Des syndicats impuissants, un déclin trés préoccupant
[Article publié dans le Journal Le Monde, le 10 janvier 2011]
A quelques jours du sommet social du 18 janvier à l’occasion duquel le président de la République doit recevoir l’ensemble des partenaires sociaux, ces derniers semblent plus fragilisés que jamais. La première raison qui explique cette fragilité des syndicats tient au discrédit dont ils sont l’objet, notamment en raison de l’opacité de leur financement.
En effet, deux rapports récents ont contribué à alimenter la suspicion à l’égard du financement du paritarisme français. Le premier, publié par l’Institut Montaigne et consacré à la formation professionnelle, dénonce l’empressement de certains partenaires sociaux à bloquer toute réforme de la formation professionnelle dans la mesure où le système de financement de la formation permet également de financer le paritarisme.
Le second rapport est celui de la commission parlementaire sur le financement des organisations syndicales et patronales piloté par le député du Nouveau Centre Nicolas Perruchot. L’affaire est emblématique, puisque à l’issue de six mois d’auditions la commission parlementaire a décidé de ne pas adopter le rapport, qui se trouve interdit de publication. Le rapport, qui devait faire la lumière sur le financement des syndicats, a été occulté. La vérité, ici, n’était pas bonne à dire.
Les partenaires sociaux ont été les premiers à s’émouvoir de cette non-publication et ont argué du fait qu’elle a pu donner lieu à une campagne médiatique à charge contre eux. L’”ère du soupçon”, pour reprendre une expression de Nathalie Sarraute, n’a pas épargné les syndicats, et l’on éprouve la nécessité de clarifier leur financement, comme on l’a fait il y a presque vingt ans pour les partis politiques.
Mais si les syndicats paraissent plus fragilisés qu’hier, c’est également parce que leurs modes d’action sont de plus en plus contestés par ceux-là mêmes qu’ils représentent. Les syndicats paraissent ainsi débordés par les salariés qui inventent de façon autonome de nouveaux modes de conflictualité.
La grève, mode de contestation traditionnel prôné par les syndicats, est de moins en moins suivie : au fil des années, une baisse notable des journées individuelles non travaillées est constatée. Pour autant, on observe une remontée de la conflictualité dans l’entreprise. Cette conflictualité toutefois prend d’autres formes, plus diffuses que l’arrêt de travail. Dans les entreprises, les salariés préfèrent désormais se désengager, dans une logique de grève froide.
Dans une certaine mesure, on pourrait dire que les syndicats subissent avec les salariés le même phénomène que les partis politiques d’opposition avec les “indignés” : une contestation moins hiérarchique, plus horizontale, moins encadrée, plus spontanée.
Enfin, si les syndicats sont dans cette situation de fragilité, c’est surtout parce qu’ils ont fait la preuve de leur impuissance. En la matière, le souvenir de leur échec retentissant à l’occasion de la réforme des retraites en 2010 contribue à alimenter ce sentiment d’impuissance. Les syndicats, unis, étaient alors parvenus à rassembler plusieurs millions de personnes dans la rue, qui ont manifesté leur désaccord à l’égard d’une réforme des retraites pour laquelle le président de la République n’avait reçu aucun mandat. Pourtant, cette mobilisation n’a produit aucun effet et n’a pas modifié le projet préparé par le gouvernement. La réforme des retraites a bel et bien eu lieu.
SOMMET SOCIAL
Plus encore, le sentiment que l’action syndicale est vaine est d’autant plus fort en cette période de crise économique. En effet, au moment où la fermeture de grands sites industriels est annoncée, les syndicats se révèlent incapables de protéger les salariés. Dans la seule filière automobile, l’annonce de la fermeture du site de PSA à Aulnay-sous-Bois ou encore le plan de compétitivité préparé par la direction des Fonderies du Poitou sont à même de décourager l’initiative syndicale.
Une dernière raison enfin contribue à entretenir ce sentiment d’une impuissance des organisations syndicales, c’est la proximité de l’élection présidentielle. En effet, au moment où les Français savent qu’ils auront bientôt l’occasion de dire ce qu’ils pensent par les urnes, ils sont moins enclins à le dire dans la rue. Au moment où ils s’apprêtent à accorder leur confiance à un homme politique, ils hésitent à l’accorder à une organisation syndicale. La démocratie politique est en France toujours concurrente de la démocratie sociale.
Le paradoxe de cette situation tient au fait que c’est au moment où notre pays a besoin d’un dialogue social serein que les syndicats se retrouvent fragilisés. La crise économique et sociale dans laquelle le monde est plongé, et qui plaide pour une restauration du dialogue social, a besoin de syndicats forts et représentatifs. A cet égard, le sommet social du 18 janvier est attendu et espéré.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/09/des-syndicats-impuissants_1627462_3232.html
Vijay Monany
Blog: http://vijaymonany.com/
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