Ehud Barak, ministre de la Défense, se replonge dans l’histoire d'Israël
10 mai 2008
Ehud Barak, bon guerrier et mauvais politique, n’aime pas les interviews. Ce chef du parti travailliste, ancien Premier ministre, artisan des accords de Camp David et du retrait du Liban, est revenu à la vie politique à 66 ans dans le gouvernement de droite d’Olmert. De retour aux commandes militaires d’Israël, il applique maintenant une ligne dure - le blocus de Gaza et les attaques «ciblées» contre le Hamas. Et espére bientôt prendre la tête du gouvernement, à la place d’Olmert. Barak accepte de parler à un journal français, pour un flash-back émotionnel sur l’histoire d’Israël, sur son histoire.
La Une de Libération ce matin. Cliquez sur l'image pour l'agrandir. |
Vous avez été dans toutes les guerres d’Israël. Sauf celle d’Indépendance : en 1948, vous n’aviez que 6 ans…
J’étais un jeune garçon qui suivait les événements de son kibboutz. J’entendais au-dessus des collines les avions irakiens venus de Bagdad qui tentaient de découper en deux l’Israël qui venait de naître. Pendant plusieurs jours, j’ai entendu les tirs. A l’époque nous étions très pauvres, mais au kibboutz on a décidé de mettre de côté de la nourriture pour l’envoyer à Jérusalem où les nôtres étaient assiégés. Je me souviens aussi du soir où on a annoncé l’Etat d’Israël. Nous étions tous collés à une vieille radio et on écoutait le décompte des votes à l’ONU dans une langue que je ne comprenais pas. Puis j’ai vu l’éruption de joie et des gens du kibboutz se sont mis à danser autour du feu. Le lendemain, c’était la guerre. Je me souviens d’autre chose aussi. Il y avait à côté de notre kibboutz, tout à côté, un village arabe qui s’appelait Wadi Hawaled. Quand on était mômes, on allait faire nos courses au marché du village, Je revois encore les gosses, les mères arabes qui donnaient le sein aux bébés. Et tout le village a disparu le premier jour de la guerre. Plus personne. Tous partis. Tous ! J’y ai souvent pensé, très souvent : où sont les gosses de Wadi Hawaled ?
Ensuite a commencé une période de paix… jusqu’à la crise de Suez en 1956.
A 14 ans, j’étais émotionnellement impliqué par la préparation de la campagne de Suez. Israël avait lancé des attaques contre des groupes de terroristes qu’on appelait à l’époque «fedayin», qui se glissaient à travers la frontière, entraient en Israël pour voler ou tuer. Or beaucoup des jeunes en première ligne dans les unités de combat antiterroristes venaient de kibboutz comme le mien. Chaque fois qu’une opération se préparait, on le sentait dans l’air au kibboutz. Ils partaient, et on attendait. Et puis ils revenaient et on voyait leurs photos dans les journaux. Pour moi, le sentiment qu’un jeune pouvait perdre la vie à la guerre était un sentiment intime, très réel, très concret. Dans cette campagne du Sinaï, les jeunes de mon kibboutz sont rentrés traumatisés et j’ai compris le prix de la guerre.
Pendant onze ans, Israël semble enfin vivre comme un Etat normal.
On a vécu tranquillement. Je suis allé à l’armée pendant ces années très calmes sur nos frontières. Et nos jeunes soldats qui avaient battu facilement la moitié de l’armée égyptienne dans le Sinaï se sentaient très confiants. A 21 ans j’étais officier dans une unité d’élite, sous-lieutenant, nous avions un programme d’échanges avec la France et je suis parti dans un camp d’entraînement de commandos, la 11e brigade de parachutistes de choc, dans les Pyrénées. Une unité de forces spéciales, très performante, pour s’entraîner à la lutte antiguérilla. Quand nous allions prendre un verre dans les petits villages du coin, les gens traversaient pour ne pas être sur le même trottoir que nous… Mais c’était des super pros d’Algérie et d’Indochine! Comme je pensais que l’armée professionnelle allait être un job très ennuyeux, je suis parti faire des études de maths et de physique. Mais j’étais sans cesse rappelé par mon unité pour des «opérations spéciales». Et puis il y a eu la guerre.
En 1967, c’est la guerre des Six Jours. Vous avez conquis des territoires, vous vous êtes retrouvés avec toute une population palestinienne : Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem.
Vous savez, le Golan syrien c’était une montagne qu’on regardait toujours de loin, depuis la vallée. On rêvait qu’un jour, peut-être, on irait se promener sur le Golan… Le désert du Sinaï, on connaissait du round précédent, de la campagne de Suez. Mais la rencontre avec la Cisjordanie - ce que nous appelions la Judée Samarie - fut extrêmement émotionnelle. Soudain on revivait la Bible. Sous nos yeux, des images de nos patriarches, là où nos ancêtres avaient vécu : on voyait Jacob se battant avec ses frères, on voyait Abraham, les paysages avec les Bédouins… Cela touchait directement notre imaginaire. La légende biblique était devenue réalité. Et quand je suis entré pour la première fois dans la vieille ville de Jérusalem, c’était incroyablement émouvant. Dans les années qui ont suivi, j’y allais presque chaque samedi, simplement pour marcher là-bas. Mais pour la nation c’était un problème difficile.
On ne voulait ni la guerre de 1948, ni celle de 1967, elles nous ont été imposées. Alors, après la guerre des Six-Jours, le gouvernement de Levi Eshkol a pensé : on prend ces territoires en gage, «en dépôt», pour plus tard. Mais les Arabes nous ont répondu par les trois «Non» de Khartoum : non à la paix, non à la négociation, non à la reconnaissance de l’Etat d’Israël, ce qui a été pris par la force sera récupéré par la force. A Jérusalem, nous avons entrepris quelques travaux, pour déblayer, élargir. Et c’est sous ce gouvernement travailliste que nous avons commencé à construire des colonies, dans la vallée du Jourdain qui était pratiquement vide. Petit à petit, on a continué, et toujours sous les travaillistes - mon parti - on a installé des colonies à Gaza et même à Hébron. Mais la grande vague de construction des implantations n’a eu lieu que dix ans plus tard, après la guerre de Kippour.
Pourquoi les travaillistes ont-ils construit les premières colonies juives en territoire palestinien ?
Au départ pour se protéger des attaques, mais c’était un débat. Parce qu’à l’origine, le sionisme consistait à s’installer sur des terres vides, sans habitants. En 1967 David Ben Gourion a été le seul à comprendre clairement la situation, à oser regarder les gens du gouvernement dans les yeux et à leur dire ce qu’il fallait faire: «Détruisez la muraille qui entoure la vieille ville, unifiez Jérusalem. Et rendez tout, tous les territoires, en échange de la paix..» A l’époque, comme il avait 81 ans, j’ai pensé : «Il est devenu gâteux !»
Et alors ?
En fait, il n’était pas du tout gâteux… D’ailleurs plus tard, après la guerre de Kippour, Menahem Begin a signé un traité de paix avec l’Egypte et accepté de rendre tout le Sinaï. Begin avait le sentiment qu’il avait rendu aux Arabes 80 % des territoires pris en 1967. Alors pourquoi abandonner nos parcelles juives en Cisjordanie ? Begin trouvait que c’était une petite compensation après avoir renoncé au grand désert du Sinaï. Quand vous regardez cela avec des yeux d’aujourd’hui, il est devient clair que la colonisation a été intense autour de Jérusalem. Vous avez 11 quartiers juifs autour du noyau initial juif et 3 villes satellites. En tout 300 000 habitants. Et quelque 150 000 colons dans l’ensemble de la Cisjordanie, surtout répartis en de petites implantations dont la plupart sont très près de la frontière de 1967, à 5 ou 6 kilomètres.
Après la guerre de Kippour, après toutes ces guerres qui furent de brillantes réussites militaires, mais nous ont coûté très cher, avec Yitzhak Rabin. nous sommes entrés dans un processus de paix. Quand j’étais premier ministre on a signé les accords de Camp David : avec le président Clinton, nous avons alors proposé à Arafat d’établir un Etat palestinien sur 90% de la Cisjordanie et 100% de Gaza… Arafat a refusé.
Commentaires