Je t'aime tant.


Recueil : Le délire de l'amour (1780)

Je t'aime tant, je t'aime tant :
Je ne puis assez te le dire,
Et je le répète pourtant
À chaque fois que je respire.
Absent, présent, de près, de loin,
Je t'aime est le mot que je trouve :
Seul, avec toi, devant témoin,
Ou je le pense ou je le prouve.

Tracer je t'aime en cent façons
Est le seul travail de ma plume ;
Je te chante dans mes chansons,
Je te lis dans chaque volume.
Qu'une beauté m'offre ses traits,
Je te cherche sur son visage ;
Dans les tableaux, dans les portraits
Je veux retrouver ton image.

En ville, aux champs, chez moi, dehors,
Ta douce image est caressée ;
Elle se fond, quand je m'endors,
Avec ma dernière pensée ;
Quand je m'éveille, je te vois
Avant d'avoir vu la lumière,
Et mon cœur est plus vite à toi
Que n'est le jour à ma paupière.

Absent, je ne te quitte pas ;
Tous tes discours, je les devine.
Je compte tes soins et tes pas ;
Ce que tu sens, je l'imagine.
Près de toi suis-je de retour,
Je suis aux cieux, c'est un délire ;
Je ne respire que l'amour,
Et c'est ton souffle que j'aspire.

Ton cœur m'est tout. mon bien, ma loi,
Te plaire est toute mon envie ;
Enfin, en toi, par toi, pour toi,
Je respire et tiens à la vie.
Ma bien-aimée, mon trésor !
Q'ajouterai-je à ce langage ?
Dieu ! que je t'aime ! Eh bien ! encore
Je voudrais t'aimer davantage.

Fabre d’Églantine


En sourdine

Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond.

Fondons nos âmes, nos cœurs
Et nos sens extasiés,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.

Ferme tes veux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton cœur endormi
Chasse à jamais tout dessein.

Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazon roux.

Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera.

Paul Verlaine


Armor

Pour me conduire au Raz, j'avais pris à Trogor
Un berger chevelu comme un ancien Évhage ;
Et nous foulions, humant son arôme sauvage,
L'âpre terre kymrique où croît le genêt d'or.

Le couchant rougissait et nous marchions encor,
Lorsque le souffle amer me fouetta le visage ;
Et l'homme, par-delà le morne paysage
Étendant un long bras, me dit : Senèz Ar-Mor !

Et je vis, me dressant sur la bruyère rose,
L'Océan qui, splendide et monstrueux, arrose
Du sel vert de ses eaux les caps de granit noir ;

Et mon cœur savoura, devant l'horizon vide
Que reculait vers l'Ouest l'ombre immense du soir,
L'ivresse de l'espace et du vent intrépide.

José-Maria de HEREDIA (1842-1905)


- LES PETITS GRAVIERS 

- À quinze ans à peine, aux bancs de Terre-Neuve,
Pauvres p'tits "graviers", pourquoi partez-vous ?
- Dame ! il le faut ben : notre mère est veuve,
Et l'on n'a plus d'pain à manger chez nous !

- Quand vient février, vers les mers lointaines,
Pauvres p'tits "graviers", combien partez-vous ?
- On est, pour le moins, sept à huit centaines
Qui s'en vont là-bas... mais n'en r'vienn'nt pas tous !

- La charge complète, à la côt' bretonne
Pauvres petits "graviers", quand reviendrez-vous ?
- Partis en hiver, on rentre en automne :
Nous ne r'verrons plus les étés si doux !

- Sortis des bateaux, le cœur tout malade,
Pauvres p'tits "graviers", où débarquez-vous ?
- Entre le Cap Rouge et l'île Langlade :
C'est l'Ile-aux-Chiens qu'est notre rendez-vous !

- Pendant les neuf mois que dur'nt les grand's pêches
Pauvres p'tits "graviers", là, qu'y faites-vous ?
- Nous fendons en deux les gross's morues fraîches
Les "ébrouaillons" et leur coupons l'cou !

- Un pareil travail doit vit' vous abattre ?
Pauvres p'tits "graviers", quand reposez-vous ?
- Nous sommes debout vingt heur's sur vingt-quatre,
Pour nous réveiller on nous f... des coups.

- Mais, pour ranimer vos forc's abattues,
Pauvres p'tits "graviers", dit's, que mangez-vous ?
- On nous fait bouillir des têtes de morues...
Mais ça n'remplc' pas un' bonn' soupe aux choux !

- Quand nul ne vous aime et ne vous écoute,
Pauvres p'tits"graviers", comment vivez-vous ?
- Nous buvons, d'un coup, quéqu's boujarons d'gouttes
Et l'on s'croit heureux lorsque l'on est soûls...

- Mais en revenant dans vos maisonnées,
Pauvres p'tits "graviers", qu'y rapportez-vous ?
- Monsieur l'Armateur nous paie nos journées
À raison, comm' ça, de sept à huit sous !...

- Après tant et tant d'horribles misères,
Pauvres p'tits "graviers", rembarquerez-vous ?
- Dame, oui... nous faisons comme on fait nos pères...
Et, plus tard, nos gâs feront comme nous !

de Théodore Botrel 


Né le 20 février 1791: Émile Deschamps

poète français du XIXe siècle. (1791-1871) né à Bourges
Deschamps avait déjà composé quelques poésies et fait jouer, avec Latouche, deux comédies, dont l’une, le Tour de faveur (1818), avait eu beaucoup de succès, lorsque se produisit le mouvement romantique dont il devint l’un des premiers représentants.
Émile Deschamps est un des 99 poètes ayant contribué au Parnasse contemporain, avec huit poèmes dans le premier recueil (1866) et trois dans le deuxième (1871).

La berceuse.
Recueil : Poésies (1791-1871)

Dors, bel enfant aussi beau que les anges !
Ta mère est là qui veille autour de toi,
Et qui, te berçant dans tes langes,
Croit bercer plus qu'un fils de roi !

Dors dans l'osier, gai semblant de la tombe ;
Mon bras jaloux t'y couve et garde encor :
Avec son aile la colombe
Protège ainsi son cher trésor.

Dors chaudement, dors dans la plume douce !
L'amour, plus doux, préserve ton sommeil :
Une rose est là dans sa mousse,
Qui fleurit pour ton frais réveil.

Émile Deschamps

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Le 14 décembre 1895, naissance de Paul ELUARD, grand poète français. Son œuvre poétique s’inscrit au cœur du Surréalisme et, plus tard, au coeur de la Résistance à l’occupant nazi.

 

J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue

Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu

L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.

Paul Eluard. Air vif
(Derniers poèmes d’amour)

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Le Dormeur du Val

C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, lèvre bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud

Octobre 1870


Une voix de la poésie et de la Résistance est avec nous aujourd'hui. Et nous avons besoin de l’une et de l’autre dans ces temps sombres. Résistons, ami(e)s des poètes !

L'Avis

La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie
L'idée qu'il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écœurait
Sa force le faisait gémir
C'est tout au fond de cette horreur
Qu'il a commencé à sourire
Il n'avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui.

Paul Eluard (1942)

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Harmonie

Regarde cette mer : pourquoi, d'un bleu limpide,
Vois-tu s'étendre au loin ses lumineux réseaux ?
A sa face, pourquoi nulle ombre, nulle ride ?
C'est qu'un ciel clair et doux brille au-dessus des eaux.

Eh bien, de ce beau ciel que l'émail pur s'efface,
Que, derrière la nue, il rentre obscurément ;
Ternis à l'heure même, agitant leur surface,
Les flots partageront le deuil du firmament.

Admire ce concert ; et dis, beauté que j'aime,
Si je m'unis à toi d'un accord moins réel !
Non, l'étroite harmonie entre nous est la même :
Mon âme est une mer dont tes yeux sont le ciel.

Tes grands yeux adorés sont-ils voilés d'une ombre,
Triste pressentiment, souvenir douloureux, —
Soudain mon âme souffre, elle pleure, elle est sombre ;
Mon âme est une mer sous un ciel ténébreux.

Tes yeux de séraphin, aux cils de blonde soie,
Versent-ils du bonheur les sourires flottants,
Mon âme tout à coup s'illumine de joie ;
Mon âme est une mer sous un ciel de printemps.

Tes yeux enfin, tes yeux, à l'heure de l'extase,
Osent-ils dire : Amour ! Amour et Volupté !
Mon âme à leur ardeur étincelle et s'embrase,
Mon âme est une mer sous le soleil d'été !

Joseph Autran (1813-1877)
Recueil : Les Poèmes de la mer (1859)


En septembre

Ciel roux. Ciel de septembre. 
De la pourpre et de l'ambre 
Fondus en ton brouillé. 
Draperie ondulante 
Où le soleil se plante 
Comme un vieux clou rouillé.

Flots teintés d'améthyste. 
Écumes en baptiste 
Aux légers falbalas. 
Horizon de nuées 
Vaguement remué 
En vaporeux lilas.

Falaises jaunissantes. 
Des mûres dans les sentes, 
Du chaume dans les champs. 
Aux flaques des ornières 
En lueurs prisonnières 
Le cuivre des couchants.

Aucun cri dans l'espace. 
Nulle barque qui passe. 
Pas d'oiseaux aux buissons 
Ni de gens sur l'éteule 
Et la couleur est seule 
A chanter ses chansons.

Apaisement. Silence. 
La brise ne balance 
Que le bruit endormant 
De la mer qui chantonne. 
Ciel de miel. Ciel d'automne. 
Silence. Apaisement.

Jean Richepin