Zeruya Shalev, à la recherche de l’âme humaine !
Zeruya Shalev dans un café de Rehavia, le quartier de Jérusalem où elle habite, et aussi celui où elle a été victime, le 29 janvier 2004, d’un attentat meurtrier. Ce jour-là, un terroriste palestinien s’est fait exploser dans le bus no.19, alors qu’il remontait la rue Azza. Dix personnes ont été tuées dans l’attentat. Zeruya Shalev, elle, a été « seulement » blessée… Elle a relaté dans un texte publié en France cet attentat :
« tout à coup j’ai entendu un grand boum, mais plus que d’entendre l’explosion je l’ai ressentie dans mon corps, un souffle d’une extrême violence, comme si un immense pied s’était tendu du haut du ciel pour me donner un coup, me soulever dans les airs telle une poupée de chiffon et me projeter sur le trottoir… »
Dans le même texte, elle expliquait son refus de parler de politique dans ses romans, et dans ses interviews aux médias étrangers, même après avoir été blessée dans cet attentat. Elle parlait de son « entêtement à ignorer la violence de la réalité extérieure, à continuer d’écrire des romans qui tournent autour de la réalité intérieure, qui examinent l’âme humaine, universelle, qui parlent de la guerre des sexes et non de la guerre des peuples… »
Zeruya Shalev est née en 1959 au kibboutz Kinneret (celui de la poétesse Rahel). Elle a grandi à Bet Berl, près de Kfar Saba, avant de venir étudier la Bible à l’université de Jérusalem. Sa famille compte plusieurs écrivains, et elle a baigné dans une atmosphère où l’écrit et la littérature étaient valorisés au plus haut point. « J’ai commencé à écrire à l’âge de 6 ans, et mes parents me lisaient la Bible, mais aussi les grands classiques : l’Odyssée, Gogol, Kafka… ». Son père, Mordehai Shalev, est un critique littéraire renommé. Son oncle est le poète Itshak Shalev et son cousin l’écrivain Meir Shalev. Elle est mariée avec l’écrivain Eyal Megged, fils de l’écrivain Aharon Megged.
Avec tous ces écrivains dans la famille, il n’est pas étonnant que Zeruya ait elle aussi la « bosse de l’écrivain »… Sa carrière a pourtant débuté relativement tard. Elle a longtemps écrit de la poésie, avant de se tourner vers la prose et de publier son premier roman, à l’âge de 34 ans. Ses trois romans suivants, Vie amoureuse, Mari et Femme et Théra ont rencontré un grand succès, tant en Israël qu’à l’étranger, où elle est devenue l’auteur israélien le plus lu, en Europe notamment. Zeruya Shalev travaille comme éditrice chez Keter, un des trois grands éditeurs israéliens. Pendant longtemps, elle pensait qu’il était impossible de vivre du métier d’écrivain, jusqu’à ce que la chance lui sourie. Mais le succès ne lui est pas monté à la tête : Zeruya Shalev est restée simple et c’est avec sincérité et naturel qu’elle répond a mes questions.
P. L. Le succès n’est-il pas dangereux ? Vous n’êtes plus seulement écrivain, vous êtes aussi devenue un auteur dont la réussite constitue un enjeu économique pour votre éditeur et vos agents ?
Z. S. Avant tout, c’est très réjouissant ! Rien n’est plus triste qu’un écrivain qui n’a pas de lecteurs. Cela me permet aussi de consacrer plus de temps à l’écriture. Les rencontres avec les lecteurs, en Israël et à l’étranger, sont une expérience extraordinaire. J’étais récemment en France, à Lyon et à Marseille. Des gens me disent que mon dernier livre a changé leur vie, ou bien qu’ils pensent qu’il avait été écrit pour eux… D’autres me racontent qu’ils ont décidé de ne pas divorcer et de tout faire pour sauver leur couple, après avoir lu mon dernier livre ! [Théra, qui relate un divorce et la tentative de refonder une nouvelle famille. PL]
Mais je ne me laisse pas griser par le succès. L’écriture est un processus pur. Je ne pense pas à la réussite, je me contente d’écouter ma voix intérieure.
P.L. Contrairement à la génération précédente d’écrivains, comme Amos Oz, A.B. Yehoshua ou David Grossman, vous refusez de parler de politique, dans vos livres comme dans les interviews. Pourquoi ?
Z.S. Cela ne me convient pas. Mon écriture se déploie dans un territoire qui est indépendant de la politique. Je ne veux pas prendre la posture du « prophète » qui prédit l’avenir. Le rôle de l’écrivain est de montrer la complexité et l’ambivalence de la réalité, surtout à l’égard de situations qui sont aussi floues que celles de la vie familiale. Lorsque je suis à l’étranger, je m’efforce de présenter une opinion patriote mais non politique. Il est essentiel à mes yeux que les lecteurs étrangers comprennent notre vie quotidienne. Qu’ils réalisent la difficulté d’élever des enfants en Israël, et la peur du terrorisme. Ils doivent comprendre que nous aussi, nous souffrons !
Mais Israël n’est pas seulement un pays victime des attentats terroristes. Il est aussi important de montrer un autre visage d’Israël : celui de gens qui, comme partout dans le monde, vivent, aiment, se marient et divorcent… En montrant cet aspect de notre existence quotidienne, cela permet peut-être de rapprocher les lecteurs à l’étranger, Israël devient pour eux un endroit moins étrange.
P.L. En montrant la complexité des sentiments de vos personnages, vous combattez à votre manière la déshumanisation d’Israël… A ce sujet, que pensez-vous de la récente interview d’Avraham Burg, qui s’en prend au sionisme et à l’Etat d’Israël avec une virulence incroyable ?
Z.S. Il nous a causé un préjudice énorme. Cela m’attriste et me choque. Je veux espérer qu’il s’agit d’un phénomène individuel et pas d’une tendance collective… Je voudrais relater une anecdote à ce sujet. Ma fille est soldate, elle se trouve actuellement à Sderot. Récemment elle a rencontré une famille venue de France. Elle leur a demandé s’ils préféraient la vie à Paris ou à Sderot, elle était certaine de les entendre répondre « à Paris »… Ils ont répondu sans hésiter, « à Sderot, car c’est notre pays ! ». Cela constitue à mes yeux la meilleure réponse possible à Avraham Burg, qui pense que le sionisme est mort.
P.L. Vous avez étudié le « Tanah’ » (la Bible hébraïque) et cela se sent dans vos livres, qui sont pleins de motifs et de réminiscences bibliques. Est-ce que vous vous considérez comme un écrivain juif ?
Z.S. J’écris sur des sujets universels, comme l’amour, le couple et les sentiments. Mais d’autre part, j’introduis des éléments juifs dans mes livres, et c’est important à mes yeux. Il y a toujours dans mes romans une dimension métaphorique qui renvoie à l’histoire d’Israël.
P.L. Quel est le sujet du livre auquel vous travaillez actuellement ?
Z.S. Je travaille sur un livre qui sera différent des trois précédents, qui ne fera pas partie de cette « trilogie ». Mais en écriture il n’y a pas d’expérience acquise. C’est chaque fois un combat avec moi-même et un recommencement.
P.L. Est-ce que vous êtes confiante dans notre avenir sur cette terre ?
Z.S. Je vis dans la crainte… Mais aussi dans l’espoir, car on ne peut vivre sans espoir. Je n’ai jamais envisagé de vivre ailleurs qu’ici, même après avoir été blessée dans un attentat en janvier 2004. J’espère que nous ferons preuve de suffisamment de force et d’intelligence pour pouvoir continuer de vivre ici. Souvent on me demande à l’étranger : « comment faites-vous pour écrire en Israël, avec tous les événements ? ». Ma réponse est que cette tension nous maintient éveillés… Cette vie sous tension permanente m’aide à écrire, même si je préfèrerais que nous connaissions enfin la tranquillité !
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