« Je veux aussi m’attacher à organiser les communes de mon royaume. Mais je fixe d’abord mon attention sur le triste état des habitants de Paris.
Les hautes fonctions de prévôt de cette ville sont tombées, depuis trop longtemps, entre les mains d’un bourgeois qui les a achetées. Or le prévôt de Paris a de larges attributions qui comprennent la justice, la police et la perception des impôts. Hélas, je constate qu’une fois en possession de cette charge, le titulaire en profite pour favoriser ses parents et enfants dans toutes les injustices et infamies et ceux-ci se permettent sur le menu peuple qui n’ose protester.
La recension de ces abus continuels monte vers moi chaque jour. Les humbles n’obtiennent jamais gain de cause contre les plus fortunés qui corrompent le prévôt à force d’argent. Il n’y a plus de justice. Désespérés, les gens sans défense abandonnent peu à peu les terres soumises à l’autorité judiciaire du prévôt. Des quartiers plus lointains que Paris, placés sous une autre juridiction, offrent aux habitants une situation préférable. Ils s’y portent en grand nombre. Si bien que la terre royale de Paris devient déserte.
On me dit même que le prévôt tient souvent des audiences où l’on ne voit pas plus de dix ou douze personnes. Et tout le pays de Paris devient la proie des voleurs de grand chemin.
Cette situation déplorable ne peut plus durer. Des plaintes me viennent de tous côtés. C’est pourquoi le parlement décide que la fonction de prévôt cessera d’être vénale.
J’assigne des gages considérables à celui qui occupera cette lourde charge et interdis formellement les abus qui ruinent le peuple.
Puis je fais quérir un chevalier légiste capable de rendre justice avec rigueur, sans accorder plus de considération à un riche qu’à un pauvre. Le personnage le plus digne d’obtenir cette fiance me semble Étienne Boileau, ancien prévôt d’Orléans. Je le nomme prévôt de Paris
Il s’est croisé avec moi et fut fait prisonnier à Mansourah. Je connais sa capacité à essuyer les coups. Il s’acquitte d’ailleurs si habillement de ses fonctions qu’en peu de temps les malfaiteurs disparaissent.
Ceux qui ont l’audace de traîner encore seront bientôt saisis et pendus.
Homme d’une fermeté à toute épreuve, Boileau ne se laissera séduire ni par les liens de parenté, ni par l’or, ni par les libéralités. Cette rude et loyale justice rend la fiance aux habitants de Paris. Ceux qui ont déserté la terre royale s’estiment heureux d’y pouvoir revenir.
L’amélioration de la vie des habitants produit bientôt des droits de vente et d’achat, des saisines et autres revenus, qui forment une recette quatre fois plus considérable qu’auparavant.
Le tribunal où Étienne Boileau officie, à deux pas du palais royal, sur la rive dextre de la Seine, ne désemplit pas. Renouvelant la coutume de mes ancêtres, en vue de relever l’autorité du prévôt, maintes fois je partage le siège judiciaire avec lui, sous le fais fleurdelysé qui orne la salle d’audience, en me rendant au Châtelet me seoir près ledit prévôt, pour l’encourager à donner l’exemple aux autres juges du royaume. Étienne Boileau organise avec beaucoup d’autorité le guet du roi, composé de vingt sergents à cheval et quarante sergents à pied, commandés par un chevalier.
J’autorise l’institution d’un second guet, celui des métiers, le guet bourgeois, que les Parisiens appellent plus souvent le « guet dormant ». En effet, les échevins et les marchands d’eau m’ont représenté que la ville n’est pas sûre la nuit, qu’il s’y commet force larcins, violences, ravissements de femmes et enlèvements de meubles pour frustrer leurs hôtes.
Les meuniers du Grand-Pont, les chandeliers des rues basses et tous les métiers jurés des allées marchandes m’ont supplié de leur permettre de faire le guet à leurs frais, se succédant, par ordre de jurande, de trois semaines en trois semaines. Peu à peu, la sûreté et la prospérité de la ville se rétablissent.
Je mande au prévôt de Paris de rédiger le Livre des Métiers, dans le souci de protéger l’œuvrier de toute forme d’abus pour qu’il ne soit dominé ni par la matière qu’il soumet à sa volonté, en tirant d’elle ce qui lui est nécessaire, ni par la loi de production qui menace parfois de séparer l’homme de lui-même, quand il se laisse produire par les choses.
J’interdis la spéculation par accaparement sur les matières premières et sur les marchandises, ainsi que la surproduction. Le Livre des Métiers encourage les harmonies des compagnons et maîtres. Il rappelle le sens sacré de l’ouvrage qui est création. Le travail, qui n’est qu’un moyen, meurt en l’objet créé ; l’effort n’est pas une fin en soi. La fin, c’est l’œuvre. Le chef d’atelier et ses œuvriers créent un « chef-d’œuvre ». Je veux aussi domestiquer le commerce de l’argent. L’argent n’est qu’un serviteur; le vrai capital, c’est le savoir-faire. Il est pernicieux que l’argent produise de l’argent. Toute stipulation d’intérêt relève d’une vilaine paresse car elle vient, sans labeur, grossir, au moment de la restitution, la somme prêtée. Je veux interdire l’usure et l’argent qui prospèrent en dormant.
Depuis le Deutéronome, on entend par usure tout ce qui dépasse la somme principale. Les chrétiens marchands d’argent, sous le nom de lombards et de cahorsins, et tous les usuriers seront découragés et pourchassés.
Parmi tous les désordres, il en est un autre insupportable encore pour le commerce et la production, c’est le désordre des monnaies.
Le baronnage, fort du privilège des vassaux de battre monnaie, complique à l’infini les échanges commerciaux et autorise toutes les fraudes. Il n’y a pas de nation sans monnaie et il n’y a pas de monnaie sans nation.
Je veux une monnaie pour la France. De toutes les honnêtetés que les gouvernements sont tenus de pratiquer, un des plus précieuses, à coup sûr, me semble tenir à une parfaite sincérité dans le poids et la valeur des monnaies.
Le royaume prendra donc un soin scrupuleux de n’avoir que des monnaies de bon aloi. Il se tiendra éloigné des honteuses altérations. Je fais frapper l’écu, première monnaie d’or capétienne. Les pièces des seigneurs ne pourront avoir cours que dans le champ des seigneuries. La bonne monnaie chassera la mauvaise. Les purs deniers bouteront les deniers pelés, usés ou contrefaits.
Je bannis enfin la circulation des esterlins anglais dans le royaume. Qui tient la monnaie tient la terre. Autre désordre, celui des justices de fiefs, où la force prime le droit. L’interdiction du duel judiciaire dans les tribunaux royaux fut un premier pas difficile qui a substitué à la guerre, la justice. La preuve par l’enquête et les témoignages a remplacé la preuve par la force.
Mes légistes ne cessent d’expliquer en vain : « Bataille n’est pas voie de droit. » Car, pour beaucoup de seigneurs et de barons, dont les pensées appartiennent encore à l’ancienne société, la justice se rend tout naturellement au nom de la force. Ils s’en vont clamant dans leurs fiefs : « Le pays n’a point été acquis par le droit écrit ni par l’arrogance des clercs, mais par le sang des guerriers. » Ils entendent continuer à faire la preuve de leur bon droit en mettant leurs corps en aventure. Qui possède la meilleure épée, possède le droit le plus juste. C’est une vieille opinion enracinée dans les esprits, une vieille coutume burgonde, que l’issue d’un combat entre deux hommes vient révéler le jugement de Dieu et distinguer l’innocent du coupable.
En vertu de ce principe, la guerre semble le moyen le plus juste de vider toute querelle. Si deux seigneurs voisins entrent en dispute, ils se déclarent donc la guerre, eux, leurs vassaux et leurs sujets, pérégrinant d’une terre à l’autre pour ravager et brûler.
Il est temps de mettre tous mes efforts à empêcher ces affrontements entre seigneurs. Je commence par faire appliquer la trêve du roi, inaugurée par mon aïeul Philippe Auguste : ainsi est-il ordonné de laisser un délai de quarante jours entre l’offense et la guerre.
On ne pourra se combattre qu’après ce délai, ce qui me semble assez pour qu’on ait le temps de se réconcilier. Beaucoup de barons et de seigneurs de fiefs se plaignent de l’autorité royale, qui empiète ainsi sur leurs franchises. Les trouvèrent en portent le cinglant écho en leurs vers :
Elle est morte la seigneurie
Le Roi ne fait droit ni justice
Aux chevaliers, mais les méprise.
Je fais tels établissements qu’il me plaît pour le commun profit et par grand conseil. Je veille à ce qu’ils ne soient pas contraires aux bonnes mœurs car, comme le dit un de mes légistes, « ne le devraient pas mes sujets souffrir. »
Une loi inique n’est pas une loi.
Si elle blesse la conscience, elle n’appelle plus l’obéissance, les jacobins le répètent tous les jours aux futurs légistes, escholiers de la montagnes Saint-Guenièvre.
Je veux tirer les quatre cordons du dais de souveraineté. Car l’autorité royale doit pouvoir se doter des droits régaliens essentiels à son exercice : le droit de déclarer la guerre, retiré aux barons ; le droit de faire la loi, soustrait à la coutume ; le droit de battre monnaie, enlevé aux seigneuries ; le droit de rendre la justice, retranché aux cours baronniales. »
(Saint Louis 1214-1270, l’auguste Roy de France).
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