Le Point culture de Karim Ouchikh:

« France, France, sans toi le monde serait seul »

(Gabriele d'Annunzio) 

Article paru dans Le Figaro du 5 mai 1915.

Notre rédacteur en chef, M. Alfred Capus, a reçu la lettre suivante:

Mon cher ami,

Je pars pour Gênes. On va jeter le dé. Ce qui n'est pas arrivé sous le signe du Bélier va arriver sous le signe du Taureau. Cette bête zodiacale a un front encore plus dur frontem duriorem frontibus eorum. De Gênes, vous recevrez de grandes nouvelles. 

J'ai composé quatre sonnets d'amour pour la France, et je les publie au profit de la Croix-Rouge de France, du Vestiaire des Blessés et de l'Hôpital auxiliaire du Val-de-Grâce no 11 (institution italienne). Ils sont inédits. J'aimerais les donner au public français en guise d'adieu. Voulez-vous les publier dans Le Figaro le matin du 5 mai? A la même heure, nous serons des alliés.

Au revoir, cher ami. Je vous serre la main bien affectueusement. En hâte.

Votre

Gabriele d'Annunzio

I

Ont-ils haussé l'éponge âcre au fer de la lance 

contre sa belle bouche ivre du Corps très Saint? 

La Croix sans Christ, qui souffre au-dessus de son sein, 

n'est que la double entaille acceptée en silence. 

Mais son œil est plus clair que la claire Provence, 

mais son cœur est plus doux que le printemps messin. 

Elle oint de sa douceur la force qui la ceint, 

elle noue à ses pieds percés la patience.

Et le vent du combat et l'or du jeune jour

et les avrils non vus et l'amour de l'amour 

et les chants non chantés vivent dans son haleine.

La bandelette pure à son front est un feu 

blanc qui conduit les morts. Et l'on voit sur la plaine 

tomber de son manteau la grande ombre d'un dieu.

II

Ô face de l'ardeur, ô pitié sans sommeil,

courage qui jamais n'écartes le calice, 

force qui fais avec tes chairs ton sacrifice 

et ta libation avec ton sang vermeil! 

Sur quel bûcher, sous quel signe, pour quel réveil,

à quel Avent ta foi chantait dans le supplice? 

Plus haut que l'alouette à l'aube du solstice, 

on vit soudain ton cœur bondir vers le soleil. 

Car tout entière en toi lève la bonne race.

Là-bas, d'entre les neuf preux sourit à ta grâce. 

mâle, par les barreaux de l'armet Duguesclin,

Tu as communié, dans ta sainte vêture, 

Sous l'espèce du sol. Mais, couronné de lin, 

ton front semble souffrir d'une étoile future. 

III

France, France la douce, entre les héroïnes 

bénie, amour du monde, ardente sous la croix 

comme aux murs d'Antioche, alors que Godefroi 

sentait sous son camail la couronne d'épines, 

debout avec ton Dieu comme au pont de Bouvines, 

dans ta gloire à genoux comme au champ de Rocroi, 

neuve immortellement comme l'herbe qui croit aux bords de tes tombeaux, 

aux creux de tes ruines,

fraîche comme le jet de ton blanc peuplier, 

que demain tu sauras en guirlandes plier 

pour les chants non chantés de ta jeune pléiade,

ressuscitée en Christ, qui fait de ton linceul 

gonfanon de lumière et cotte de croisade; 

«France, France, sans toi le monde serait seul»

IV

Et voici le printemps de notre amour. Exulte dans ton sang et jubile au bout de ta douleur, 

quand même tu n'aurais à cueillir d'autre fleur que le héros jailli de la racine occulte.

«Sonnerai l'olifant», dit l'Ancêtre. O tumulte 

de tes chênes! O vent de l'immense clameur! 

Hauts sont tes puys, tes vaux profonds. On meurt, on meurt; 

et chacun de tes morts dans ta beauté se sculpte! 

Entendez le signal, combattants, combattants,

À mes prises aux corps comme aux ceps le printemps, 

Comme aux poignées les fers, les bannières aux hampes. 

Roland le comte sonne; et tout en est fumant,

et en saigne sa bouche, en éclatent ses tempes. 

«Frappez, Français, frappez! C'est mon commandement.»

Le 5 mars 1915.

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