Allocution de Jacques Myard du 11 novembre 2016
11 NOVEMBRE 2016
ALLOCUTION DE JACQUES MYARD
Député-Maire de Maisons-Laffitte
Célébrer Verdun ne fait sens que si nous en gardons pour l’avenir les leçons
Cent ans, la terre bouleversée, dévastée garde toujours les plaies et blessures de la terrible bataille,
Cent ans, Dame nature garde toujours les restes de nombreux braves qui dorment en paix pour l’éternité,
Cent ans, je lis ton nom gravé dans chaque village de France et je me souviens que
« tu étais si jeune, si confiant, si fort mon camarade : Oh ! non tu n’aurais pas dû mourir, une telle joie était en toi qu’elle dominait les pires épreuves ... je t’ai entendu rire : jamais pleurer. »
Roland Dorgelès, « Les croix de bois »
Cent ans, je relis lentement avec émotion la lettre que tu as adressée à ton fils Arnaud.
« Tu es encore bien jeune et ne peux comprendre ce qui se passe en ce moment : la guerre, ses horreurs, ses souffrances. Cette carte sera un souvenir de ton père, et il souhaite qu’à l’avenir les hommes soient meilleurs, et que semblable chose ne puisse arriver. Que jamais tu n’aies besoin, et sois forcé, de mener la vie que je subis en ce moment en compagnie de beaucoup de papas qui ont laissé comme moi, de petits anges chez eux.
Le moment venu, je serai sûrement auprès de toi pour te diriger, mais si mon espoir était déçu, en mémoire de ce père que tu n’auras pas connu, redouble de gentillesse pour ta mère et pour ceux qui t’élèveront.
Vénère ta mère ; sois pour elle un soutien véritable.
Rappelle-toi aussi que le vrai bonheur ne se trouve pas dans la richesse et les honneurs, mais dans le devoir vaillamment accompli, ainsi que les bonnes actions. »
Joseph Thomas, tué à Verdun, 30 mars 1916
Cent ans, ton portrait jauni est toujours là dans la salle à manger et veille sur la famille que tu as tant aimée,
Cent ans, je communie toujours avec ta gouaille légendaire, si optimiste, si humaine, si proche de nous tous, quand tu fais « la chasse » aux totos à croix de fer, aux « gaspards » ou que tu te remontes le moral avec une « lampée de brutal »,
Cent ans, et ton parler si direct, si franc nous reste si familier.
« Dis donc, sans t’commander y a quéqu’chose que j’voudrais te d’mander. Voilà la chose : si tu fais parler les troufions dans ton livre, est-ce que tu les f’ras parler comme ils parlent, ou bien est-ce que tu arrangeras ça en lousdoc ? C’est rapport aux gros mots qu’on dit. Car enfin, pas, on a beau être très camarades et sans qu’on s’engueule pour ça, tu n’entendras jamais deux poilus l’ouvrir pendant une minute sans qu’i’s disent et qui se répètent des choses que les imprimeurs n’aiment pas bésef imprimer.Alors quoi ? Si tu ne le dis pas, ton portrait ne sera pas r’ssemblant : c’est comme qui dirait que tu voudrais les peindre et que tu n’mettes pas une des couleurs les plus voyante partout où elle est ».
Henri Barbusse , « Le Feu » Chap XIII 1916
Cent ans, je souffre avec toi dans la boue avec ton « As de carreau » ficelé sur ton dos ou lorsque tu es obligé de porter le « museau de cochon » pour te protéger du « puant ».
Verdun, depuis des temps multiséculaires, tu portes toujours fièrement dans ton nom le sens tragique du destin de la patrie face aux invasions ;
- le 21 février 1916, 7 h 15
Falkenhayn lance un intense pilonnage d’artillerie sur le front, à l’est de Verdun.
En 9 heures, 2 millions d’obus s’abattent sur les lignes françaises.
- Falkenhayn a préparé l’attaque dans le plus grand secret, il masse 8 divisions avec 160 batteries, 640 canons lourds à tir rapide,
- en face, le Général Herr n’a que 2 divisions et 140 canons à tir lent et 2 divisions en réserve.
L’attaque commandée par le Kronprinz Guillaume prévue pour le 12 février est reportée au 21 en raison du mauvais temps, le sol des terres de la Meuse est fait de glaise pâle, de la boue quand il pleut, la sécheresse la transforme en poussière obsédante.
La défense de Verdun repose sur un système de forts :
. Tavannes
. Souville
. Saint-Michel
. Belleville
. Vaux
. Douaumont
Les forts sont désarmés de leurs canons, par un décret du 5 août 1915 : Joffre les veut pour son offensive sur la Somme.
Le Lieutenant-Colonel Driant, commandant les 56 et 59è bataillons de chasseurs, et Député, alerte en vain l’Etat-major sur la réalité et la proximité de la menace et la faiblesse du front.
Des combats d’infanterie ont lieu à Broissant sur Meuse, à Herbois, au bois des Caures où les chasseurs du Lieutenant-Colonel Driant résistent et forcent l’admiration.
Le 25 février, Douaumont gardé par 57 territoriaux est pris.
Le 25 février à 11 heures, sur décision de Joffre, le Général Pétain prend le commandement de la défense de Verdun.
En mars, les combats redoublent de violence sur le fort de Vaux au Mort-homme, au Bois des corbeaux, sur les villages deMalancourt et Haucourt.
En avril, c’est l’assaut général des Allemands du Mort-Homme à Vaux.
Les Français tiennent et résistent.
« le 9 avril est une journée glorieuse pour nos armes. Les assauts furieux des soldats du Kronprinz ont été partout brisés... courage on les aura ! »
Philippe Pétain
Mais il est stratégique d’alimenter le front en matériels et de permettre aux renforts d’arriver.
De Bar-le-Duc à Verdun, le service automobile de l’armée amène :
- à Verdun par la voie sacrée, 23 000 tonnes de munitions, 2 500 tonnes de matériel, 190 000 hommes empruntent la voie.
Nivelle prend le commandement de la 2ème armée sur Verdun.
Le 19 avril, Pétain devient commandant des Armées du Centre.
« Ma tristesse était profonde lorsque je passais au Général Nivelle le commandement de la 2ème armée ».
Philippe Pétain
Du 4 au 10 mai, 10 000 des nôtres tombent à la côte 304.
« Leur tâche accomplie, le 114° et 125° régiment d’infanterie nous cédèrent la place et allèrent respirer un air plus sain au bois Saint-Pierre. Le 296° avait pour mission d’organiser et fortifier à nouveau nos positions.
La tranchée que notre compagnie venait occuper était peu à peu près à mi- pente ; à l’entrée sur une pancarte à moitié emportée par un éclat, je lus « Tranchée Rascas ».
Ce n’était en réalité qu’un mauvais boyau creusé en une nuit par des troupes qui s’étaient accrochés là et qui le lendemain y avaient été écrasées par les « marmites ».
Là, de la chair humaine avait été broyée, déchiquetée ; aux endroits où la terre avait bu du sang des essaims de mouches tourbillonnaient ; pourtant on ne voyait pas de cadavres mais on devinait leur présence, cachés sans doute dans les trous d’obus proches avec un peu de terre dessus, par des relents de chair corrompue. Partout, des débris de toutes sortes, fusils brisés, sacs éventrés d’où s’échappaient des lettres tendres et de chers souvenirs conservés précieusement et que le vent dispersait, puis des bidons crevés, des musettes déchirées, le tout marqué au numéro du 125° régiment ».
Louis Barthas Tonnelier
A la côte 304, les Allemands endurent le même enfer.
Christian Bordeching Lieutenant de Brème témoigne :
« 21 mai 1916
10 jours sur la colline 304
(du 11 au 21 mai)
A gauche se dessine « l’Homme mort » et à droite la « colline 304 » (...) La position de batteries allemandes se situe avant l’étang de Forges, où commence, derrière, l’enfer de 304. Je ne dis pas enfer à tort car c’est ici que commence le royaume des tirs de barrage. Des odeurs de cadavres qui n’ont pas encore pu être enterrés s’élèvent des anciennes tranchées françaises ravagées. Les dernières étendues d’herbe sont déjà bien loin derrière nous, on ne voit plus qu’un désert entièrement et violemment labouré par les grenades. Les cratères les uns contre les autres témoignent de l’horreur des tirs d’artillerie allemands qui nous ont précédés et des actuels tirs de barrage français. »
- le 6 juin, le fort de Vaux défendu avec acharnement par le Commandant Raynal est pris. Le fort a reçu plus de 8 000 obus par jour.
- en juillet, c’est au tour du fort de Thiaumont de tomber.
- en juillet, les alliés attaquent sur la Somme, ce qui oblige les Allemands à enlever des troupes de Verdun.
- en août, le régiment d’infanterie colonial du Maroc achève la reconquête du village de Fleury devant Douaumont.
- du 19 au 25 octobre, les troupes de Mangin attaquent sur 7 km entre Bras et le bois de Laufée.
Le 24 octobre, la division du Général Guyot de Salin et ses tirailleurs sénégalais reprennent Douaumont, en 7 heures les Allemands ont reculé de 3 km.
- du 2 au 8 novembre, le fort de Vaux est repris après un pilonnage de nos canons de 400 par la division Lardemelle.
- les troupes françaises tiennent à nouveau la crête militaire qui domine les pentes abruptes qui tombent sur les plaines de Woëvre.
La ligne de front de février, mars, est rétablie.
- le 5 novembre, le Président Poincaré se rend à Verdun, il épingle la Croix de la Légion d’honneur sur le drapeau du régiment d’infanterie colonial du Maroc.
- le 15 décembre, l’offensive française fait encore reculer l’ennemi, la bataille de Verdun est terminée.
Les Allemands ont tiré 30 millions d’obus.
Les Français, 23 millions, sur quelques dizaines de km2
9 villages ont été détruits :
Beaumont
Bezonvaux
Cumières
Douaumont
Fleury
Haumont
Louvemont
Oznes
Vaux
300 000 hommes ont été tués
400 000 blessés et souvent décédés après la guerre.
Cent ans se sont écoulés.
Le souvenir de la formidable bataille malgré de nombreuses nouvelles épreuves et une seconde guerre mondiale ne s’effacent pas de nos mémoires.
Nos cœurs sont à chaque fois saisis d’émotion à l’évocation des sacrifices indicibles de nos pères qui ont vécu l’enfer de Verdun et sont tombés au champ d’honneur pour la Patrie, pour notre liberté.
Cent ans se sont écoulés et dans la multitude des événements de ce siècle tumultueux, empli d’affrontements et de crimes contre le genre humain, surgit alors parmi les croix blanches du cimetière de Douaumont l’image de deux hommes au garde à vous devant l’ossuaire qui se tiennent par la main alors que retentit la Marseillaise.
Devant les morts tombés au champ d’honneur qu’ils soient français ou allemands,
Devant l’Histoire, après le Général de Gaulle et Konrad Adenauer à la Cathédrale de Reims, martyre des bombardements,
Devant l’avenir toujours à construire, le 22 septembre 1984 François Mitterrand et Helmut Kohl tournaient ensemble, en ce haut lieu d’héroïsme, la page de trois guerres franco-allemandes pour la Paix en Europe.
Cent ans se sont écoulés,
Verdun demeure le symbole héroïque de la résistance acharnée de nos armées face aux invasions, le paroxysme des sacrifices.
« un gigantesque moulin à broyer les hommes » selon les termes mêmes du Kronprinz Guillaume, qui commanda les armées allemandes.
Verdun incarne à jamais la valeur de nos poilus ;
Paysan ou ouvrier,
Soldat ou officier,
Libre penseur ou curé,
Chrétien, juif ou musulman,
Titulaire du certificat d’études ou professeur,
Poète anonyme ou écrivain célèbre,
Ensemble dans les tranchées, ensemble dans les épreuves, ils ont tenu au-delà de l’indicible.
Cent ans se sont écoulés,
Célébrer Verdun, communier par-delà les générations avec nos pères, ce n’est pas seulement procéder à un exercice d’histoire, à un devoir de mémoire ;
Verdun renvoie à l’avenir
Verdun renvoie à notre engagement pour notre liberté
Verdun renvoie à l’indépendance nationale, ardente obligation de chaque génération.
Célébrer Verdun ne fait sens que si nous en gardons pour l’avenir les leçons.
Cent ans se sont écoulés,
Nos soldats sont engagés au Sahel, au Proche et au Moyen-Orient, nous nous inclinons devant le sacrifice du Maréchal des Logis, Fabien Jacques, tombé au Mali.
A l’heure où policiers, gendarmes, les hommes de l’opération Sentinelle nous protègent sur tout le territoire face au fanatisme islamiste,
Retrouvons pour faire face l’esprit de Verdun,
Toute faiblesse, toute naïveté est coupable, nous faisons face à un ennemi impitoyable, barbare,
La Nation en armes demeure la pierre angulaire de notre avenir, de notre liberté.
Cent ans se sont écoulés,
Portons avec force la mémoire et l’esprit des héros de Verdun, gages à jamais de l’indépendance nationale.
Vive les héros de Verdun
Vive la Nation en armes
Vive nos Alliés,
Vive les peuples d’Europe réconciliés,
Vive la République,
Vive la France !
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