De la vérité, de la politique
14 novembre 2011
« Ce à quoi je m’attachais de toute ma présence, de toute mon attention, ce sur quoi mon intelligence et mon âme étaient entièrement fixées, c’était le cheminement de la preuve, c’était la progression logique de la vérité ».
Cette phrase est de Léon Blum, elle est écrite en souvenir de l’affaire Dreyfus. Blum, alors jeune Conseiller d’Etat, membre de la magistrature suprême, s’attachait patiemment, avec une rigueur toute juridique, à faire éclater la vérité par l’enquête, le raisonnement et la preuve.
Plus tard, à l’occasion du procès de Riom, il œuvrera avec la même patience et avec la même rigueur à faire éclater la vérité dont dépendra cette fois sa propre disculpation.
Blum est à cet égard emblématique de cette génération d’hommes publics qui entrent en politique avec l’affaire Dreyfus, ce moment si particulier de notre histoire où l’éclatement de la vérité devait, immédiatement, correspondre à l’établissement de la justice. Le concept de vérité – qui sera plus tard repris par le syndicalisme chrétien – entre à ce moment-là, comme par effraction, dans le champ de la réflexion politique.
Dans la période récente, ce concept connaît une fortune tout à fait remarquable. A la suite d’un Mendès, d’un Barre, d’un Rocard ou d’un Delors, François Fillon publiait il y a quelques années un ouvrage intitulé La France peut supporter la vérité, Bernard Accoyer vient également de publier un livre au titre volontairement provocateur : Un homme politique peut-il dire toute la vérité ? A l’occasion de la Primaire Socialiste, Manuel Valls a par ailleurs fait de sa capacité à « dire la vérité aux Français » son principal argument de campagne.
Je me réjouis de cette bonne fortune. Nous, citoyens engagés et responsables politiques, avons trop longtemps cédé à la tentation de faire plaisir. Comme le sophiste décrié par Platon, nous avons pu nous laisser entraîner par l’efficacité persuasive de notre propre discours sans considération pour l’éthique, la justice ou la vérité.
Mais je redoute que la vérité, au sens politique du terme, se réduise finalement à l’exposé savant d’une situation comptable. La méfiance à l’égard des grandes gestes politiques qui nous promettaient naguère de « changer la vie » ne doit pas nous faire tomber dans l’autre écueil, celui qui consisterait à se reposer sur une rationalité froide, calculatrice, arithmétique et résolument inhumaine.
Le concept de vérité, tel que nous devons le renouveler dans notre science politique, doit au contraire prendre toute la mesure de l’homme. La vérité en politique ne consiste pas seulement à tenir aux citoyens un discours désabusé, il doit consister, pour l’homme politique, à être en vérité.
Vijay Monany
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