30 juillet 2025
Un livre mis sous le boisseau : genèse de Ne fais pas ton Français
Je n’ai jamais voulu écrire un livre. Ce sont les circonstances — ou plutôt, une certaine nécessité intérieure — qui m’y ont conduit. Quatre maisons d’édition m’ont approché après m’avoir lu sur les réseaux sociaux ou entendu dans des cercles privés. Toutes m’ont proposé d’écrire. Elles avaient repéré une voix singulière, à contre-courant, qui racontait des choses que l’on n’entend plus : des choses vécues, vues, comprises — mais qui ne passent plus dans le langage autorisé.
Ce livre s’est imposé comme un témoignage et comme un démontage. Témoignage d’un itinéraire — le mien, celui de ma mère Houria, de ma famille maternelle arrivée d’Algérie en 1947. Et démontage de quarante ans de récits verrouillés, de slogans politiques recyclés, de silences imposés par peur de passer pour un traître. Car en France, dès qu’on touche à l’islam, à l’immigration maghrébine ou aux non-dits qui minent les quartiers, on franchit une ligne rouge invisible. Une ligne surveillée autant par ceux « de la communauté » que par ceux « du bon camp » politique.
J’ai accepté un contrat chez Grasset, avant d’y renoncer deux mois plus tard sous la pression de mon entourage proche. Il ne fallait pas parler. Même quand on est concerné. Surtout quand on est concerné. Être d’origine algérienne ne protège pas du soupçon. Au contraire. Dire certaines vérités, même documentées, vécues, argumentées, c’est être immédiatement accusé de trahison. Par une partie des Maghrébins, qui ne supportent pas qu’on expose ce qui se joue dans les familles, les mariages, les mosquées, les quartiers. Mais aussi par une partie des Français de gauche, pour qui toute critique venue de l’intérieur dérange l’ordre symbolique établi. Cela remet en cause l’illusion universaliste, les postures morales, le confort du discours unique.
J’ai tenu bon. J’ai repris l’écriture fin août 2022. Deux heures par semaine, sans forcer. Tout était là, prêt. En moi depuis des années. L’écriture a été rapide, fluide. Le livre était terminé avant Noël.
Je l’ai structuré en deux grandes parties. Les deux premiers tiers suivent une trajectoire : celle de ma mère, la mienne, celle de notre famille. J’y démonte patiemment les éléments de langage du discours officiel. Je parle du rôle des femmes dans l’islam, des mariages arrangés, du surmusulmanisme — cette course à la surenchère pour ne pas être taxé d’être « moins musulman » que les autres. Je parle de l’antisémitisme ordinaire, du mépris envers les Noirs (les kahlouchs), envers les Français (les Gahouris), envers les Juifs. Je raconte les dessous d’une émeute urbaine à laquelle j’ai assisté près de Lens vers 2013-2014, et son traitement médiatique et politique, proprement scandaleux. Et je montre, surtout, à quel point tout cela contredit ce que l’on entend dans les médias ou les milieux politiques.
Je parle aussi de l’assimilation à l’envers : ces jeunes Français de souche qui, face à un monde individualiste et atomisé, se tournent vers des structures claniques musulmanes qui leur offrent protection, repères, solidarité. Ils fuient le vide, et l’islam leur tend la main.
La dernière partie du livre — le dernier tiers — devait raconter le prix à payer pour avoir dit tout cela. Ce que coûte, en France, une parole libre.
Le fait de répéter les éléments de langage attendus — même quand ils contredisent frontalement la réalité vécue — permet de maintenir sa réputation, de protéger ses réseaux, d’obtenir une forme de validation sociale, professionnelle, affective. Et quiconque rompt ce pacte tacite devient immédiatement un paria.
Mais une centaine de pages a dû être retirée. Non par censure éditoriale, mais pour des raisons juridiques défendables. Mon ex-épouse menaçait de porter plainte. Je ne pouvais pas raconter ce que j’avais subi. Pas en citant les faits, pas en nommant. Le droit protège ceux qui veulent vous faire taire. Et le silence s’impose — provisoirement.
À cela s’est ajoutée une autre pression, plus insidieuse encore : celle de la stratégie médiatique à adopter face à ceux qui font l’opinion — Libération, France Inter, Le Monde, BFM, LCI. On m’a demandé de retirer soixante pages supplémentaires, non pas pour des raisons juridiques, mais pour ne pas « gêner la gauche ». Trop dérangeant. Trop risqué. J’ai refusé fermement.
Le livre n’a pas été interdit, il a été placé sous cloche. Le service minimum a été assuré. Peu d’interviews, pas de relais, pas de débat.
En France, on ne brûle plus les livres. On les déprogramme. On les écarte discrètement. On évite d’en parler. Et surtout, on s’éloigne de leur auteur, de peur d’être associé à lui.
Le directeur d’un magasin Cultura m’a affirmé, autoritaire : « Votre livre n’est pas mis en avant par parti pris. »
Dans notre société, beaucoup ne cherchent pas la vérité — ils cherchent le bonus social. Répéter les bons mots, les bons slogans, les bons silences permet de protéger sa réputation, ses alliances, ses intérêts. Dire autre chose, c’est s’exposer. Être seul. Être puni.
Les pages retirées, je ne les ai pas abandonnées. Ce sont neuf ou dix chapitres que je retravaille aujourd’hui dans le cadre d’une fresque plus large sur les idéologies dominantes et leurs mécanismes d’élimination douce. Dans une démocratie comme la nôtre, on ne tue pas au sens littéral. On exclut, on salit, on fait le vide. Et on s’arrange pour que le discours qui gêne ne trouve jamais de scène.
Ne fais pas ton Français – Itinéraire d’un bâtard de la République est un livre debout. Un livre blessé, mais debout. Il dit ce qu’on ne dit plus. Il montre ce qu’on ne veut plus voir. Il dérange — et c’est sa fonction. Ce n’est pas un pamphlet. C’est un acte de vérité.
David Duquesne
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