Lettre ouverte au ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Par Simon Abkarian
"A Pachinian le démocrate vous avez préféré Aliev le dictateur, et au courage politique ; le nettoyage ethnique"
"Monsieur le Ministre Le Drian,
Je voulais vous écrire la semaine dernière mais je savais votre emploi du temps chargé. Juste avant la fin des combats qui faisaient rage en Artsakh, n’étiez vous pas affairé à envoyer une aide médicale à l’Azerbaïdjan toute abandonnée qu‘elle était ? Ce fut de votre part un acte de compassion sincère, je n’en doute pas, un geste d’une clairvoyance politique indiscutable, j’en suis sûr. Comme vous, je reste neutre et en aucun cas ne vous jugerai quand à votre besoin impérieux de tendre la main au dictateur multimillionnaire de Bakou. Avant hier après la déroute des forces arméniennes qui se sont battues seules contre les armées turques et azerbaïdjanaise et autres mercenaires djihadistes syriens, vous vous êtes empressé de proposer une aide, mais cette fois aux milliers de refugiés Artsakhiotes qui sont contraints de quitter leur patrie millénaire. Cette aide post mortem arrive bien tard monsieur le ministre et je ne vous en suis pas reconnaissant. La reconnaissance ; plutôt que votre humanisme humanitaire, vous auriez dû la donner au peuple d’Artsakh lorsqu’il fallait le faire, ou du moins en défendre l’idée.
A Pachinian le démocrate vous avez préféré Aliev le dictateur, et au courage politique ; le nettoyage ethnique. Je comprends, vous ne pouviez décemment compromettre vos engagements commerciaux. Mais en agissant de la sorte c’est la jeune et fragile démocratie arménienne que vous faites échouer dans une région propice à la corruption et au totalitarisme.
Après l’abject dictat russo/turc, Aliev déclarait, je le cite « J’avais promis de chasser les Arméniens comme des chiens et je l’ai fait. »
Il l’a fait et personne ne s’est interposé. Et puisque tel est le cas il ne s’arrêtera pas.
Porté par le vent de la victoire et aiguillonné par son général en chef d’Ankara il voudra pousser plus loin son avantage.
Ayant échoué à redresser la barre de son économie Erdogan son grand frère et mentor, se cherchait un trophée.
Comme tout prédateur il avait besoin de brandir une tête fraîchement coupée.
Une proie à jeter en pâture à son peuple désenchanté.
Une dépouille à clouer sur le mur de son ambition panturque.
Pour sa gloire personnelle certes, (car il veut inscrire son nom sur les portes de l’éternité), mais aussi pour cette ivresse que lui procure le sang des Arméniens, notre sang.
Pour cette vieille colère qu’il n’arrive pas à réprimer.
Pour cette antique haine qu’il n’arrive pas à s’expliquer.
Mon analyse de cette détestation viscérale à l’encontre des Arméniens n’est disponible dans aucun livre d’histoire, donc ne cherchez pas, mais dans nos plaies criantes de solitude.
Il nous hait car il voit en nous (les restes de l’épée comme disent ses semblables) la preuve vivante qui contredit sa version de l’histoire. Il sait que nous sommes les antiques bâtisseurs qui ébranlent les fondations même de son mythe national.
Il lui faut donc nous tuer une deuxième fois.
Pour lui nous ne serons jamais assez morts, jamais assez niés.
Il nous le rappelle souvent, « N’oubliez pas la leçon que l’on vous a donné. »
La leçon en question c’est le Génocide de 1915.
S’il ne peut l’avouer publiquement il ne peut s’empêcher de nous le dire à mots couverts. « Je vous ai massacré une fois, je peux et rêve de le refaire, de vous effacer, vous engloutir dans le septième oubli. »
Qu’est ce que veut dire cette phrase « N’oubliez pas la leçon que l’on vous a donné ?»
Une démangeaison assassine, une récidive qui n’en peut plus d’attendre, une éloquence sadique, une bravade perverse, une vantardise macabre qui, puisque le mot génocide est remplacé par « leçon », défit toutes poursuites d’ordre juridiques et pénales.
Oui il voudrait nous soustraire au monde afin que la schizophrénie de son peuple puisse se dissoudre dans le sang du dernier des Arméniens. Afin qu’il puisse enfin écrire dans ses livres d’histoire « Nous sommes libres de nos crimes puisque plus personne n’est là pour en témoigner. » Mais nous sommes encore là, nos yeux plantés dans les siens. Il n’aime pas qu’on le fixe sans que l’on baisse la tête, il ne veut pas se reconnaitre dans le miroir brisé de nos regards. Car il se voit tel qu’il est vraiment, un despote qui voudrait s’inventer une généalogie dans une maison qui n’est pas la sienne.
Tant qu’aucun gouvernement turc n’aura reconnu les génocides et les massacres dont la Turquie se rend encore coupable, tant qu’il n’aura pas admis que derrière ses victoires historiques et récentes, se cachent des massacres extraordinaires, crimes abominables à l’encontre de la population humaine, quelque soit le leader de ce pays, s’il continue et s’obstine sur la voix du refoulement et de la négation, son peuple continuera à être un danger d’abord pour lui même mais aussi pour le reste du monde.
Tant qu’il n’aura pas ce courage-là, ce pays sera un témoin à charge contre lui-même.
Tout en fuyant le tribunal des hommes il continuera sa sanglante chevauchée nationale-islamiste.
Dans l’église Sainte Sophie, après qu’elle fut islamisée pour la deuxième fois, Erdogan a brandi le sabre de la conquête. En 1998 il fût condamné pour des propos qui aujourd’hui se traduisent en actes. « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats. » Cela se passe au Kurdistan, en Syrie, en Irak, en Libye, en Artsakh, et désormais en Europe et en France où le sultan Erdogan ne manque ni de casernes/mosquées ni de croyants/soldats.
L’homme n’est pas le hâbleur nostalgique d’un empire déchu.
Il est un danger universel, car il est accroc au pouvoir et il est prêt à s’allier au diable pour le garder toujours.
En ce moment il est en manque de reconnaissance.
Il agit sous l’emprise de pulsions bien distillées, s’adresse au monde dans ce qu’il y a de plus vil : l’insulte et la vindicte.
Si vous en doutez, écoutez comme il parle au président Macron « Qui es tu toi ? » Cette tournure aussi brutale que vulgaire est une question qui porte en elle la réponse.
C’est à dire « tu n’es rien, tu ne mesures rien, tu ne pèses rien. »
« Tu es un microbe, un parasite, une insignifiance qui a pour demeure le néant. »
Comme le vers dans le fruit, le meurtre est dans le verbe.
Au lieu de répondre à l’offense et aux menaces faites à la France, les exégètes de la real politique ne prennent pas la mesure de ce langage qui crache des épées. Ah j’aime entendre les précieuses arguties et voir se tordre les langues de ces conseillers turcophiles. J’aime entendre les arguments économiques fumeux, des membres des amicales France/Turquie ou ceux de France/Azerbaidjan. Mais surtout j’aimerais un jour mettre en lumière les contreparties de leur ignominie. Ils sont de facto les associés d’entreprises génocidaires.
Même si ces élus français amis de ces deux dictateurs, reconnaissent publiquement le génocide de 1915, en coulisse, ils embrassent les pieds de ces « sultans » coupeurs de têtes. Quand passent Aliev ou Erdogan ils se prosternent en chœur, en prenant soin de bien fermer les yeux, ils n’aiment pas se reconnaître dans le clinquant de leurs souliers. Un troupeau de postérieurs offerts au monde, avec leur groin plongés dans leur propre fange, ils font mine de chercher un chemin qu’ils auraient éventuellement perdu. Mais ils sont bien là où ils sont ces porcs. Lorsque l’un d’entre eux ose lever la tête, c’est pour s’assurer que les autres sont bien là. Ils se toisent, se taisent se font une raison. Chacun est le triste reflet de l’autre. Ébahie la France ne dit plus rien. Elle hausse les épaules, arbore le masque de la fatalité. Jadis les poings de la révolte fleurissaient dans le ciel de ses enfants, désabusée elle se tait et laisse l’opprobre faire son nid sur l’arbre du déshonneur. Aujourd’hui c’est déjà hier. Et nous voilà assis sur les ruines fumantes de la folie guerrière à écouter ces champions du libre échange, ces marchands d’armes qui voudraient nous convaincre par A +B que l’un est légitime dans le crime et que l’autre n’a pas le droit de cité. Fini le temps des utopies, révolu le temps des justes, caduque l’époque du rêve. Place au réel, place aux héros de palier devenus députés. Place à ces bègues de la pensée qui caracolent dans l’Hémicycle du monde. Place au sang et à la chair. Place à l’argent pétri de sperme et de parfum de luxe. Elle me plait cette engeance de vendus qui dépouille la France de son habit de gloire pour le mettre aux enchères sur le cintre du monde.
Mesdames et messieurs les affairistes, malgré vos accointances contre nature et inhumaines, malgré vos deals nauséabonds et vos obsessions boursières, nous avons grand espoir que la France, celle de Jaurès, renaisse enfin de ses cendres et nous sauve enfin de vous."
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