LE SANG DE KABOUL ET LES LARMES DE L'OCCIDENT
[Tribune publiée le 17 août par L’OPINION]
« On aura les conséquences. Celui qui creuse une fosse y tombe. Celui qui rompt une haie, le serpent le mord. » L’avertissement de L’Ecclésiaste était cité par Jacques Bainville, au matin de l’après-Première guerre mondiale, en exergue de ses Conséquences politiques de la paix. Tout aussi vertigineuses seront les conséquences politiques de la défaite que subit aujourd’hui l’Occident après la guerre de vingt ans perdue en Afghanistan.
Pour tenter d’y voir clair, écartons d’emblée les affirmations des commentateurs qui choisissent précisément de regarder ailleurs.
Les pseudo-réalistes, d’une part, minimisent déjà la défaite en expliquant qu’elle n’a en vérité rien d’anormal tant l’Afghanistan a été et reste un cimetière d’empires ; on nous explique que, plus que le départ désordonné des Etats-Unis aujourd’hui, c’est leur longue intervention armée qui a été une faute ; plutôt que de prétendre régenter ce pays si compliqué en tenant d’y bâtir un Etat-Potemkine, il serait plus sage de laisser les Afghans entre eux, régler leurs différends à leur manière rustique, d’autant que « les talibans sont sans doute plus proches des mœurs, des croyances et des pratiques de la majorité du pays que les élites de Kaboul » (dixit M. Gérard Araud, le 15 août, dans les colonnes du Point) ; on imagine que leurs voisins régionaux s’en débrouilleront comme ils pourront, peut-être pas mieux mais pas forcément plus mal que l’URSS avant-hier et les Etats-Unis jusqu’alors.
Quant aux clercs fascinés par les nouveaux damnés de l’islamisme, ils nous invitent, d’autre part, à ne pas verser dès maintenant dans ce qui leur apparaîtrait comme une méfiance illégitime à l’endroit du nouveau pouvoir afghan : M. Edwy Plenel n’a pas craint de laisser écrire lundi 16 août, dans Mediapart, qu’« on ignore tout des nouveaux maîtres de l’Afganistan et de leurs intentions », tant les talibans sont, comme chacun a pu le remarquer depuis tant d’années, vêtus de probité candide et de lin blanc.
Mais si l’on veut bien voir ce que l’on voit, le sang de Kaboul est là, qui coule pour le malheur des Afghans et le déshonneur de l’Occident.
Malheur immense de millions d’enfants, de femmes, d’hommes condamnés à subir la régression infernale qui les asservit désormais à l’islamisme le plus barbare. Et déshonneur de l’hyperpuissance impuissante, les Etats-Unis d’Amérique, qui perdent dans cet oxymore bien plus qu’une bataille, mais aussi un statut. Le président Biden, dans cette affaire, se sera comporté encore plus mal que son prédécesseur : Trump voulait l’America First, Biden a fait l’America Out. Quelle valeur peut-on reconnaître à des services de renseignement, une diplomatie et même un Président annonçant publiquement, le mois dernier encore, qu’il était fort peu probable que les talibans puissent s’emparer de la capitale afghane ? Et quel crédit peut-on désormais accorder à l’assurance américaine lorsque le monde entier a vu les avions de l’US Air Force fuir l’aéroport de Kaboul en s’arrachant aux désespérés tentant vainement de s’y accrocher ?
La défaite américaine entraîne tout l’Occident dans l’abîme. Dans le grand jeu qui s’annonce, elle fait deux vainqueurs qui sont pour l’un notre ennemi, pour l’autre notre concurrent.
L’ennemi, c’est évidemment l’internationale islamiste. Avec la fin de cette guerre de vingt ans qu’aura été, de 2001 à 2021, l’intervention américaine en Afghanistan, ce n’est pas celle de la longue guerre que mènent les islamistes, partout dans le monde, contre tous ceux qui, comme nous, ne veulent pas vivre sous le règne de la charia. Les djihadistes trouvent à nouveau en Afghanistan une base arrière logistique et idéologique pour accélérer leur entreprise de déstabilisation. Disons les choses telles qu’elles sont : les nouveaux seigneurs de Kaboul seront, dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, inspirateurs, producteurs et exportateurs de terroristes islamistes, y compris bien sûr vers l’Europe et vers la France.
L’autre grand vainqueur n’est pas notre ennemi, mais c’est le premier concurrent de l’Occident : la Chine. C’est peut-être la conséquence la moins immédiatement visible, mais la plus profondément déstabilisatrice à long terme, de la chute de Kaboul.
Le déclassement des Etats-Unis valide la lecture chinoise du XXIème siècle en affaiblissant, non seulement le leadership américain, mais aussi ce qui restait des règles du jeu multilatéral. La misérable faiblesse du secrétaire général de l’ONU, qui appelait ces jours-ci les talibans à « la plus grande retenue », fait écho aux diplomates compassés qui, à la manière des comparses de Solal dans Belle du Seigneur, erraient autrefois dans les couloirs de la Société des nations en bêlant : « nous sommes à la croisée des chemins », sans jamais en tirer aucune conséquence. Ainsi vont, près d’un siècle plus tard, les instances multilatérales héritées du XXème siècle, que la puissance chinoise contourne désormais, avec d’autant plus d’obstination et de capacité de conviction qu’elles démontrent leur incapacité à peser sur les désordres du monde. Déjà les mandataires de M. Xi Jinping ont reçu en Chine des émissaires afghans pour tenter, sinon d’intégrer le régime taliban aux nouvelles routes de la soie, du moins de trouver avec lui un terrain d’entente économique autant que géopolitique.
Le sang coule à Kaboul et l’Occident n’a pas fini de sécher ses larmes. Dans le bouleversement à l’œuvre, l’Europe saura-t-elle enfin se rappeler qu’elle a le devoir d’exister ? Pour se protéger elle-même, d’abord, face aux menaces du terrorisme islamiste mais aussi au chaos migratoire, en assumant des capacités sécuritaires vraiment autonomes des Etats-Unis. Et pour rester fidèle, aussi, à notre idéal de civilisation. Là est l’enjeu premier. Que la France s’en saisisse, à quelques mois d’assumer la présidence de l’Union européenne, en montrant le chemin de la puissance et de la paix.
Guillaume Larrivé
Député LR de l’Yonne
Président du mouvement « La France demain »
https://www.lopinion.fr/edition/international/sang-kaboul-larmes-l-occident-guillaume-larrive-251871
Les commentaires récents