Dans sa tribune paru dans Le Figaro, Alain-Gérard Slama exprime avec beaucoup d’humanité et le sens de la mesure, qu’on lui reconnaît, son opinion sur l’euthanasie.
Je la partage pleinement et vous la livre...
Jean-Pierre Renard
Euthanasie: un débat suicidaire« La France a choisi la solution la plus respectueuse de la dignité humaine, avec la loi Leonetti
du 22 avril 2005 »
La chronique d’Alain-Gérard Slama
Chantal Sébire aurait voulu que le cancer incurable qui lui rongeait le visage, et dont elle ne pouvait plus endurer la souffrance, fût l’occasion de faire voter en France une loi sur l’euthanasie. Un débat national s’est aussitôt enflammé en sa faveur. Des associations ont fait campagne pour que notre pays suive, dans ce domaine, l’exemple des Pays-Bas et de la Belgique, qui ont ouvert la voie en 2001 et 2002. Les médias ont exploité le drame en publiant, à l’appui, les photographies insoutenables que la malade s’était longtemps refusée à livrer à la compassion publique. Au début de la semaine dernière, la justice rejetait l’autorisation de subir l’injection létale que celle-ci avait demandée.
Deux jours plus tard, la nouvelle du décès de Chantal Sébire chez elle, à Plombières-lès-Dijon, provoquait une nouvelle ruée médiatique, à propos des circonstances de sa mort. Après avoir formulé quelques scrupules, le procureur a ajouté l’acharnement judiciaire à l’acharnement thérapeutique en faisant procéder à une autopsie. On ne saurait mieux illustrer la formule de Bernanos, au début de ses Grands Cimetières : « L’homme a le coeur dur et la tripe sensible. »
La « tripe sensible » est apparue, en revanche, dans la légèreté avec laquelle, sous l’emprise de l’émotion, la remise en cause par la loi d’un principe fondamental de notre civilisation a été jugée possible. Le « droit de mourir dans la dignité » a été, à cette occasion, l’argument le plus constamment invoqué. Or, de même que la société doit savoir ne pas se mêler des décisions qui relèvent de la vie privée, elle ne doit pas davantage céder, sur un sujet aussi central que l’euthanasie, à la tentation de légiférer de façon générale dans le but de résoudre un problème particulier. Elle doit se l’interdire, non parce que ce serait violer un commandement de Dieu, mais parce que ce serait briser l’un des derniers tabous anthropologiques qui fondent précisément la dignité de l’homme en interdisant à celui-ci de s’aliéner totalement entre les mains de la société, en déléguant à celle-ci, via l’hôpital, la responsabilité de lui administrer une « mort douce », dans des conditions que la loi serait censée fixer et encadrer. Pour éviter une telle dérive, la France a choisi la solution la plus respectueuse de la dignité humaine, avec la loi Leonetti du 22 avril 2005, qui autorise, non l’euthanasie, mais la cessation de l’acharnement thérapeutique dans les cas désespérés, sous réserve que le médecin ait la caution de son équipe, et qu’il ait le « consentement éclairé » préalable du malade, ou, à défaut, de son représentant. A contrario, les Pays-Bas et la Belgique ont justifié leurs lois d’euthanasie en invoquant l’argument de la « transparence », et la nécessité d’éviter les abus.
En réalité, les « critères de minutie » prévus dans ces lois pour en limiter le champ d’application substituent des clauses techniques aux clauses de conscience. Comme dans le cauchemar du Brave New World de Huxley, la préférence pour la mort consentie, mise en balance avec les difficultés matérielles et psychologiques du soin palliatif, touchait 4 000 personnes en 2001. Loin d’éviter les abus, elle en concerne au moins 9 000 aujourd’hui. Et, sous couvert de « transparence », ces textes, franchissant les frontières, risquent d’étendre sur la civilisation européenne une vague de nihilisme proprement suicidaire.
Voici que, après avoir écarté la mort de la vie, les sociétés hyperprotégées par l’État-providencene peuvent plus supporter le spectacle de la maladie. Et voici surtout que, sous l’emprise du relativisme, elles croient possible de concevoir qu’il y ait, d’un côté, une morale qui s’impose à la conscience, et de l’autre, des cas particuliers, que les progrès fulgurants des techniques nouvelles rendraient de plus en plus nombreux, et que les comités d’éthique auraient pour mission de traduire en termes immédiatement exploitables par le pouvoir politique. Le Pr Didier Sicard, personnalité rayonnante qui a présidé pendant neuf ans le Comité consultatif national d’éthique, s’en est inquiété avec force dans un essai, L’Alibi éthique ( Fayard), qui témoigne d’une expérience irremplaçable. Prétendre légiférer en matière « éthique » autrement que pour rappeler les principes, aboutit à relativiser ces principes, sous prétexte de les mettre en accord avec les moeurs, et à asseoir ainsi l’arbitraire d’une morale d’État, dont la logique est totalitaire.
Les commentaires récents