Le 16 mai 1920 : canonisation de Jeanne d'Arc à Rome. Cérémonies basilique Saint-Pierre et églises de Paris
Dès 1452, Rome est saisie par le cardinal d’Estouville d’une demande en révision du scandaleux procès de Rouen. En 1454, la révision est ordonnée par le pape Calixte III, et le 7 juillet 1456, la réhabilitation est prononcée. Il n’avait fallu qu’un quart de siècle pour que l’innocence de la bergère sublime fût proclamée par l’Eglise. Il fallut près de quatre cents ans pour que la sainteté de sa vie fût officiellement consacrée.
Cela tient, sans doute, à ce que la France oublia un peu sa Libératrice. Alors que Shakespeare, un Anglais, a fait à notre héroïne une place d’honneur dans son œuvre et l’appelle, prophétiquement, « la sainte de la France », nos plus grands écrivains ont paru l’ignorer, quand ils ne défiguraient pas sa radieuse image. Le XIXe siècle, en découvrant le Moyen Age, a découvert également la fleur la plus exquise de cette époque « énorme et délicate » suivant le mot de Verlaine.
Le 7 février 1869, l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, fait à Rome la première instance en vue de la canonisation. La guerre survient, désastreuse. La France n’oublie pas cependant, et, en 1886, Mgr Couillié, alors évêque d’Orléans, fait porter à Rome le dossier complet de la cause. Le procès commence. Léon XIII est favorable. On cite de lui ce mot : « Le jour où toutes les cloches du monde sonneront pour Jeanne d’Arc, elles sonneront la gloire de la France. »
Cependant, ce n’est pas lui, mais Pie X qui, en janvier 1904, proclamera la Pucelle Vénérable et présidera, en avril 1909, aux cérémonies de la béatification. La guerre a retardé de quelques années l’étage suprême de cette cause séculaire mais il ne faut pas le regretter puisque la Victoire des armées unies de France et d’Angleterre réalise le vœu le plus cher de la Pucelle. Jeanne d’Arc voulait mener les deux peuples réconciliés à la Croisade. La réconciliation a eu lieu et la Croisade aussi...
La canonisation à Saint-Pierre de Rome
Rome, 16 mai 1920. Depuis la première heure, la foule énorme se presse sur la place Saint-Pierre pour assister aux fêtes de la canonisation de Jeanne d’Arc. L’extérieur de la basilique est superbement décoré. On remarque une tribune spéciale pour M. Hanotaux, ambassadeur extraordinaire français, une deuxième tribune spéciale pour les membres de l’ambassade française et enfin une troisième tribune dans laquelle ont pris place les membres du Parlement français, parmi lesquels le général de Castelnau, l’abbé Delsor, sénateur, et l’abbé Wetterlé, député, M. Le Roux, sénateur, M.nbsp ;Duval-Arnould, etc.
Dans la tribune de la mission diplomatique extraordinaire française, on remarque quelques délégués français de la Société des Nations, le général Fayolle, l’amiral Lacaze, M. Clauzel, etc. Sur la place Saint-Pierre, la foule ayant reconnu le général de Castelnau, lui a fait une chaleureuse ovation. L’imposant cortège traditionnel du pape entre dans la basilique. Benoît XV est porté sur la Sedia gestatoria précédé par les gens d’armes de Jeanne d’Arc. Le pape est arrivé au trône érigé auprès de la chaire de saint Pierre ; le procureur de la canonisation répète trois fois la demande pour que le pape veuille prononcer la sentence définitive. Toute l’assemblée était debout.
Le pape a prononcé d’une voix ferme les phrases rituelles ; le grand bourdon a alors donné le signal solennel, auquel toutes les cloches de Rome ont répondu, Ensuite le pape s’est levé et a chanté le Te Deum. Tous, les regards des milliers d’assistants se tournaient vers la tribune où M. Hanotaux se tenait debout. Le pape a enfin donné sa bénédiction, qui a terminé la cérémonie de la canonisation, à la suite de laquelle il a reçu les offrandes traditionnelles.
Après la messe, le cortège s’est formé à nouveau. Au milieu des acclamations, le pape a traversé là basilique, bénissant la foule qui, après la sortie, s’est répandue sur la place Saint-Pierre. Les Romains ne se rappellent pas avoir vu une foule aussi grande que celle qui aujourd’hui s’est rendue à la basilique de Saint-Pierre pour assister à la cérémonie de la canonisation de Jeanne d’Arc.
La façade de la basilique, ornée comme d’habitude, avait, au centre, un grand tableau de Jeanne d’Arc couvert d’un voile qui été enlevé au moment où le pape a prononcé, en latin, la sentence de la canonisation, dont voici la traduction :
« En l’honneur de la Sainte Indivisible Trinité, pour l’exaltation de la foi catholique et pour l’accroissement de la religion chrétienne, par l’autorité de N-S. Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et la Nôtre, après une mûre délibération et ayant imploré souvent le secours divin, de l’avis de nos vénérables frères les cardinaux de la Sainte Eglise Romaine, des patriarches, des archevêques et des évêques présents à Rome, nous décrétons sainte et inscrivons parmi les saints la bienheureuse Jeanne d’Arc, statuant que sa mémoire devra être célébrée tous les ans par une pieuse dévotion. »
Dans une tribune spéciale, ont assisté à la cérémonie le duc et la duchesse Michel de Bragance et des personnalités des missions chrétiennes. Dans une autre tribune, on remarquait plus de 150 descendants de Jeanne d’Arc.
Les fêtes à Paris
A Notre-dame, à 10 heures, a été célébrée une messe solennelle, sous la présidence de Mgr Roland-Gosselin, évêque auxiliaire de Paris. Puis, à deux heures, principale cérémonie. Ce furent les vêpres pontificales après lesquelles le chanoine Couget prononça le panégyrique de Jeanne d’Arc.
C’est au milieu d’un immense auditoire que s’est déroulée dans la basilique métropolitaine cette cérémonie de l’après-midi. Dans cette multitude, toutes les classes, toutes les professions étaient représentées et confondues. On y voyait des sénateurs, des députés, des généraux, un grand nombre d’officiers. Parmi les personnalités : le colonel Bavier, représentant le Président de la République ; Mme Deschanel ; une délégation d’officiers, représentant l’armée britannique ; le général Pénelon.
A la Madeleine, les fêtes ont commencé, dès neuf heures du matin, par la célébration d’une messe d’actions de grâces, selon le rite arménien, par Mgr Paul-Pierre XIII Terzian, patriarche des Arméniens catholiques unis. Le Président de la République et le président du Conseil s’étaient fait représenter à cette cérémonie. A onze heures, une grand’messe en musique, dite messe de César-Frank, a été célébrée. Le soir, à 3 heures, des vêpres solennelles ont été chantées, au cours desquelles le curé de Troyon, du diocèse de Verdun, qui avait revendiqué l’honneur de célébrer la grande héroïne française, a prononcé la panégyrique de la nouvelle sainte.
Une foule énorme a défilé, durant toute la journée, rue Saint-Honoré, devant Saint-Roch, où s’élevait la reproduction de la Porte Saint-honoré, la « Porte des Aveugles », près de laquelle Jeanne d’Arc fut blessée. Mais beaucoup de Parisiens ont-ils songé à rendre visite au "Donjon de Jean sans Peur", contemporain de Jeanne d’Arc, enclavé dans les bâtiments des écoles, 29 rue Etienne Marcel ? C’est de ce donjon, qui était la résidence des ducs de Bourgogne, qu’en 1430, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, donna l’ordre de livrer Jeanne aux Anglais. A Saint-Julien-le-Pauvre, du rite grec ; à Notre-Dame-du-Liban, rue d’Ulm, du rite syrien, et à l’église arménienne de la rue Jean-Goujon, des messes solennelles ont été chantées en l’honneur de notre héroïne nationale.
La petite fleur de Jeanne d’Arc était vendue aux portes de toutes les églises, et un lancer de ballons avec concours de distance a eu lieu sur la place Saint-Augustin, à la grande joie des enfants. Malheureusement, la pluie qui menaçait depuis le matin, ne cessa de tomber durant tout l’après-midi. De nombreux immeubles étaient pavoisés, les façades de toutes les églises étaient revêtues de faisceaux de drapeaux aux couleurs nationales et d’oriflammes de Jeanne d’Arc. Détail à signaler : tous les immeubles anglais du faubourg Saint-Honoré étaient particulièrement et magnifiquement pavoisés
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