La solitude des Juifs du Yishouv
Au risque de se tromper, Benyamin Netanyahou aura pris une décision audacieuse, le 25 novembre dernier, en décrétant le gel des constructions dans les implantations juives de Judée et Samarie. Saluée par Paris et Washington, la décision reste boudée par les Palestiniens qui exigent aussi le gel des constructions dans les quartiers de l'Est de Jérusalem. Des inspecteurs du ministère de la Défense chargés de faire respecter le moratoire rencontrent, au cours de leurs premières visites dans les implantations de Judée et Samarie, l'incompréhension, la colère, et le sentiment d'abandon des Juifs du "Yishouv", qui, depuis les années 1970, reçurent l'autre héritage de la Terre promise.
Devant la solitude des Juifs du Yishouv, le gouvernement tient plus que tout à rassurer les populations concernées. Le gel sera "exceptionnel et temporaire" a rappelé le Premier ministre au Président du Conseil des localités juives de Judée-Samarie (Yesha), qui demande l'annulation pure et simple du décret portant sur le gel des constructions. Lassés d'être les responsables originels du conflit israélo-palestinien, dans la presse comme dans la plupart des discours politiques, les Juifs de Judée-Samarie refusent d'être placés à côté d'une histoire qu'ils ont en partie composée.
En 1967, le gouvernement israélien avait prévu de faire des terres conquises au cours de la guerre des Six-Jours un élément de négociation en vue d'imposer la paix, peut-être un jour, aux Palestiniens et aux voisins arabes. Car en 1967, soit vingt ans après la création de l'Etat juif et pour la deuxième fois de sa courte histoire, les pays arabes attaquèrent Israël. Au lendemain de leur défaite, les Palestiniens refusèrent toute négociation et s'opposèrent à tout contact avec l'Etat hébreu. La fameuse résolution 242 ne fit qu'ajouter à l'imbroglio juridico-politique, puisque les versions française et anglaise restent sujettes à des interprétations différentes.
C'est au cours des années 1970 que les premiers israéliens s'installèrent dans les territoires conquis par Tsahal en 1967. Attirés par l'opportunité d'acquérir un terrain dans les meilleures conditions, pour y bâtir une maison. De nombreux jeunes, affranchis de l'esprit du kibboutz mais toujours attirés par une forme de collectivisme, réalisèrent sans doute le mythe de la "Petite maison dans la prairie" ; d'autres furent traversés par l'esprit Woodstock : retourner à la source et vivre une expérience décalée et authentique.
Les Juifs qui s'installèrent en Judée-Samarie ne le firent pas dans un esprit guerrier ou de conquête, chère aux doctrines colonialistes du 19ème siècle européen. Il s'agissait à la fois de rompre avec un modèle pour en réinventer un autre, s'inscrire dans un courant utopiste, en rupture avec une société où la consommation est devenue une devise sociale.
Le culte du pionnier avait toute son importance. Ramasser les cailloux à la manière des poètes russes ou des architectes allemands au début du siècle, pour faire fleurir le désert de Judée. Recherche d'une vie simple et authentique, proximité de la nature et de la terre, chants fraternels le soir autour d'un feu, convaincre son prochain du bien fondé de la démarche. Les Juifs du Yishouv, installés de longues années dans des caravanes ou des campements de fortune, firent de la construction de leurs maisons le symbole d'une sédentarité retrouvée après 2000 ans d'exil.
Certains choisirent de vivre selon les préceptes religieux, d'autres demeurèrent laïques ; ils furent la nouvelle avant-garde du sionisme, héros des nouvelles frontières d'Israël, dont on prit alors conscience que celles tracées en 1947 réservèrent à Israël des territoires bien étroits et difficiles à défendre.
Idéalistes, les Juifs du Yishouv ont aussi joué un rôle important en contribuant pendant près de 40 ans, plus ou moins conscients, à renforcer la sécurité d'Israël. Mais ils ont aussi porté tous les fardeaux : responsables de la révolte des Palestiniens et des séries d'attentats perpétrés à Tel-Aviv ou au cœur de Jérusalem, leur présence en Judée-Samarie ou à Jérusalem Est constituerait aujourd'hui le principal frein au dialogue et à la paix. Conscients de leur rôle, ils veulent continuer à exercer leurs droits sur une terre qu'ils considèrent comme faisant partie intégrante de l'Etat d'Israël. Et leur révolte exprime sans doute l'inquiétude qu'ils deviennent demain des "Israéliens de l'extérieur".
L'avenir des relations israélo-palestiniennes ne peut occulter le rôle de ces Juifs pionniers et convaincus qu'ils bénéficient également du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, du droit de s'implanter dans une région que la Bible présente comme la terre de la naissance et de l'histoire du peuple juif.
Au sein du Likoud et à sa droite, une partie importante de la coalition gouvernementale rassemblée autour du Premier ministre n'est pas insensible au sort que de probables accords de paix réserveront aux Juifs du Yishouv. Quels que soient les accords territoriaux à venir, il s'agira de ne pas répéter les erreurs commises lors du désengagement de Gaza, et d'inscrire la paix comme la principale inspiratrice de toutes les décisions. Il s'agira aussi de reconnaître le rôle de ceux qui ont contribué au développement et à la sécurité d'Israël, même s'il s'agit des Juifs du Yishouv.
En outre, si elle demeure méprisée par les Palestiniens, la décision du gouvernement de Netanyahou de geler les constructions en Judée et Samarie, aura une fois de plus perturbée cette région complexe et sensible où les 300 000 juifs qui y vivent désormais réagissent de plus en plus mal aux pressions dont ils font l'objet.
Dans ce contexte difficile, les pressions de l'Union européenne exercées sur Israël pour aboutir rapidement à la création d'un Etat palestinien dont la capitale serait Jérusalem Est ne facilite en rien le travail d'ouverture et de dialogue dans lequel s'est lancé Benyamin Netanyahou. Bruxelles ne peut s'exprimer au nom de Mahmoud Abbas, même si les silences du Président de l'Autorité palestinienne nuisent aux efforts inattendus et risqués du gouvernement israélien.
Soldat de Tsahal et citoyen français, Guilad Shalit est l'otage du Hamas à Gaza depuis 1258 jours. Ce soir, nous pensons à lui.
A la semaine prochaine,
Guy Senbel.
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