La rude année
de Nicolas Sarkozy
Crédits photo : Le Figaro
Par Jean d'Ormesson, de l'Académie française.
Un an déjà ! Après un été qui prolongeait la griserie d'une campagne triomphale, après un automne en demi-teinte, après un hiver décevant et un printemps de désolation où il a perdu en quelques semaines une vingtaine de points de popularité, Nicolas Sarkozy pourrait reprendre à son compte la formule d'Élisabeth d'Angleterre en 1992, quand les princes divorçaient et que le château brûlait : «Annus horribilis». Après quatre années d'ascension sans une faute, trois séries d'événements ont contribué à ce retournement digne d'une tragédie grecque avec fureur des dieux contre le succès des hommes. Nicolas Sarkozy est responsable des deux premières, la troisième est à sa décharge.
1) La vie privée, le style, la manière d'être. Yachts, Rolex et Ray Ban. Tout ce qui a été ramassé sous l'étiquette meurtrière de «bling-bling». Portrait paradoxal d'un président fulgurant en fashion victim. Dans le domaine privé au moins, la modernisation n'a pas marché. Chez ce réformateur plus intelligent que les autres, il n'y avait pas assez de cassoulet, d'hypocrisie, de bedaine. Pas assez de culture traditionnelle et de radical- socialisme à la Édouard Herriot. Au sommet du pouvoir, il est risqué de vouloir être heureux et de le faire savoir.
2) Les ratés incompréhensibles de la machine du gouvernement. Les lunettes, les familles nombreuses, la mairie de Neuilly, le souvenir des enfants juifs, les OGM, les sectes, la Villa Médicis. Les querelles subalternes au sein de l'exécutif. Les allers et retours et le rattrapage permanent de gaffes de débutant. Une prolifération de comités et de conseillers auliques en train de se tirer dans les pattes.
3) Le président n'a pas de chance. La baraka encore les dieux s'est changée en scoumoune. La crise financière. Le prix du pétrole. La récession en Amérique. La baisse du taux de croissance. Le dollar trop bas et l'euro trop élevé. Tout ce qui échappe au pouvoir de l'État et s'impose à lui du dehors. Réformer est toujours difficile, surtout en France. Réformer dans un contexte économique défavorable est une tâche infernale. N'importe qui, dans la situation du président, se heurterait aux mêmes problèmes.
Dans cette triple tempête existentielle, politique, économique, les esprits se déchaînent. On dirait qu'ils se vengent, après coup, auprès du président qu'ils ont élu de leur soutien massif au candidat triomphant. Au taux de participation record et à lamajorité substantielle succèdent les abîmes de l'impopularité. Ce sont les montagnes russes de la politiquemilitante.
Les livres sur Sarkozy envahissent les librairies
Les livres sur Sarkozy envahissent les librairies le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont rarement élogieux. Le brûlot de François Léotard, Ça va mal finir (1), caracole en tête des meilleures ventes. À gauche, Laurent Joffrin, l'homme de «La Gauche» en voie de disparition et de «La Gauche» retrouvée, de «La Gauche» caviar et de «La Gauche» bécassine, n'y va pas avec le dos de la cuillère. Dans Le Roi est nu (2), toujours avec intelligence et avec une espèce de modération implacable, il attaque au canon. Sur l'usage des médias, sur l'argent, sur le retour de la religion, sur les réformes. Une de ses thèses, que je ne partage pas et qu'il avait déjà soutenue dans une récente et fameuse conférence de presse présidentielle, est que Sarkozy incarne à l'Élysée une restauration monarchique déguisée. Sur la forme, il voudrait que le président passe de la Rolex à la Swatch et qu'il se sépare de son portable. Sur le fond, il souhaite un retour aux institutions républicaines. Je me demande, mon cher Laurent, si elles sont aussi menacées que vous le dites.
Élevé dans la vive lumière de l'impressionnisme, biographe brillant de Morny et de Bernis, défenseur d'Omar et des prostituées, bon connaisseur de Drieu acculé au suicide et séducteur comme lui, Jean-Marie Rouart poursuit avec Devoir d'insolence (3) le chemin politique où le romancier des sentiments s'était avancé avec Mes Fauves. Les hommes et les femmes politiques, il les traite en romancier. Il retrouve en Sarkozy plus d'un trait de Giscard : le désir de plaire, l'activisme débordant, le goût de la réforme et de la modernité. Joffrin voit dans le président un monarque déguisé. Rouart lui adresserait volontiers le reproche juste inverse : la dévaluation du geste présidentiel : «Hanté par le spectre de Chirac et de son inaction, il risque, en ouvrant trop de chantiers en même temps et en s'exposant pour un oui ou pour un non, pour des causes vraiment secondaires, de banaliser une fonction qui, quoi qu'on en dise, garde un caractère magique, sacramentel, hérité de la monarchie.» Trop monarque, Sarkozy ? Ou trop peu ?
Violente tempête
motifs opposés, aussi maltraité par les uns qu'il avait été adulé par les autres qui sont d'ailleurs peut-être les mêmes , sommé de se réformer lui-même avant de réformer le pays, Nicolas Sarkozy, comme Juppé, comme Chirac, comme Jospin battu par Le Pen, comme Villepin, comme Royal, comme Bayrou, tous tombés dans un trou, comme de Gaulle lui-même, incomparable et incomparé, comme presque tous ceux que les Français ont élevé sur un pavois avant de leur jeter des pierres, Nicolas Sarkozy est emporté par la tempête. Il s'en serait bien passé. Et c'est pourtant une chance : c'est seulement dans la tempête que se forgent les hommes d'État. Nous sommes encore quelques-uns en France à penser que Nicolas Sarkozy a l'étoffe d'un homme d'État.
Cette tempête-ci est violente. Tout ce que Sarkozy a réussi est compté pour presque rien. Le chômage a baissé, mais tout le monde maintenant semble s'en soucier comme d'une guigne. L'Europe est remise modestement sur les rails, mais personne n'en parle plus.
On dirait qu'au terme de sa première année de pouvoir, après tant d'années d'ascension, le seul atout du président est la faiblesse d'une opposition dont les succès considérables camouflent l'indigence et peut-être le déclin. La fameuse réplique est toujours de saison : «Tu sais vaincre, malheureux, mais tu ne sais pas profiter de ta victoire.»
Il reste quatre ans sur cinq pour renverser la vapeur. La chance de Sarkozy est que la crise est arrivée assez tôt. Il aurait mieux fait de la précéder encore davantage. Il aurait dû, dès le début, promettre de la sueur et des larmes au lieu de promettre aux autres comme à lui-même du bonheur plein la vie. Cemallà est fait. Il faut maintenant poursuivre les réformes à la fois dans la crise mondiale et dans l'impopularité nationale. Voilà un vaste programme. C'est le prix à payer pour une place dans l'histoire.
(1) et (3) Grasset ; (2) Robert Laffont.
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