Jacques Stroumsa me le répétait mercredi 14 avril à Jérusalem : « J’implore la jeunesse de tous les pays du monde entier à ne pas oublier le drame d’Auschwitz où périrent tant de millions d’innocentes victimes » - « Souviens-toi. »-
Qui est Jacques Stroumsa ? Né à Salonique le 14 janvier 1913, il grandit dans la communauté juive florissante de cette ville, étudie, devient violoniste et ingénieur. Après des Etudes en France, il revient au pays. Servant dans l’armée grecque, il est qualifié de ‘petit de stature mais combatif’.
Au printemps 1943, sous l’occupation nazie, les SS organisent la déportation de 56 000 juifs grecs. Le convoi parti le 29 avril 1943 emmenant la famille Stroumsa arrive à Birkenau le 8 mai 1943. A leur arrivée, 1685 seront immédiatement gazés dont l’épouse enceinte de Jacques et la majorité de sa famille. Lui-même deviendra le matricule 121097. Après Birkenau, ce sera Auschwitz, Mauthausen, Melk et Gusen. Il en sortira vivant à la libération des camps par les Américains le 8 mai 1945. Ils se reconstruira une nouvelle vie avec sa femme Laura, elle-même rescapée de Belsen-Bergen. Après des années en France, ils s’établiront avec leurs trois enfants en Israël.
A la retraite, Jacques Stroumsa consacre sa vie à parler, témoigner, écrire, voyager pour que le monde se souvienne. Le ‘jour de la Shoah’ est pour lui un temps fort.
Cette année lundi 19 avril à 10h, il sera avec tous les juifs francophones à Roglit, près de Beit Shemesh, au monument consacré aux 80 000 juifs de France victimes de la Shoah. A 10h du matin, après les deux minutes de silence, lui qui était le premier violon solo de l’orchestre de Birkenau, jouera ‘sur les rives de Babylone’. A 12h, il donnera une conférence en espagnol à un groupe de jeunes sud américains à l’école internationale des études de la Shoah à Yad Vashem. La veille, il collaborera à l’émission sur le ‘destin tragique des juifs de Salonique’ avec l’avocat Amnon Zikrouni. Il donnera encore une conférence à 200 élèves des lycées de Rehovot.>br> Le 30 avril, il partira avec sa femme en Italie, à Rome et à Milan pour donner plusieurs conférences avec le professeur Bensoussan sur le thème : ‘Auschwitz en héritage’. Plusieurs rencontres auront lieu le 8 mai, date de la fin de la guerre, date choisie en Europe pour être le jour du souvenir de la Shoah mais aussi date de sa propre libération des camps.
« Mais, me dit-il, parler de la Shoah une fois par an, cela ne suffit pas. » Lui pour qui « le deuil est un état permanent, deuil de ses proches, père, mère, sœur, frère, épouse, beaux-parents, tantes, oncles, cousins, cousines... »
Pour que la jeunesse israélienne ‘se souvienne’, le ministère de l’éducation nationale israélien organise pendant l’année des voyages où des dizaines, des centaines, des milliers d’élèves visitent les lieux du crime en Pologne, en Allemagne, où des millions de juifs furent assassinés par les nazis. Jacques Stroumsa qui avec son violon a accompagne bien souvent de tels groupes insiste : « Lutter contre la décadence qui frappe la mémoire juive. » Rien ne vaut un témoin qui peut dire : « c’est là, j’y étais. » Il a écrit un livre traduit en 8 langues : ‘tu choisiras la vie’. Il raconte en détail sa vie et celle de sa famille de Salonique à Jérusalem, en passant par Auschwitz, puis la France...ses tournées de conférences le conduisent très souvent en Allemagne.
Antoinette : Avez-vous l’impression que votre témoignage, votre cri est entendu et porte du fruit pour aujourd’hui et pour demain ?
Jacques Stroumsa : Apparemment non. Lorsque, dans une classe où je parle, j’aperçois un ou deux néo-nazis, le crâne tondu et ricanant, je les avertis : « si vous continuez, je vous prends par les cheveux et je vous jette par la fenêtre. » En ai-je le droit ? J’en prends le droit. D’autres avaient pris le droit de nous jeter dans les camps et dans les fours. Il faut résister. En Allemagne, pendant la guerre, un groupe de femmes chrétiennes épouses de juifs allemands saisis par la Gestapo se sont groupées dans la rue en criant : « rendez-nous nos maris. » Les SS ont eu peur et les maris sont revenus.
Pendant que nous parlions, un téléphone. C’est une dame du Danemark, l’une de celles que Jacques a sauvée en la faisant embaucher dans l’usine où il travaillait.
Antoinette : N’est-il pas difficile pour vous de vous rendre en Allemagne ?
Jacques Stroumsa : J’ai longtemps refusé. Mais en y allant tout d’abord pour des raisons professionnelles, j’ai très vite fait une distinction entre le nazisme et les Allemands. Même à Auschwitz, c’est un allemand qui m’a aidé. Les jeunes allemands à qui je parle ignorent souvent tout de la Shoah. Ils se rendent compte que je ne les mets pas en cause eux, mais c’est eux et non pas nous les juifs qui devront prendre les mesures nécessaires pour éviter que l’histoire ne se reproduise.
A la fin de notre entrevue, Jacques me dit : « Actuellement, j’étudie le livre de Michaël de Saint Cheron sur Elie Wiesel, ‘l’homme de la mémoire’. Je feuillette ce livre et tombe sur cette citation d’Elie Wiesel : « Toute mon œuvre tourne autour de la difficulté de tuer ou de se suicider ; car tout meurtre est un suicide. Mais il est des meurtres qu’il faut accomplir en signe de protestation. J’ai eu l’impression d’assister à Buchenwald à la mort de Dieu. J’en suis resté hanté. Dieu mourrant dans chacun de ses enfants déportés. J’ai survécu, mais pas tout à fait.
Puis, sur la pointe des pieds, je me retire car comme il me le disait :
« Celui qui est entré à Auschwitz, n’en sortira jamais. Celui qui n’y est pas entré, n’y entrera jamais. »
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