « diffamation des religions » sont inquiétantes : elles risquent de légitimer les États qui musellent la liberté d’expression et qui se dotent de lois anti-blasphème parfois sanctionnées par la peine capitale.
A. D. V. — Ne doit-on pas limiter la liberté d’expression en cas d’atteinte grave à la dignité des croyants ?
T. N. — Non. Il ne doit pas y avoir de limites à la liberté d’expression. La lutte contre l’« islamophobie » est un instrument politique au service des fondamentalistes islamistes. Elle vise à faire taire les personnalités qui défendent la laïcité et qui dénoncent les crimes de l’islam et surtout de l’islamisme. Étonnamment, alors qu&r squo;il est permis critiquer le christianisme, le judaïsme, l’hindouisme, le bouddhisme et des centaines de « ismes », l’islam, lui, est intouchable !
Or sans liberté de blâmer, aucun progrès n’est possible dans les sociétés islamiques. On ne devrait ressentir aucune crainte à risquer d’être qualifié d’« islamophobe ». La critique de l’islam n’est pas uniquement nécessaire pour les non-musulmans ; elle l’est surtout pour les musulmans eux-mêmes. Tous ceux qui se proclament « pro-musulmans » et qui aiment les peuples de l’islam ne devraient pas encourager les musulmans à adopter des lois anti-femmes fondées sur la religion. Les peuples des États musulmans devraient, au contraire, se battre pour la laïcité et la sécularisation, et s’employer à dissocier la religion de l’État.
A. D. V. — Diriez-vous que l’Europe et les Nations unies capitulent devant le fondamentalisme islamiste ?
T. N. — Certains signes tendent à le montrer. En Grande-Bretagne, par exemple, on commence à appliquer la loi islamique, et les initiatives visant à réprimer l’islamophobie constituent des débuts de limitation de la liberté d’expression.
Cependant, je reste persuadée que, globalement, l’Europe est plus attachée à la liberté d’expression que beaucoup d’autres régions du monde, y compris les États-Unis. L’Europe est bien plus libre et bien plus civilisée que nos pays musulmans. J’espère que cela durera…
A. D. V. — Vous sentez-vous soutenue par les démocraties occidentales ?
T. N. — Je suis contrainte de vivre en exil depuis plus de qua torze années.
C’est vraiment très difficile à supporter. Je reçois, il est vrai, un appui de la part des défenseurs de la laïcité et des humanistes. Mais il est également vrai que la cause que j’incarne est encore trop largement ignorée. Je me sens souvent abandonnée par l’Occident. Bizarrement cela ne m’importe pas autant que je l’aurais cru.
A. D. V. — Avez-vous trouvé en Inde, la plus grande démocratie laïque du monde, le soutien qui vous a manqué au Bangladesh ? Du moins avant votre départ de New Dehli… T. N. — Oui, au début. J’ai reçu de nombreux témoignages d’amitié de la part de personnalités politiques et d’individus isolés, mais pas de partis. Ces derniers m’ont tous progressivement « oubliée » lorsque les ennuis ont co mmencé. Le seul homme politique qui m’a défendue est Jyoti Basu, le vieux chef-patriarche du parti communiste indien, qui a pris fait et cause pour moi. Mais quand les fondamentalistes se sont mis à me menacer, le parti communiste a eu peur de perdre des voix et m’a lâchée. L’autre grand homme politique qui m’a beaucoup défendue au début est le ministre des Affaires étrangères Pranab Mukhergee (membre du Parti du Congrès). Mais lui aussi a dû faire marche arrière quand les fondamentalistes musulmans m’ont attaquée, même s’il me conserve son estime en privé. Après cela, je fus soutenue un temps par le premier ministre, Manmohan Singh, qui est toujours au pouvoir. C’était en 2004. Certains États indiens m’ont également aidée vers 2004. Tous ont fini néanmoins par prendre leurs distances sous la pression des fondamentalistes et au nom de la fameuse « politique d’apaisement » envers l’islam.
A. D. V. — Vous n’avez plus reçu le moindre soutien de vos anciens protecteurs indiens depuis ?
T. N. — Non ! Depuis, aucun parti politique ne m’a accordé la moindre aide ! Ni les communistes, ni les nationalistes-hindouistes du BJP, ni les laïques du Parti du Congrès. L’État du Bengale occidental, dirigé par les communistes, m’a expulsée, suivi par l’État du Rajasthan, aux mains du BJP, sans oublier l’État central de Dehli, tenu par le Parti du Congrès ! Toutes les formations adhèrent à cette « politique d’apaisement » que je viens d’évoquer.
A. D. V. — Dans votre roman, De ma prison (1), vous accusez l’Inde de vous avoir maintenue des mois sous haute surveillance dans « un e chambre de la mort ». D’un autre côté, vous dites vous sentir « seule » en Occident et avoir la nostalgie de l’Inde. Regrettez- vous vos propos ?
T. N. — Non, je ne regrette rien ! Et je le redis ici : le gouvernement indien m’a bel et bien torturée pour apaiser les fondamentalistes musulmans. J’ai toujours voulu et je veux toujours rentrer au Bangladesh, mon pays natal.
Puisque cela n’est pas possible, je souhaite revenir vivre en Inde, où je me sens aussi chez moi, « à la maison ». En tant qu’écrivain, et en tant que défenseur des droits des femmes, je peux encore faire beaucoup. Je peux contribuer à éveiller les consciences des femmes, les aider à conquérir leurs droits et leur liberté. J’ai autant besoin d’elles qu’elles ont besoin de moi.
A. D. V. — Si je vous suis bien, l es hindouistes du BJP — qui sont pourtant hostiles à l’islam — ne vous soutiennent pas. Pas plus que les laïques du Parti du Congrès… T. N. — Exact. Le drame de l’Inde, voyez-vous, c’est que les laïques estiment qu’ils doivent être nécessairement anti-hindouistes et pro-islam, voire pro-islamistes, pour êt re de bons démocrates. L’islam et les fondamentalistes musulmans sont au-dessus de tout soupçon, y compris lorsqu’ils édictent des fatwas contre les femmes ou des écrivains, ou quand ils mettent la tête de ces écrivain à prix... Un Indien « laïque » se doit de ne jamais critiquer un musulman, sous prétexte que les musulmans constituent une minorité et qu’une minorité risque, par nature, d’être persécutée par la majorité. Si l’on suit cette log ique, tous les musulmans méritent d’être défendus, quels que soient les crimes qu’ils aient commis. L’hypocrisie est quelque chose de déconcertant et d’incompréhensible… Une remarque : contrairement à ce que vous dites, je ne pense pas que le BJP soit hostile à l’islam. De nombreux musulmans sont membres du BJP. Ce n’est pas un parti fermé.
A. D. V. — Vous avez l’air d’insinuer que le Parti du Congrès serait responsable — au moins par sa passivité — de la montée de l’islamisme en Inde… T. N. — Il est vrai que lorsque les fon damentalistes musulmans s’acharnent sur moi, les « laïques » restent étrangement silencieux. Pour autant, je ne pense pas que le Parti du Congrès soit directement responsable de la montée de l’islamisme ; je crois, simplement, qu& rsquo;il aurait pu faire beaucoup plus pour lutter contre l’islamisme en Inde. Je n’ignore pas que les gens qui appartiennent à ce parti sont, pour la plupart, sécularisés ; quant à eux, ils savent bien que j’ai raison, mais ils ne peuvent pas rompre la « politique d’apaisement ». Le problème c’est qu’au fond, en politique, l’idéologie importe peu. La seule chose qui compte aux yeux des politiciens, ce sont les petites magouilles qui leur permettent de rester au pouvoir ou de s’y hisser. Ils sont prêts à jeter aux orties tous leurs principes, voire à commettre toutes sortes de crimes et de délits, dans le seul but de glaner les voix des masses ignorantes.
A. D. V. — Votre combat contre l’intolérance s’étend-il aux « intouchables » (dalit s), ces millions d’Indiens « hors castes &raqu o; considérés comme inférieurs?
T. N. — En fait, je défends tous les opprimés. Je défends les Hindous lorsqu’ils sont opprimés au Bangladesh. Je défends les chrétiens lorsqu’ils sont opprimés au Pakistan. Je défends les musulmans lorsqu’ils sont opprimés en Inde ou en Palestine. Et je défends les dalits qui sont des opprimés par essence. Je suis opposée à cet horrible système de castes. Je lutte pour briser ce genre de traditions archaïques. Il faut préciser, pour être juste, que les choses sont en train de changer : pour la première fois, en juin dernier, une femme intouchable a été élue présidente de la chambre basse du Parlement indien. Avant elle, une autre femme intouchable était devenue premier ministre de l’État d’Uttar Pradesh. Mais, au-delà de ces avancées symboliques, de nombreux Indiens continuent de considérer les dalits comme des êtres inférieurs.
A. D. V. — Comment les aidez-vous ?
T. N. — Sur mes deniers personnels ! Je leur verse directement une partie de mes royalties à travers diverses organisations villageoises. Lorsque je résidais en Inde, j’avais plus d’argent (il était plus facile de toucher mes droits
d’auteur) et je pouvais leur consacrer plus de moyens. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aimerais pouvoir y retourner. Je souffre ne plus pouvoir les secourir autant qu’avant. J’aide, par exemple, des réseaux d’écoles à parrainer des étudiants pauvres et méritants. J’ai créé, à cet effet, une association au Bangladesh, que j’ai baptisée du nom de ma mère : « Begum edul wara s cholarship ».
A. D. V. — Ce combat en faveur des dalits pourrait-il vous brouiller avec vos soutiens hindouistes ?
T. N. — Je me bats contre la barbarie, l’obscurantisme, la haine, la bigoterie, le dogmatisme, les inégalités et les injustices, d’où qu’ils viennent. Mes réels soutiens sont tous ceux qui défendent les droits humains, les droits des femmes et l a laïcité. Si les hindouistes, les chrétiens ou les Juifs m’apprécient uniquement parce que je critique l’islam, alors ils risquent de ne pas m’apprécier longtemps, ne serait-ce que parce que je critique aussi l’hindouisme, le christianisme et le judaïsme : je pense que toutes les religions sont fondamentalement opposées aux femmes ! Il est clair que certains hindouistes ne supportent pas que je dénonce leur misogynie. Ils détestent mes écrits qui encouragent les femmes à lutter pour leurs droits et n’hésitent pas se montrer verbalement agressifs envers ma personne…
A. D. V. — Pensez-vous avoir une « mission » à accomplir sur cette terre ? Une mission « laïque » j’entends…
T. N. — Oui, je pense avoir une mission qui consiste à éveiller les consciences. Je veux rendre les gens lucides car j’aime les gens. Certains sont hostiles à l’islam et pas à d’autres religions. Personnellement, je pense que toutes les religions sont mauvaises. Je leur reproche d’avoir p ris en otage la morale et la moralité. Mais pour moi, la plus haute des moralités n’a pas besoin de religion.
Elle se réduit à ce conseil simple : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent. »
A. D. V. — Vous qui po urfendez toutes les religions, comment expliquez-vous que les musulmans soient les seuls à vous poursuivre de leur vindicte ?
T. N. — J’observe, en effet, que lorsque je critique d’autres religions — hindouisme, christianisme, judaïsme — personne ne me menace de mort. Les autres religions semblent tolérer la critique, même si elles ne l’acceptent pas. Bien sûr, il fut un temps, à l’époque de Galilée ou de Giordano Bruno, où les catholiques n’acceptaient pas plus le blasphème que les musulmans aujourd’hui.
Et il en alla de même, à certains moments de l’Histoire, pour les Juifs, les hindouistes ou d’autres. Mais, au XXIe siècle, seuls les musulmans se comportent de la sorte.
A. D. V. — Vous arrive-t-il par fois de perdre espoir ?
T. N. — La tristesse due à l’exil et aux menaces de mort est permanente. J’ai tout perdu : mon pays, ma région, ma famille, mes biens, mes amis, mon adolescence, ma langue, ma culture. J’ai connu les pires expériences qui soient.
Lorsque j’ai dû me cacher, au Bangladesh, dans mon propre pays, condamnée par les fondamentalistes et par l’État, j’ai erré de maison en maison. J’ai parfois dû rester des semaines entières terrée dans tel ou tel endroit, pratiquement sans manger parce que personne ne pouvait me contacter. Je pensais que j’allais mourir. Comment ne pas être découragée dans ces conditions ?
A. D. V. — L’islam peut-il être réformé ?
T. N. — Les religions ne peuvent pas être réformées. Nous avons besoin aujourd’hui d’une véritable révolution qui nous débarrasse des systèmes religieux, q uels qu’ils soient. D’après moi, aucune personne saine d’esprit et rationnelle ne peut croire à ces sornettes. Pourquoi devrions-nous s uivre des préceptes qui datent du VIIe siècle ? Ce qui est essentiel, en revanche, c’est éduquer les musulmans. Il faut ouvrir leur esprit à une vision du monde moderne et scientifique. S’ils se sécularisent progressivement, ils pourront conserver leurs textes religieux en tant que documents historiques, mais ils ne les mettront plus en pratique. Les sociétés qui n’évoluent pas sont des sociétés malades qui se condamnent à rester dans l’arrière-cour des temps modernes.
A. D. V. — Les interventions américaines en Irak et en Afghanistan ont-elles contribué à accentuer le péril islamiste ?
T. N. — Il faut parfois se battre, mais on ne peut pas tout obte nir en faisant la guerre. Le choix de la méthode de combat est capitale. Tuer n’est jamais une solution. De ce point de vue, l’éducation est primordiale. Si vous enseignez à un enfant depuis sa naissance que son devoir religieux consiste à éliminer les ennemis de l’islam, vous aurez un résultat singulièrement dif férent de celui que vous obtiendriez en lui apprenant que les êtres humains sont égaux et qu’ils doivent tous être respectés quelles que soient leurs croyances et leurs origines !
A. D. V. — Opérez-vous une distinction, comme le président Obama, entre l'Irak, où la présence américaine peut être qualifiée d’« illégitime », et l'Afghanistan, où elle devrait au contraire être renforcée pour lutter contre les Talibans et Al-Qaïda ?
T. N. — Je suis tout à fait d'accord avec le président Obama. Mais je ne pense pas que l'on puisse imposer la démocratie et la laïcité de l'extérieur, qui plus est par la force. Les changements doivent venir des pays concernés eux-mêmes.
A. D. V. — Faites vous une différence entre, d’une part, l'islamisme chiite, incarné par Téhéran et, d’autre part, l'islam salafiste, représenté, entre autres, par le Pakistan, les Frères musulmans, l'Arabie saoudite ou les Taliban ?
T. N. — Ces mouvements ne sont pas à mettre sur le mê me pied, mais ils peuvent être tout aussi dangereux les uns que les autres.
A. D. V. — À quelle cause comptez-vous vous consacrer dans les années qui viennent ?
T. N. — Je n'ai cessé de me battre pour un humanisme laïque et pour l'égalité des fem mes, et je continuerai. Si, sur ces deux points, je pouvais contribuer à faire évoluer les mentalités, j'en serais comblée.
A. D. V. — En voulez-vous toujours à Nicolas Sarkozy qui, à la demande de New Delhi, a renoncé à vous remettre le prix Simone de Beauvoir lors de sa visite officielle en Inde en janvier 2008 ?
T. N. — Sur le coup, j’ai été déçue. Mais, avec le recul, je comprends les raisons du président Sarkozy. Il est évident que les relations franco-indiennes pèsent plus lourd que la petite Taslima ! C’est la Realpolitik…
Son témoignage est saisissant. Il permettra à ceux qui ne connaissent pas la réalité quotidienne de pays comme le Bengladesh, où est née Taslima, de comprendre à quel point la progression de l'idéologie islamiste radicale peut être terrifiante pour les Musulmans libres comme pour les non-musulmans. Taslima Nasreen dénonce d'ailleurs avec autant de virulence les persécutions dont sont victimes les minorités musulmanes ou les Intouchables en Inde et dont les intégristes hindouïstes sont les instigateurs.
Politique Intern ationale est la plus influente revue francophone consacrée aux questions internationales. Dirigée depuis trente ans par Patrick Wajsman (responsable des relations internationales de l'UMP entre 2006 et 2008), cette prestigieuse publication décerne un Prix du "Courage Politique". Parmi les heureux récipiendaires, on peut citer notre Président Nicolas Sarkozy et, avant lui, Anouar el-Sadate et Ss le Pape Jean Paul II (pour sa contribution au démantèlement du communisme en Europe). En matière de courage politique Taslima Nasreen mériterait, elle aussi, d’être reconnue pour son combat inlassable qui continue de lui valoir maintes f atwa, menaces de mort et exils successifs.
(Prochain entretien: Magdi Cristiano Allam, Eurodéputé, écrivain à succès et journaliste italien d'origine égyptienne, devenu chrétien et ami d'Israël..., lui aussi condamné à mort par les islamistes radicaux).
Entretien conduit par Alexandre del Valle
Taslima Nasreen est née au Bengladesh (à l’époque Pakistan oriental) en 1962 dans une famille aisée et cultivée, de confession musulmane. Médecin gynécologue de formation, elle exerça dès 1986 dans un hôpital public. La vie et la carrière de Taslima Nasreen bascule en 1994 à la suite de la parution de son premier roman Lajja (La Honte), qui dénonçait les persécutions subies par les « infidèles » hindouistes dans le Bangladesh islamique. Menacée de mort par les islamistes, bannie par son propre pays, elle trouve refuge en Suède. C’est là qu’elle reçoit du Par lement européen le prix Sakharov pour la liberté de pensée, puis des autorités suédoises le prix Kurt Tucholsky. Son exil se poursuit en Occident : après la Suède, elle choisit l’Allemagne (1995-1996), puis à nouveau Stockholm (1997) et New York (1998), où vit sa sœur. Elle réside en France de
1999 à 2000 et finit par s’installer à Calcutta, capitale de l'État fédéré indien du Bengale occidental, où l’on parle sa langue maternelle et où elle tente en vain d'obtenir la nationalité indienne. Mais, en mars 2007, sa tête est mise à prix par un mouvement islamiste indien. Une « prime de décapitation » de 500 000 roupies (10 000 euros) est offerte à celui qui réussira à mettre la main sur elle. Contrainte de quitter Calcutta, elle fuit de ville en ville. Le 28 novembre 2007, e lle reçoit l’appui du ministre des Affaires étrangères, Pranab Mukherjee, ainsi que celui des services de renseignement indiens qui l’exfiltrent vers un lieu tenu secret. Persuadée que l’Inde est sa seconde patrie, elle obtient, en février 2008, la prolongation de son visa indien pour six mois.
Mais l’embellie est de courte durée : menacée de mort par les islamistes pour « blasphème » et déçue par la tiédeur des autorités indiennes à son endroit, elle plie bagage le 19 mars 2008 et regagne la Suède. Sous le coup de la colère, elle affirme que « le gouvernement indien ne vaut pas mieux que les fondamentalistes religieux » , l’accusant même d’avoir voulu « l’empoisonner » en lui fournissant des médicaments inadaptés à son hypertension. Depuis, elle semble s’&e circ;tre réconciliée avec sa « seconde patrie » et envisage d’y retourner dès qu’elle aura reçu les garanties nécessaires.
C’est toutefois depuis la Suède qu’elle publie son dernier ouvrage, De ma prison. Le 21 mai 2008, elle reçoit à Paris, des mains de la secrétaire d’État aux droits de l’homme, Rama Yade, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.
Taslima Nasreen s’est installée en France depuis mars 2009, avec l’aide de la Mairie de Paris et de toute une chaîne d’amitiés principalement situées à gauche. Une nouvelle phase de la vie de cette « révolutionnaire laïque » commence dans la patrie des droits de l’homme et de Voltaire. A. D. V.
Alexandre Del Valle — Vous vous êtes installée à Paris depuis quelques mois.
Vous y sentez-vous en sécurité ?
Taslima Nasreen — Oui, je pense que je suis ici en sécurité. J’ai choisi la France, mais il est vrai également que la France m’a choisie. J’y ai reçu, depuis des années, de nombreux témoignages de sympathie et j’y ai des amis fidèles. Je tiens à remercier ici la mairie de Paris, qui m’a soutenue et qui m’a procuré un logement, même si ce soutien est prévu pour une durée assez limitée et si mes difficultés financières ne sont toujours pas résolues.
A. D. V. — Comment vos problèmes ont-ils commencé et comment êtes-vous devenue la cible des islamistes du monde entier ?
T. N. — Tout a commencé au Bangladesh au milieu des années 1990. Je travaillais à l’hôpital. J’étais jeune et j&rsqu o;avais déjà acquis une notoriété internationale grâce à mes premiers best-sellers. De fil en aiguille, de grands organes de presse m’ont demandé de rédiger des rubriques. J’ai accepté et j’ai co mmencé à écrire des articles engagés sur les femmes opprimées, à partir de ma propre expérience de médecin des hôpitaux. C’est à ce moment-là que j’ai commis l’irréparable aux yeux des fondamentalistes : j’ai écrit que les lois religieuses, notamment islamiques, ne devaient pas exister.
A. D. V. — Quand votre vie a-t-elle été mise en danger pour la première fois ?
T. N. — Les islamistes ont mis à sac les bureaux d’un journal qui me publiait et mes éditeurs ont subi des menaces. Mais l’horreur a véritablement fait irruption dans ma vie pendant le Salon du livre du Bangladesh de 1994 : alors que je dédicaçais tranquillement mon roman Lajja, une foule d’islamistes enragés ont brutalement débarqué et se sont mis à tabasser tout le monde. Ils ont brûlé mes livres sur place et ont tenté de me tuer. J’ai été sauvée de justesse par les policiers. Pour la première fois, j’ai senti la mort tout près de moi. Mon destin a basculé d’un coup. Après cela, on m’a raccompagné e à la maison. Les éditeurs et les organisateurs du Salon m’ont fait comprendre qu’il valait mieux que je ne participe plus jamais à un événement de ce genre… Puis le gouvernement s’est emparé de l’affaire. Mon livre fut interdit parce que j’avais eu le malheur de critiquer la loi islamique et fait remarqu er que les Hindous victimes de pogroms et de tortures n’étaient jamais défendus par les pouvoirs publics.
J’étais tout à coup bannie et accusée de blasphème — crime suprême — pour avoir osé dire du mal des religions en général et de la religion musulmane en particulier. Au lieu de me protéger, l’État m’a poursuivie. Entre avril et juin 1994, des millions de fondamentalistes exigèrent que je sois exécutée. Comme le gouvernement tardait à me condamner, de gigantesques manifestations furent organisées à travers le pays pour réclamer ma lapidation. Au comble de la crise, un appel à la grève générale fut lancé ! Aucun bus et aucun train ne quitta le quai et aucun avion ne décolla pendant sept longues journées de grèves qui paralysèrent totalement le pays. Je vous rappelle qu’à la différence de Salman Rushdie, qui vivait en Grande-Bretagne, j’étais alors au milieu de millions de gens qui voulaient ma peau tandis que l’État central me recherchait pour m’enfermer derrière les barreaux…
A. D. V. — Comment vous êtes-vous sortie de ce piège infernal ?
T. N. — J’aurais très bien pu ne pas m’en sortir. Je me suis tout d’abord cachée chez des amis courageux qui ont risqué leur vie pour moi. D’ailleurs, des gens ont été tués pour avoir pris ma défense. Très vite, plus personne n’a voulu prendre mon parti. Certains ont protesté contre les islamistes et leurs grèves, mais ils n’osaient plus me défendre directement car j’étais cataloguée comme « anti-musulmane ». En fait, c’est mon av ocat qui m’a sauvé la vie en me conseillant de ne pas me rendre à la justice. Il m’a expliqué que, si je me retrouvais en prison, je serais rapidement élim inée.
A. D. V. — Comment vous êtes-vous échappée ?
T. N. — C’est grâce à l’Union européenne qui a négocié mon départ avec le Bangladesh. Finalement, la Suède m’a accordé l’asile politique et c’est là que je me suis installée en 1994. J’ai un souvenir très précis de la manière pour le moins musclée dont la police bengalie m’a conduite à l’aéroport. Je me rappelle aussi avoir été surprise par l’accueil officiel que m’avaient réservé les autorités suédoises. Tout s’était accéléré.
A. D. V. — Pourquoi avez-vous quitté si rapidement la Suède ?
T. N. — En réalité, je n’avais pas choisi mon pays d’asile. J’étais prête à vivre n’importe où, et il se trouve que les Suédois se sont manifestés les premiers. D’une certaine manière ils m’ont sauvé la vie. Mais, par la suite, leur comportement n’a pas été irréprochable. Ils ont cherché à se mettre en avant et à exploiter mon image dans un but de marketing politique. Les autorités suédoises se sont montrée s très amicales à mon égard, et puis plus rien. Elles s’en sont lavé les mains. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de partir.
A. D. V. — Pourquoi avez-vous été contrainte de changer si souven t de pays d’accueil ?
T. N. — Après l’exil suédois, j’ai quitté Stockholm pour Berlin, puis à nouveau Stockholm, New York et, finalement, Paris où je suis arrivée en 2000. J’étais très déprimée à cette époque. Ma mère venait juste de mourir. En fait, je change régulièrement de pays à cause des problèmes politiques, mais aussi pour des raisons économiques. Mon errance, d’ailleurs, s’est poursuivie, comme vous le savez.
A. D. V. — Comment s’appelait ce livre qui vous a valu tant de haine au Bangladesh et en Inde ?
T. N. — Le titre de ce livre, que j’ai publié en 2003, était Dwikhon dito (« Split in two »). J’ai écrit ce roman dans un contexte particulier, au moment où le gouvernement du Bangladesh envisageait d’intro duire la loi islamique et la religion musulmane comme religion d’État. Mon objectif était d’expliquer aux gens ce qu’est véritablement la charia. Je voulais leur faire comprendre que la « loi islamique divine » a, en réalité, été dictée par des contingences humaines. Les textes traditionnels eux-mêmes l’attestent. Le livre a été mis à l’index par le gouvernement indien au nom de la « politique d’apaisement » envers les musulmans. Cette politique, partagée par tous les partis indiens, consiste à se concilier les bonnes grâces des musulmans en évitant de parler des sujets qui fâchent. On m’a accusée de discréditer la charia. Or tout ce que j’ai dit, c’est qu’elle découlait des faits et gestes de Mahomet. La polygamie, par exemple, est autorisée par la lo i coranique parce que Mahomet la pratiquait lui-même. Dans mon livre, qui ne parlait d’ailleurs pas spécifiquement de l’islam, mais des femmes en général, je rappelais que, chaque nuit, Mahomet mettait une nouvelle jeune fille dans son lit. J’ai fait l’objet d’un e fatwa pour avoir raconté comment Mahomet s’était glissé dans la couche de sa servante Hafsa. J’ai dit qu’il avait eu des relations sexuelles avec elle alors même qu’elle était mariée et que le texte sacré musulman (les fameux « dits » du Prophète (hadith)) juge cette union admissible.
Je suis coupable d’avoir démontré que maintes lois coraniques ne sont que des légitimations a posteriori des désirs personnels de Mahomet. Une autre tradition « divine » autorise Mahomet à épouser la femme de son beau-fils, s ous prétexte que celui-ci n’est pas son fils de sang, mais un fils adoptif… J’ai aggravé mon cas en critiquant le voile islamique : cette obligation découle du fait que Mahomet fit voiler sa très jolie femme Aicha parce qu’il en était fort jaloux.
Bref, je voulais prouver aux musulmans que les lois islamiques proviennent non pas de Dieu, mais qu’elles sont le reflet des actions personnelles de Mahomet.
Résultat : mon livre a été censuré aussi bien par le g ouvernement bengali que par le gouvernement indien. En Inde, heureusement, une association humanitaire (AFDR, Association for democratic rights) a déposé un recours auprès de la Haute Cour, en 2005, et a obtenu que cette interdiction soit déclarée illégale.
A. D. V. — Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, basé à Genève, a &eac ute;mis une résolution le 27 mars 2008 qui limite la liberté d’expression en cas d’« islamophobie ». Comment réagissez-vous à cette initiative ?
T. N. — Cette résolution fut une très mauvaise nouvelle pour moi. En condamnant le « blasphème » et en tentant d’assimiler la critique des religions à la « diffamation » ou au « racisme », ce texte signe purement et simplement l’arrêt de mort de la liberté d’expression — une liberté d’autant plus fondamentale que c’est d’elle que découlent toutes les autres formes de liberté. Céder sur ce point est extrêmement grave.
En agissant de la sorte, les Nations unies renforcent la position de s fondamentalistes, lesquels n’ont d’autre ambition que de maintenir les communautés musulmanes du monde entier dan s l’obscurantisme. D’une manière générale, les initiatives visant à pénaliser la « diffamation des religions » sont inquiétantes : elles risquent de légitimer les États qui musellent la liberté d’expression et qui se dotent de lois anti-blasphème parfois sanctionnées par la peine capitale.
A. D. V. — Ne doit-on pas limiter la liberté d’expression en cas d’atteinte grave à la dignité des croyants ?
T. N. — Non. Il ne doit pas y avoir de limites à la liberté d’expression. La lutte contre l’« islamophobie » est un instrument politique au service des fondamentalistes islamistes. Elle vise à faire taire les personnalités qui défendent la laïcité et qui dénoncent les crimes de l’islam et surtout de l’islamisme. Étonnamment, alors qu&r squo;il est permis critiquer le christianisme, le judaïsme, l’hindouisme, le bouddhisme et des centaines de « ismes », l’islam, lui, est intouchable !
Or sans liberté de blâmer, aucun progrès n’est possible dans les sociétés islamiques. On ne devrait ressentir aucune crainte à risquer d’être qualifié d’« islamophobe ». La critique de l’islam n’est pas uniquement nécessaire pour les non-musulmans ; elle l’est surtout pour les musulmans eux-mêmes. Tous ceux qui se proclament « pro-musulmans » et qui aiment les peuples de l’islam ne devraient pas encourager les musulmans à adopter des lois anti-femmes fondées sur la religion. Les peuples des États musulmans devraient, au contraire, se battre pour la laïcité et la sécularisation, et s’employer à dissocier la religion de l’État.
A. D. V. — Diriez-vous que l’Europe et les Nations unies capitulent devant le fondamentalisme islamiste ?
T. N. — Certains signes tendent à le montrer. En Grande-Bretagne, par exemple, on commence à appliquer la loi islamique, et les initiatives visant à réprimer l’islamophobie constituent des débuts de limitation de la liberté d’expression.
Cependant, je reste persuadée que, globalement, l’Europe est plus attachée à la liberté d’expression que beaucoup d’autres régions du monde, y compris les États-Unis. L’Europe est bien plus libre et bien plus civilisée que nos pays musulmans. J’espère que cela durera…
A. D. V. — Vous sentez-vous soutenue par les démocraties occidentales ?
T. N. — Je suis contrainte de vivre en exil depuis plus de qua torze années.
C’est vraiment très difficile à supporter. Je reçois, il est vrai, un appui de la part des défenseurs de la laïcité et des humanistes. Mais il est également vrai que la cause que j’incarne est encore trop largement ignorée. Je me sens souvent abandonnée par l’Occident. Bizarrement cela ne m’importe pas autant que je l’aurais cru.
A. D. V. — Avez-vous trouvé en Inde, la plus grande démocratie laïque du monde, le soutien qui vous a manqué au Bangladesh ? Du moins avant votre départ de New Dehli… T. N. — Oui, au début. J’ai reçu de nombreux témoignages d’amitié de la part de personnalités politiques et d’individus isolés, mais pas de partis. Ces derniers m’ont tous progressivement « oubliée » lorsque les ennuis ont co mmencé. Le seul homme politique qui m’a défendue est Jyoti Basu, le vieux chef-patriarche du parti communiste indien, qui a pris fait et cause pour moi. Mais quand les fondamentalistes se sont mis à me menacer, le parti communiste a eu peur de perdre des voix et m’a lâchée. L’autre grand homme politique qui m’a beaucoup défendue au début est le ministre des Affaires étrangères Pranab Mukhergee (membre du Parti du Congrès). Mais lui aussi a dû faire marche arrière quand les fondamentalistes musulmans m’ont attaquée, même s’il me conserve son estime en privé. Après cela, je fus soutenue un temps par le premier ministre, Manmohan Singh, qui est toujours au pouvoir. C’était en 2004. Certains États indiens m’ont également aidée vers 2004. Tous ont fini néanmoins par prendre leurs distances sous la pression des fondamentalistes et au nom de la fameuse « politique d’apaisement » envers l’islam.
A. D. V. — Vous n’avez plus reçu le moindre soutien de vos anciens protecteurs indiens depuis ?
T. N. — Non ! Depuis, aucun parti politique ne m’a accordé la moindre aide ! Ni les communistes, ni les nationalistes-hindouistes du BJP, ni les laïques du Parti du Congrès. L’État du Bengale occidental, dirigé par les communistes, m’a expulsée, suivi par l’État du Rajasthan, aux mains du BJP, sans oublier l’État central de Dehli, tenu par le Parti du Congrès ! Toutes les formations adhèrent à cette « politique d’apaisement » que je viens d’évoquer.
A. D. V. — Dans votre roman, De ma prison (1), vous accusez l’Inde de vous avoir maintenue des mois sous haute surveillance dans « un e chambre de la mort ». D’un autre côté, vous dites vous sentir « seule » en Occident et avoir la nostalgie de l’Inde. Regrettez- vous vos propos ?
T. N. — Non, je ne regrette rien ! Et je le redis ici : le gouvernement indien m’a bel et bien torturée pour apaiser les fondamentalistes musulmans. J’ai toujours voulu et je veux toujours rentrer au Bangladesh, mon pays natal.
Puisque cela n’est pas possible, je souhaite revenir vivre en Inde, où je me sens aussi chez moi, « à la maison ». En tant qu’écrivain, et en tant que défenseur des droits des femmes, je peux encore faire beaucoup. Je peux contribuer à éveiller les consciences des femmes, les aider à conquérir leurs droits et leur liberté. J’ai autant besoin d’elles qu’elles ont besoin de moi.
A. D. V. — Si je vous suis bien, l es hindouistes du BJP — qui sont pourtant hostiles à l’islam — ne vous soutiennent pas. Pas plus que les laïques du Parti du Congrès… T. N. — Exact. Le drame de l’Inde, voyez-vous, c’est que les laïques estiment qu’ils doivent être nécessairement anti-hindouistes et pro-islam, voire pro-islamistes, pour êt re de bons démocrates. L’islam et les fondamentalistes musulmans sont au-dessus de tout soupçon, y compris lorsqu’ils édictent des fatwas contre les femmes ou des écrivains, ou quand ils mettent la tête de ces écrivain à prix... Un Indien « laïque » se doit de ne jamais critiquer un musulman, sous prétexte que les musulmans constituent une minorité et qu’une minorité risque, par nature, d’être persécutée par la majorité. Si l’on suit cette log ique, tous les musulmans méritent d’être défendus, quels que soient les crimes qu’ils aient commis. L’hypocrisie est quelque chose de déconcertant et d’incompréhensible… Une remarque : contrairement à ce que vous dites, je ne pense pas que le BJP soit hostile à l’islam. De nombreux musulmans sont membres du BJP. Ce n’est pas un parti fermé.
A. D. V. — Vous avez l’air d’insinuer que le Parti du Congrès serait responsable — au moins par sa passivité — de la montée de l’islamisme en Inde… T. N. — Il est vrai que lorsque les fon damentalistes musulmans s’acharnent sur moi, les « laïques » restent étrangement silencieux. Pour autant, je ne pense pas que le Parti du Congrès soit directement responsable de la montée de l’islamisme ; je crois, simplement, qu& rsquo;il aurait pu faire beaucoup plus pour lutter contre l’islamisme en Inde. Je n’ignore pas que les gens qui appartiennent à ce parti sont, pour la plupart, sécularisés ; quant à eux, ils savent bien que j’ai raison, mais ils ne peuvent pas rompre la « politique d’apaisement ». Le problème c’est qu’au fond, en politique, l’idéologie importe peu. La seule chose qui compte aux yeux des politiciens, ce sont les petites magouilles qui leur permettent de rester au pouvoir ou de s’y hisser. Ils sont prêts à jeter aux orties tous leurs principes, voire à commettre toutes sortes de crimes et de délits, dans le seul but de glaner les voix des masses ignorantes.
A. D. V. — Votre combat contre l’intolérance s’étend-il aux « intouchables » (dalit s), ces millions d’Indiens « hors castes &raqu o; considérés comme inférieurs?
T. N. — En fait, je défends tous les opprimés. Je défends les Hindous lorsqu’ils sont opprimés au Bangladesh. Je défends les chrétiens lorsqu’ils sont opprimés au Pakistan. Je défends les musulmans lorsqu’ils sont opprimés en Inde ou en Palestine. Et je défends les dalits qui sont des opprimés par essence. Je suis opposée à cet horrible système de castes. Je lutte pour briser ce genre de traditions archaïques. Il faut préciser, pour être juste, que les choses sont en train de changer : pour la première fois, en juin dernier, une femme intouchable a été élue présidente de la chambre basse du Parlement indien. Avant elle, une autre femme intouchable était devenue premier ministre de l’État d’Uttar Pradesh. Mais, au-delà de ces avancées symboliques, de nombreux Indiens continuent de considérer les dalits comme des êtres inférieurs.
A. D. V. — Comment les aidez-vous ?
T. N. — Sur mes deniers personnels ! Je leur verse directement une partie de mes royalties à travers diverses organisations villageoises. Lorsque je résidais en Inde, j’avais plus d’argent (il était plus facile de toucher mes droits
d’auteur) et je pouvais leur consacrer plus de moyens. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aimerais pouvoir y retourner. Je souffre ne plus pouvoir les secourir autant qu’avant. J’aide, par exemple, des réseaux d’écoles à parrainer des étudiants pauvres et méritants. J’ai créé, à cet effet, une association au Bangladesh, que j’ai baptisée du nom de ma mère : « Begum edul wara s cholarship ».
A. D. V. — Ce combat en faveur des dalits pourrait-il vous brouiller avec vos soutiens hindouistes ?
T. N. — Je me bats contre la barbarie, l’obscurantisme, la haine, la bigoterie, le dogmatisme, les inégalités et les injustices, d’où qu’ils viennent. Mes réels soutiens sont tous ceux qui défendent les droits humains, les droits des femmes et l a laïcité. Si les hindouistes, les chrétiens ou les Juifs m’apprécient uniquement parce que je critique l’islam, alors ils risquent de ne pas m’apprécier longtemps, ne serait-ce que parce que je critique aussi l’hindouisme, le christianisme et le judaïsme : je pense que toutes les religions sont fondamentalement opposées aux femmes ! Il est clair que certains hindouistes ne supportent pas que je dénonce leur misogynie. Ils détestent mes écrits qui encouragent les femmes à lutter pour leurs droits et n’hésitent pas se montrer verbalement agressifs envers ma personne…
A. D. V. — Pensez-vous avoir une « mission » à accomplir sur cette terre ? Une mission « laïque » j’entends…
T. N. — Oui, je pense avoir une mission qui consiste à éveiller les consciences. Je veux rendre les gens lucides car j’aime les gens. Certains sont hostiles à l’islam et pas à d’autres religions. Personnellement, je pense que toutes les religions sont mauvaises. Je leur reproche d’avoir p ris en otage la morale et la moralité. Mais pour moi, la plus haute des moralités n’a pas besoin de religion.
Elle se réduit à ce conseil simple : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent. »
A. D. V. — Vous qui po urfendez toutes les religions, comment expliquez-vous que les musulmans soient les seuls à vous poursuivre de leur vindicte ?
T. N. — J’observe, en effet, que lorsque je critique d’autres religions — hindouisme, christianisme, judaïsme — personne ne me menace de mort. Les autres religions semblent tolérer la critique, même si elles ne l’acceptent pas. Bien sûr, il fut un temps, à l’époque de Galilée ou de Giordano Bruno, où les catholiques n’acceptaient pas plus le blasphème que les musulmans aujourd’hui.
Et il en alla de même, à certains moments de l’Histoire, pour les Juifs, les hindouistes ou d’autres. Mais, au XXIe siècle, seuls les musulmans se comportent de la sorte.
A. D. V. — Vous arrive-t-il par fois de perdre espoir ?
T. N. — La tristesse due à l’exil et aux menaces de mort est permanente. J’ai tout perdu : mon pays, ma région, ma famille, mes biens, mes amis, mon adolescence, ma langue, ma culture. J’ai connu les pires expériences qui soient.
Lorsque j’ai dû me cacher, au Bangladesh, dans mon propre pays, condamnée par les fondamentalistes et par l’État, j’ai erré de maison en maison. J’ai parfois dû rester des semaines entières terrée dans tel ou tel endroit, pratiquement sans manger parce que personne ne pouvait me contacter. Je pensais que j’allais mourir. Comment ne pas être découragée dans ces conditions ?
A. D. V. — L’islam peut-il être réformé ?
T. N. — Les religions ne peuvent pas être réformées. Nous avons besoin aujourd’hui d’une véritable révolution qui nous débarrasse des systèmes religieux, q uels qu’ils soient. D’après moi, aucune personne saine d’esprit et rationnelle ne peut croire à ces sornettes. Pourquoi devrions-nous s uivre des préceptes qui datent du VIIe siècle ? Ce qui est essentiel, en revanche, c’est éduquer les musulmans. Il faut ouvrir leur esprit à une vision du monde moderne et scientifique. S’ils se sécularisent progressivement, ils pourront conserver leurs textes religieux en tant que documents historiques, mais ils ne les mettront plus en pratique. Les sociétés qui n’évoluent pas sont des sociétés malades qui se condamnent à rester dans l’arrière-cour des temps modernes.
A. D. V. — Les interventions américaines en Irak et en Afghanistan ont-elles contribué à accentuer le péril islamiste ?
T. N. — Il faut parfois se battre, mais on ne peut pas tout obte nir en faisant la guerre. Le choix de la méthode de combat est capitale. Tuer n’est jamais une solution. De ce point de vue, l’éducation est primordiale. Si vous enseignez à un enfant depuis sa naissance que son devoir religieux consiste à éliminer les ennemis de l’islam, vous aurez un résultat singulièrement dif férent de celui que vous obtiendriez en lui apprenant que les êtres humains sont égaux et qu’ils doivent tous être respectés quelles que soient leurs croyances et leurs origines !
A. D. V. — Opérez-vous une distinction, comme le président Obama, entre l'Irak, où la présence américaine peut être qualifiée d’« illégitime », et l'Afghanistan, où elle devrait au contraire être renforcée pour lutter contre les Talibans et Al-Qaïda ?
T. N. — Je suis tout à fait d'accord avec le président Obama. Mais je ne pense pas que l'on puisse imposer la démocratie et la laïcité de l'extérieur, qui plus est par la force. Les changements doivent venir des pays concernés eux-mêmes.
A. D. V. — Faites vous une différence entre, d’une part, l'islamisme chiite, incarné par Téhéran et, d’autre part, l'islam salafiste, représenté, entre autres, par le Pakistan, les Frères musulmans, l'Arabie saoudite ou les Taliban ?
T. N. — Ces mouvements ne sont pas à mettre sur le mê me pied, mais ils peuvent être tout aussi dangereux les uns que les autres.
A. D. V. — À quelle cause comptez-vous vous consacrer dans les années qui viennent ?
T. N. — Je n'ai cessé de me battre pour un humanisme laïque et pour l'égalité des fem mes, et je continuerai. Si, sur ces deux points, je pouvais contribuer à faire évoluer les mentalités, j'en serais comblée.
A. D. V. — En voulez-vous toujours à Nicolas Sarkozy qui, à la demande de New Delhi, a renoncé à vous remettre le prix Simone de Beauvoir lors de sa visite officielle en Inde en janvier 2008 ?
T. N. — Sur le coup, j’ai été déçue. Mais, avec le recul, je comprends les raisons du président Sarkozy. Il est évident que les relations franco-indiennes pèsent plus lourd que la petite Taslima ! C’est la Realpolitik…
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