11 mars 2009
"Je suis druze et je combat pour mon pays Israël !"
Sur les dix soldats de Tsahal morts lors de l’opération «Plomb durci», deux sont des Druzes. Parlant l’arabe, professant une foi issue d’un islam très hétérodoxe, les Druzes sont environ 120 000 en Israël, un Etat dont ils sont citoyens à part entière (lire ci-contre). Contrairement aux Arabes israéliens, ils sont soumis, comme les Juifs, au service militaire obligatoire. Ils sont nombreux parmi les soldats de carrière et les forces de police. C’est souvent, pour eux, un moyen de promotion sociale.
Dans son modeste appartement de Haïfa, Wafa, la voix brisée, raconte : «C’était un rigolard, toujours enjoué, toujours à faire des blagues. Tout le monde l’aimait.»«Yossi aimait la vie, les filles, ses amis, le surf et la capoeira», ajoute son père, Samir. Une photo du jeune homme, look branché et yeux malicieux, a été accrochée sur le mur, au milieu du salon, avec la date de sa mort, le 5 janvier 2009. Youssef a été tué avec deux autres soldats de la brigade des Golanis, une unité d’infanterie réputée de Tsahal, lors d’un tir fratricide. Un char israélien a tiré sur une maison abandonnée dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, ne sachant pas que des soldats se trouvaient à l’intérieur. «Au moment de l’explosion il s’est jeté sur son officier pour le protéger. Son officier l’adorait, il l’avait pris sous son aile. Il a été grièvement blessé dans l’explosion et m’a appelé de l’hôpital pour me dire que s’il avait un garçon, il l’appellerait Yossi», raconte Samir, utilisant le diminutif hébreu pour désigner son fils.
Un pacte scellé en 1929
Lorsqu’il a été envoyé à Gaza, le jeune homme avait entamé, depuis neuf mois, son service militaire obligatoire de trois ans. Il voulait absolument servir dans les Golanis, comme son père l’avait fait avant lui. «Depuis l’âge de 15 ans, c’était son rêve», raconte Wafa, qui est institutrice dans une petite ville druze voisine de Haïfa. Son père est d’ailleurs intervenu auprès d’une connaissance, un colonel druze. «Quand il revenait en permission à la maison, il faisait la tournée de ses copains jobnikim [le surnom donné aux jeunes effectuant leur service militaire dans des unités non combattantes, ndlr] et il se moquait d’eux. Dans le bus, en route pour Gaza, il m’a appelé et m’a dit : "Papa, si je fais pas le boulot, qui le fera ?"», se souvient Samir.
«Nous sommes Israéliens. Israël est notre pays. L’identité druze est une appartenance individuelle, mais notre identité collective, c’est d’être Israéliens. C’est une tradition chez les Druzes d’être fidèles au pays dans lequel ils vivent», explique son épouse. Le plus jeune fils Muadi, Amir, 14 ans, a ainsi remporté il y a deux ans un concours national testant les connaissances des jeunes sur l’histoire de Jérusalem, devançant des centaines de candidats juifs. Samir travaille pour le gouvernement israélien comme coordinateur agricole avec l’Autorité palestinienne. Bien qu’arabe, il a adopté la ligne officielle de la majorité juive sur la lutte contre le terrorisme. «Nous ne nous battons pas contre le peuple palestinien, pas même contre l’Autorité palestinienne, mais contre des organisations fondamentalistes qui ne veulent pas de nous ici», estime-t-il, en faisant référence au but déclaré du Hamas de détruire l’Etat d’Israël.
Youssef a été enterré à Yirka, dans le nord du pays, le foyer des Muadi - l’une des plus grandes familles druzes d’Israël. Construite il y a plus de trois siècles, la maison familiale y est toujours. «L’histoire de la famille est indissociable de celle d’Israël», explique Samir. L’arrière-grand-père de Youssef, Said Muadi, était ainsi l’un des leaders politiques de la communauté. En 1929, il signe un accord avec les responsables sionistes, marquant le début de l’alliance entre Druzes et Juifs contre la majorité arabo-musulmane de l’époque. Au moment de la création de l’Etat, en 1948, le Premier ministre David Ben Gourion a même rencontré les patriarches de la famille Muadi, raconte Samir avec fierté.
« Israéliens de sang »
A quelques kilomètres de Haïfa, dans le bourg druze de Daliat-al-Carmel, la vaste maison des Nasereldin bruisse des conversations chuchotées entre des membres de la famille et des amis venus présenter leurs condoléances suite à la mort de Lutfi. Officier de carrière âgé de 38 ans, il est le premier soldat israélien tué à Gaza, par un tir de mortier, au deuxième jour de l’offensive, le 29 décembre. Les doyennes de la famille, revêtues de la tenue traditionnelle de deuil, robes amples noires et foulards blancs, sont assises dans une pièce séparée, avec les enfants. Elles servent du thé à la menthe et du café turc aux visiteurs. Les hommes siègent dans de larges fauteuils alignés le long du mur d’un salon ovale. Le père de Lutfi, Wajiya, 64 ans, est assis à côté d’une photo de son fils, en uniforme, placée sur une table basse à côté d’un bouquet de fleurs séchées. L’imposant sexagénaire, qui parle d’une voix basse et retenue, est peu prolixe sur la personnalité de Lutfi. Il répète cependant à plusieurs reprises qu’il est très fier que son fils ait été tué en «défendant les localités israéliennes proches de la bande de Gaza qui ont souffert pendant huit ans des tirs palestiniens». «Nous sommes partie intégrante de l’Etat d’Israël, c’est notre pays, nous devons le défendre. Il n’y a pas de différence entre nous et les Juifs. D’ailleurs, ils ne cessent de venir nous voir pour nous présenter leurs condoléances», explique Wajiya, président du mémorial des soldats druzes tués au combat pour la région du Carmel et de la Galilée.
Quelques jours après la mort de Lutfi, le président israélien, Shimon Peres, s’est rendu au domicile des Nasereldin. «Israël est fier de ses Druzes. Vous êtes des gens de paix qui savent aussi être des combattants courageux en temps de guerre», a dit le Président au grand-père de Lutfi, Amal, qui fut député du Likoud (droite) à la Knesset entre 1977 et 1988. Lutfi portait le prénom d’un de ses oncles, lui aussi officier de carrière, tué dans une opération militaire en 1969. Le service dans l’armée ou dans la police est une tradition familiale chez les Nasereldin. Une photo en noir et blanc de Wajiya, longues moustaches et uniforme, est accrochée dans l’entrée, souvenir de ses quinze années de service comme officier dans la police. Un de ses deux fils encore vivants, Shadi, 36 ans, a lui aussi fait carrière dans l’armée, dans une fonction qu’il préfère tenir secrète.
«Même si notre langue maternelle est l’arabe, nous sommes exactement comme les Juifs, nous sommes Israéliens de sang, nous nous sentons très bien ici, en Israël. C’est notre pays», assure Hanan, la veuve de Lutfi, qui tient leur fille Asul, 5 ans, sur ses genoux. «Il y a deux ans, se souvient-elle, Lutfi avait été très fier de représenter l’unité des Golanis pendant la cérémonie du jour de l’indépendance [marquant chaque année l’anniversaire de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, ndlr], c’est lui qui tenait le drapeau de la brigade.»
Delphine MATTHIEUSSENT
Correspondante de Libération à Jérusalem.
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