La mer

Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
La mer calme, la mer au murmure endormeur,
Au large, tout là-bas, lente s’est retirée,
Et son sanglot d’amour dans l’air du soir se meurt.

La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
Au profond de son lit de nacre inviolé
Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.

La mer aime le ciel : c’est mieux pour lui redire,
À l’écart, en secret, son immense tourment,
Que la fauve amoureuse, au large se retire,
Dans son lit de corail, d’ambre et de diamant.

Et la brise n’apporte à la terre jalouse,
Qu’un souffle chuchoteur, vague, délicieux :
L’âme des océans frémit comme une épouse
Sous le chaste baiser des impassibles cieux.

Nérée Beauchemin


Pour Némésis

Cheval noir, cheval blanc, une seule main d'homme maîtrise les deux fureurs. 
A tombeau ouvert, joyeuse est la course.
La vérité ment, la franchise dissimule. Cache-toi dans la lumière.

Le monde t'emplit et tu es vide : plénitude.

Petit bruit de l'écume sur la plage du matin ; il remplit le monde autant que le fracas de la gloire. 
Tous deux viennent du silence.

Sous la dalle de la joie, le premier sommeil.

Semé par le vent, moissonné par le vent, et cependant créateur, tel est l'homme, à travers les siècles, et fier de vivre un seul instant.

Albert Camus

C'est une des dernières pages écrites par Camus, avant l'accident de voiture du 4 janvier 1960 qui lui coûte la vie. Les chevaux ce jour-là n'étaient pas maîtrisés.


Soir d'automne

L'automne est la saison dolente.

L'âme des labours assoupis
Berce d'une hymne somnolente
L'enfance des futurs épis ;

Et, triste, la mer de Bretagne
Se prend à gémir, dans le soir.
Par les sentiers de la montagne,
Commence à rôder le Mois Noir.

Et les cloches ont l'air de veuves,
Dans les clochers silencieux...
Nous n'irons plus aux aires-neuves !
Voici l'hiver, le temps des vieux.

Pour le départ des alouettes,
Tintent les glas des abandons.
Pleurez, ô chapelles muettes,
Les cierges éteints des Pardons !

Avec les oiseaux de passage,
Les Clercs s'en vont aux premiers froids.
Ils emportent, selon l'usage,
Leurs livres, noués trois par trois.

L'automne est la saison dolente.
Les mères, sur le seuil, longtemps,
De leur bénédiction lente
Encouragent les hésitants ;

Car, près d'enjamber la barrière,
Plus d'un a suspendu son pas,
Comme si des voix, par derrière,
Lui chuchotaient : « Ne t'en va pas ! »

Anatole LE BRAZ (1859-1926)


L'extase d'un baiser

"Au point que j'expirais, tu m'as rendu le jour 
Baiser, dont jusqu'au cœur le sentiment me touche, 
Enfant délicieux de la plus belle bouche 
Qui jamais prononça les Oracles d'Amour.

Mais tout mon sang s'altère, une brûlante fièvre 
Me ravit la couleur et m'ôte la raison ; 
Cieux ! j'ai pris à la fois sur cette belle lèvre 
D'un céleste Nectar et d'un mortel poison.

Ah ! mon Ame s'envole en ce transport de joie ! 
Ce gage de salut, dans la tombe m'envoie ; 
C'est fait ! je n'en puis plus, Élise je me meurs.

Ce baiser est un sceau par qui ma vie est close : 
Et comme on peut trouver un serpent sous des fleurs, 
J'ai rencontré ma mort sur un bouton de rose".

 

François L'Hermite, sieur du Solier, dit Tristan L'Hermite, né en 1601 au château du Solier, près de Janaillat, dans la Marche, et mort à Paris le 7 septembre 1655, est un poète et dramaturge français. Il occupa le fauteuil 17 de l'Académie française de 1649 à 1655.


Le mousse

Mousse : il est donc marin, ton père ?…
- Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d’avec ma mère,
Il a couché dans les brisants 

Maman lui garde au cimetière
Une tombe - et rien dedans -
C’est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants.

Deux petits. - Alors, sur la plage,
Rien n’est revenu du naufrage ? …
- Son garde-pipe et son sabot …

La mère pleure, le dimanche,
Pour repos… Moi : j’ai ma revanche
Quand je serai grand - matelot ! -

Tristan Corbière, Les Amours jaunes


Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

Charles BAUDELAIRE (1821-1867)


A un maître inconnu

Du temps que j'étais écolier sauvage En un vieux collège aux livres moisis, S'en vint jusqu'à moi, s'en vint une page D'un recueil tout frais de « Morceaux choisis ».

Comme l'eau d'avril au creux des fontaines, Ainsi le printemps riait dans ces vers. Je lus - et je vis, aux brumes lointaines, S'ouvrir les yeux neufs d'un autre univers.

Je n'étais plus seul dans ma solitude : Un soleil ami, voilé de langueur, Dorait les bancs noirs de la sombre étude Et de sa tendresse inondait mon cœur.

Oh ! les beaux vers francs, et de quelle flamme, Intimes et chauds, comme le foyer!... Leur chant vous entrait si profond dans l'âme Qu'en le récitant on croyait prier.

De qui étaient-ils ? Je l'ai su peut-être, Mais je t'en demande humblement pardon : O maître inconnu qui fus mon vrai maître, L'enfant que j'étais oublia ton nom.

En devenant homme, il oublia même Le rythme des mots qui l'avaient charmé... Mais l'accent secret, le son du poème, Je l'entends toujours, comme sublimé.

A sa caressante et souple musique Si vieilli soit-il, mon cœur fond encor, Et je bénis l'heure où ta main magique Suspendit en moi ce théorbe d'or.

Anatole LE BRAZ   (1859-1926)


POÈME 


" Pêcheurs Bretons "

Fils de Paimpol ,de Penvenan, les émotions que tu ressens,
sont les mêmes que tes frères d'arme, que sont les pêcheurs d’Ouessant.

Lorsque la lune s'habille de marbre, comme suspendue au firmaments,
vos silhouettes sur les barques sont les mêmes qu'il y a mille ans.

Texte de Jean Yves Meuric


POÈME


La Jalouse -
.
Je suis un gâs de Saint-Malo 
Et vous, fille de Cornouailles, 
Avec le pauvre matelot 
Vous désirez les accordailles. 
M'aimer serait du temps perdu 
Chassez-moi de votre pensée. 
L'amour, hélas ! m'est défendu 
Car la mer est ma fiancée ! 
.
Lorsque j'étais petit garçon 
Et que je dormais sur la grève 
La mer chantait à sa façon, 
Afin de mieux bercer mon rêve 
Ne tenons plus de doux propos 
Comme nous faisions tout à l'heure. 
Ma fiancée a le cœur gros, 
Entendez-vous comme elle pleure ? 
.
En vrai Breton, j'ai pour la mer 
Un amour sauvage et farouche, 
J'ai soif de son baiser amer 
Qui parfume et meurtrit ma bouche 
Rendez-moi vite mes genêts, 
Reprenez votre boucle blonde 
Ma fiancée est aux aguets, 
Entendez-vous comme elle gronde ? 
.
Quand on lui fait quelque chagrin 
La mer se venge de l'infâme. 
C'est pourquoi le pauvre marin 
Ne devrait jamais prendre femme. 
Adieu ! Puisqu'il en est ainsi, 
Vous ne serez pas mon épouse. 
Mais ne rodez pas par ici 
Car ma fiancée est jalouse.

Théodore Botrel


Nuit En Mer

La brise enfle notre voile :
Voici la première étoile
Qui luit ;

Sur le flot qui nous balance,
Amis voguons en silence,
Dans la nuit.

Tous bruits viennent de se taire,
On dirait que tout, sur Terre,
Est mort :

Les Humains comme les Choses,
Les oiseaux comme les roses
Tout s’endort !

Mais la Mer c'est la Vivante,
C'est l'Immensité mouvante
Toujours,

Prenant d'assaut les jetées,
Dédaigneuse des nuitées
Et des jours !...

Hormis Elle, rien n'existe
Que le grand Phare et son triste
Reflet ;

A la place la meilleure,
Mes amis, jetons sur l'heure
Le filet !...
.
Puis, enroulés dans nos voiles
Le front nu sous les étoiles,
Dormons !

Rêvons en paix profonde,
A tous ceux qu’en ce bas-monde
Nous aimons !
.
Dormons sur nos goëlettes
Comme en nos bercelonnettes
D’enfants…

Et demain à marée haute
Nous rallierons la Côte,
Triomphants !

Théodore Botrel