Edmond Flegenheimer (1) est né en 1874 à Genève (Suisse) dans une famille israélite assimilée qui avait quitté l’Alsace après la guerre franco-allemande en 1870. Il s’installe à Paris où il poursuit ses études couronnées par l’agrégation d’allemand. C’est un représentant du « franco-judaïsme (2), un mode spécifique d’être juif, de penser propre au judaïsme, depuis le Grand Sanhedrin jusqu’à la Shoah, qui repose sur un postulat philosophique simple, c’est l’idée selon laquelle la loi juive et celle de la société ont les mêmes ressorts, le même souffle, le même esprit. C’était un judaïsme désincarné, émondé de tout ce qui ne collait pas avec l’esprit de la République », note le philosophe Bernard-Henri Lévy (3).
Les trois gestes fondateurs Cet Israélite français redécouvre sa judéité lors de l’affaire Dreyfus (4), et l’approfondit par l’étude. Ce patriote s’engage dans la Légion étrangère pendant la Première Guerre mondiale. Sa vie est marquée par « trois gestes, trois déplacements essentiels » selon Bernard-Henri Lévy. Premier geste, celui du « retour au judaïsme, aux textes » qui apparaît dans ses écrits : Anthologie juive (1923), Anthologie de la pensée juive, la fresque poétique - Ecoute Israël, L’Eternel est notre Dieu, L’Eternel est Un, Et tu aimeras l’Eternel -, une traduction de la Bible en français (Le Livre du Commencement : la Genèse (1946) et Le Livre de la sortie d’Egypte en 1963). Son livre émouvant et lyrique, Pourquoi je suis juif (1927), est dédicacé à son « petit-fils qui n’est pas encore né » et malheureusement ne naîtra pas : en 1940, décèdent ses deux fils, l’un sur le front et l’autre à Paris. Dans cet acte de foi, il expose avec ferveur les raisons de son attachement au judaïsme, son admiration pour le peuple juif fidèle à sa foi qui a survécu aux « Pharaons, à Nabuchodonosor, à Constantin, à Mahomet, à l’Inquisition et à l’assimilation » (5). En décembre 1945, Edmond Fleg mène une liste pour la direction du Consistoire central. Cette liste, où figure le baron Guy de Rothschild, promeut un judaïsme plus moderne. Avec Léon Algazi, Edmond Fleg initie en 1957 les colloques des intellectuels juifs de langue française dont la réflexion est centrée sur ce que signifie le judaïsme dans la France contemporaine. Des colloques liés à leur début à l’école d’Orsay (6). Deuxième geste accompli par Edmond Fleg, c’est « un séisme intellectuel » : la question des rapports entre le judaïsme et le catholicisme. Avant Edmond Fleg, c’est « l’idée que le judaïsme est un reliquat dont le catholicisme triomphera » (Bernard-Henri Lévy). Il écrit l’essai Jésus raconté par le Juif errant. En 1948, Edmond Fleg est l’un des fondateurs, au côté de l’historien Jules Isaac (7), de l’Amitié judéo-chrétienne de France (8) afin d’établir des « relations d’égalité entre les deux religions ». Troisième geste : son sionisme, qui l’incite à assister au 1er congrès sioniste à Bâle en 1897 : « J’écoutais tant de talents, d’éloquence, de foi. Mais surtout je regardais. Que de contrastes juifs autour de moi : ce Polonais tout blême, avec ses pommettes osseuses. Cet Allemand à lunettes. Ce Russe au regard d’ange. Ce Persan barbu. Ce glabre Américain. Cet Egyptien coiffé du fez et, là, ce fantôme Noir, immense dans son immense caftan, avec son bonnet de fourrure et les boucles pâles qui tombaient de ses tempes. Et devant tous ces visages étrangers, il m’arriva ce qui devait m’arriver : je me sentis juif, très juif, mais je me sentis aussi très français, français de Genève, mais français. Je savais très bien maintenant que le programme sioniste n’impliquait nullement le retour en Palestine de tous les juifs. Chose numériquement impraticable. La patrie juive ne s’offre qu’aux juifs qui ne croient point en avoir d’autres… Trois millions de juifs parleront l’hébreu, vivront l’hébreu sur la terre de l’hébreu. Mais pour les 12 millions de juifs qui resteront dispersés dans le monde, pour tous ceux-là et pour moi-même, la question tragiquement restait posée : qu’est-ce que le judaïsme ? Que doit faire un juif ? Comment être juif ? Pourquoi être juif ? » (Pourquoi je suis juif). Avec notamment le philosophe Victor Basch, Edmond Fleg fonde « les premières institutions du sionisme français. Un sionisme philanthropique, humanitaire, intense qui doit être interconfessionnel », rassemblant athées et croyants, juifs et non-juifs. Une « utopie magnifique » dont Edmond Fleg parle avec "Albert Cohen, jeune fonctionnaire de la SDN (Société des nations) et écrivain ».
Un « chantre du peuple juif »(9) Edmond Fleg meurt en 1963 dans un immeuble parisien du quai aux Fleurs, où a vécu le philosophe Vladimir Jankélévitch. Il laisse une œuvre composée de roman – L’enfant prophète (1926) -, de pièces de théâtre – Le Juif du pape (1925), La maison de bon Dieu (1920) -, et de livrets d’opéra – Macbeth (1909), avec le compositeur suisse Ernest Bloch et Œdipe (1923-1930) avec le compositeur et maestro roumain Georges Enesco. On ne peut qu’espérer qu’Edmond Fleg devienne, si ce n’est un modèle, du moins un inspirateur et un guide pour la jeunesse juive qui fréquente les centres portant son nom, et parmi elle les futurs leaders de la communauté juive française. Une jeunesse, cible de l’intérêt d’Edmond Fleg, président d’honneur dès les années 1920 des Eclaireurs israélites de France (EIF)(10) qui a donné le nom de son mentor prestigieux à une forêt en Israël.
POURQUOI JE SUIS JUIF (11)
Il faut qu’Israël, espoir du Messie, reste Israël jusqu’à la fin des temps… Les juifs sont juifs et veulent rester juifs toujours, partout. Même malgré eux, ils restent juifs. Or, toute minorité semble suspecte à la majorité. Faut-il un coupable à tout prix ? On le cherche dans la minorité. Cent Juifs sont bolcheviks ? Tous les juifs sont bolcheviks ! La guerre se voit au XXe siècle ? Les juifs ont machiné la guerre ! On ne reproche aux juifs qu’une chose : ils veulent être juifs…
La preuve de D. est dans l’existence d’Israël.
Je suis juif, parce que né d’Israël, et l’ayant perdu, Je l’ai senti revivre en moi, plus vivant que moi même.
Je suis juif, parce que né d’Israël, et l’ayant retrouvé, Je veux qu’il vive après moi, plus vivant qu’en moi même.
Je suis juif, parce que la foi d’Israël n’exige de mon esprit aucune abdication,
Je suis juif, parce que la foi d’Israël réclame de mon cœur toutes les abnégations.
Je suis juif, parce qu’en tous les lieux où pleure une souffrance, le juif pleure.
Je suis juif, parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le juif espère.
Je suis juif, parce que la parole d’Israël est la plus ancienne et le plus nouvelle.
Je suis juif, parce que, pour Israël, le monde n’est pas achevé, les hommes l’achèvent.
Je suis juif, parce que, pour Israël, l’Hommes n’est pas crée : Les hommes le créent.
Je suis juif, parce qu’au dessus des Nations et d’Israël, Israël place l’Homme et son Unité.
Je suis juif, parce qu’au dessus de l’Homme, image de la divine Unité, Israël place l’Unité divine et sa divinité.
(…) Israël marchera jusqu’au dernier jour.
Sites des centres Edmond Fleg de Paris et Marseille : www.flegparis.com www.centrefleg.com/Fleg.htm
Notes : 1- Odile Roussel, Un itinéraire spirituel : Edmond Fleg. La pensée universelle. 1978. 254 pages. 2- De Pierre Birnbaum : L’Aigle et la Synagogue. Napoléon, les Juifs et l’État. Fayard. Paris, 2007. 294 p. ISBN : 978-2-213-63211-7 Priez pour l'Etat - Les juifs, l'alliance royale et la démocratie. Calmann-Lévy. Paris, 2005. ISBN : 9782702136256 3- On peut entendre l’intervention de Bernard-Henri Lévy lors de sa leçon inaugurale lors de la cérémonie organisée à la Sorbonne par le Consistoire de Paris-Ile-de-France, le 17 février 2008, à http://dsi.acip.free.fr/fleg/sorbone%20audio/26-BHL.MP3 4- Véronique Chemla, Une cérémonie nationale à Paris en hommage au capitaine Alfred Dreyfus, 12 juillet 2006 à http://www.guysen.com/articles.php?sid=4790 5- Le 17 février, le comédien Francis Huster a lu un large extrait du livre Pourquoi je suis juif (Les Belles Lettres) lors de ladite cérémonie : http://dsi.acip.free.fr/fleg/sorbone%20audio/6-francis_huster.MP3 6- Perrine Simon-Nahum, « Penser le judaïsme ». Retour sur les colloques des intellectuels juifs de langue française (1957-2000), (p.79 à 106) in Archives juives, vol. 38 2005/1, éd. par les Belles Lettres. I.S.B.N. 2251694196 7- André Kaspi, Jules Isaac ou la passion de la vérité. Plon. Paris, 2002. ISBN : 9782259191999 8- Véronique Chemla, Un dialogue judéo-catholique en France remarquable, 25 décembre 2007 à http://www.guysen.com/articles.php?sid=6533 9- http://www.centrefleg.com/Fleg.htm 10- Il exerce une influence profonde sur son créateur, l’ingénieur Robert Gamzon : Robert Gamzon,1 dit “Castor soucieux” à http://www.le-scoutisme-francais-en-franche-comte.org/rgchp3.html 11- Un extrait en anglais se trouve à http://www.csuohio.edu/tagar/why.htm
© Visuels : DR Dernière photo : de gauche à droite : Andre Chouraqui, Edmond Fleg et le grand rabbin Jacob Kaplan. |
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