Mon discours du jour sur le massacre de la rue d'Isly… 

Madame, Monsieur,

Mes amis, mes chers amis,

Elle a changé de nom. Elle a disparu. La rue d’Isly n’existe plus, rayée de la carte. Et avec elle, le passé a été jeté dans un puits sans fond, la tête la première.

C’est que son ancien nom interpelle encore. Les anciens, nos anciens mais pas seulement eux. C’est que la rue d'Isly est inscrite en lettres de sang dans le livre de l'histoire de France, une histoire parfois passée sous silence, censurée, interdite. 

Aussi, je vous propose d’ouvrir, une fois encore, ce livre cruel et de nous arrêter à la page du 26 mars 1962.

Ce jour-là, dans une Algérie encore française pour quelques mois, des milliers de Pieds noirs excédés, bouleversés par leur abandon programmé, manifestent dans cette rue algéroise. Ils n'en peuvent plus du mépris du gouvernement. Ils n'en peuvent plus de la lâcheté de leurs dirigeants, des renoncements, des trahisons...

Ils crient, ils s’interpellent, ils chantent, ils gueulent. Mais ils ne sont pas armés. Il y a de nombreuses femmes, des adolescents, des enfants qui accompagnent leurs pères, leurs frères, leurs maris. Une foule qui dit sa révolte, son dégoût devant la terrible décision de Paris : l'Algérie, cette belle Algérie qu'ils ont construite de leurs mains, qu'ils ont irriguée, qu'ils ont nourrie, le pays qu'ils ont créé, en en faisant la petite sœur de leur Patrie, cette Algérie va être livrée aux tortionnaires du FLN !

Comment ne pas comprendre cette foule de Français en colère, cette foule désespérée, cette foule prise à la gorge ?

En face, il y a l’État, l’État parisien, l’État aveugle, l’État froid, l’État sans âme, représenté par un barrage de mitrailleuses. Mais qui peut penser un instant que nos soldats vont tirer sur leurs compatriotes ? Ce n'est pas possible ! Les familles algéroises ne l’imaginent même pas ! Ne peuvent pas le concevoir ! On est entre Français, entre nous !

Et pourtant ! Et pourtant… Un grand, un sourd crépitement pulvérise les premiers visages, explose les mains, les jambes, les yeux. Une mère tombe, un grand-père est fauché, le corps d’une gamine éclate contre un mur. Les soldats français ont tiré sur les civils français ! C’est la panique, la panique totale ! 

Je vous le dis aujourd'hui et j’en ai honte : ce 26 mars 1962, rue d'Isly, la France s'est déshonorée. 80 morts. 200 blessés. Des gens simples, des sans-grade, des innocents. Un massacre, un massacre inoubliable, inexcusable.  

À Béziers, dans notre ville où tant de Pieds noirs ont trouvé refuge, nous n’oublions pas, nous n’oublierons pas ce jour terrible. Parce que c’est notre devoir. Parce que nous le leur devons. Parce que les morts ne meurent vraiment que lorsqu'on les oublie.

Alors, cette année encore, je prends l’engagement de nous retrouver, l’an prochain, ici même, pour dire notre peine, notre douleur, pour dire notre compassion aux familles meurtries, pour dire notre révolte, pour dire que la rue d’Isly est dans nos mémoires et qu’elle y restera, à jamais.

Rue d’Isly, des hommes, des femmes, des enfants ont été fauchés, blessés, tués pour avoir simplement dit leur peur de perdre leurs racines, leur pays et, avec lui, une partie de leur histoire. Avec vous, je les pleure aujourd’hui. Ils étaient des nôtres.

Robert Menard

Maire de Béziers 

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