L’Europe est-elle réellement réunifiée 20 ans après la Chute du Mur ?
1989 est l’année de tous les bouleversements géopolitiques. Les Soviétiques annoncent leur retrait d'Afghanistan, où les Moudjahidines islamistes, ancêtres d’Al Qaïda, pensent avoir vaincu des Soviets avec notamment l’aide américaine.
En ce sens, la fin programmée de la Guerre froide annonce autant le triomphe des sociétés de consommation libérales que le retour des nationalismes et religions, comme on le verra avec désagrégation de l’ex-Yougoslavie et les guerres balkaniques des années 90 provoquées par le retour du refoulé identitaire jadis congelé par le communisme. Mais revenons au Mur. Réceptifs à la politique de glasnost (transparence en russe) initiée trois ans plus tôt par Mikhaïl Gorbatchev, les dirigeants hongrois donnent le ton le 2 mai 1989, annonçant l’ouverture de leur frontière avec l'Autriche. Des milliers d'Allemands de l'Est se précipitent alors en Hongrie pour passer à l'Ouest. En République Démocratique d’Allemagne (ex-RDA ou « Allemagne de l’Est »), les opposants manifestent. Impuissante à stopper la vague de fond de liberté, la RDA autorise les Allemands de l'Est à voyager à l'étranger. Submergés, les douaniers laissent passer les milliers de fugitifs qui feront le siège de l'ambassade de RFA (République Fédérale d’Allemagne). Le 3 octobre 1989, Gorbatchov rejette le recours à la répression. Le 4 novembre, à Berlin-Est, un million de manifestants défilent. Ils obtiennent le 7 novembre la chute du gouvernement communiste de RDA, suivi du démantèlement du Mur dans la nuit du 9 novembre.
De la Réunification de l’Allemagne…
Les conséquences géopolitiques directes sont multiples :
- D’abord, la réunification de l’Allemagne, dont le meilleur symbole actuel est la Chancelière Angela Merkel, fille de l’ex-RDA. L’absorption de la RDA par la RFA est réalisée par le chancelier d’alors Helmut Khol, en dépit du cout économique gigantesque, pour la RFA. Khol déjoue les réticences russes en accordant à Moscou un crédit de 5 milliards de marks puis signe à Moscou le 12 septembre 1990 l’armistice de la seconde guerre mondiale, jamais signée depuis la chute du Reich. Aveugle, François Mitterrand n’accepte pas l’unification allemande et va même jusqu’à défendre le régime est-allemand, où il se rend les 20-22 décembre, déclarant avoir encore « beaucoup de choses à faire avec la RDA »... Les Etats-Unis et le reste de l’Europe de l’Ouest accompagneront quant à eux avec enthousiasme ce mouvement vers la liberté.
- Ensuite, la désagrégation de l’empire soviétique : en Pologne, en août 1989, Tadeusz Mazowiecki, membre de Solidarnosc, le syndicat catholique anti-communiste de Lech Walesa, devient Premier ministre. A Prague, la Révolution de velours (18 novembre 1989) met fin au communisme. En Bulgarie, le stalinien Todor Jivkov est remplacé par un communiste plus ouvert, Petar Mladenov. En Roumanie, le dictateur mégalomaniaque et psychopathe Nicolae Ceausescu est éliminé dans la violence. En URSS, les Etats Baltes proclament leur indépendante en mars et mai 1990. Puis le futur président russe Boris Eltsine proclame en juin 1990 la souveraineté d’une Russie devenue pro-occidentale, fait interdire le parti communiste et obtient le démantèlement (1991) de l’URSS, remplacée par la Communauté des Etats indépendants (CEI).
- Enfin, la réunification partielle de l’Europe, qui aboutit en 2004 à l’élargissement de l’Union à 27, dont des acteurs historiques de la chute du Pacte de Varsovie : Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Pays Baltes, etc. La destruction du Mur signifie la fin d'une Europe coupée en deux et le triomphe de la démocratie libérale célébrée par Francis Fukuyama qui annonce, certes un peu rapidement, la « Fin de l’Histoire » et le triomphe définitif du monde libre sur le totalitarisme.
Une réunification incomplète : les autres murs qui divisent l’Europe
L’un des murs qui séparent toujours l’Europe est la pauvreté morale et économique des pays de l’Est, à commencer par les plus pauvres, la Roumanie ou la Bulgarie, champions de la corruption d’Etat, d’après Transparency international, et toujours gérés en partie par d’anciens apparatchiks. Des pays dont le niveau de vie en zone rurale est inférieur à celui de villes turques moyennes et où la pauvreté fait le bonheur des mafias turco-albanaises qui y recrutent ou kidnappent les milliers de prostituées exploitées sur les trottoirs d’Europe de l’Ouest. Ce mur séparant les Européens riches de leurs frères pauvres de l’Est permet aux premiers de bénéficier d’une main d’œuvre bon marché et de délocaliser dans cette sorte de « tiers monde intra-européen » leurs entreprises, comme en Chine, en Inde ou au Maghreb. Le second mur, plus symbolique, sépare encore l’Europe « catholico-protestante» occidentale, méfiante envers Moscou, toujours perçue comme non démocratique, « eurasienne », « soviétique », donc non-occidentale, de l’Europe « orthodoxe » ou « post-byzantine, qui inclut la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro, etc (bientôt membres de l’UE) et même des pays plus riches comme Chypre et la Grèce, qui furent d’ailleurs solidaires des « frères » orthodoxes russes et serbes durant les guerres yougoslaves (années 90) et même lors de l’indépendance du Kosovo (février 2008) et la crise géorgienne (aout 2008). La persistance de ce mur entre les civilisations explique pourquoi les Etats-Unis et la Grande Bretagne plaident ardemment en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, alors même que ce pays n’en remplit pas les conditions essentielles : violation de l’espace maritime et aérien grec, revendication des îles grecques de la Mer Egée, refus de reconnaître la République de Chypre, colonisation et occupation de 37 % de l’île, non-application de l’union douanière entre la Turquie et Chypre, etc. C’est donc à Nicosie, capitale d’un pays membre de l’Union depuis 2004, que perdure le dernier Mur coupant une nation en deux. Et comme celui de Berlin jadis, ce Mur est le fruit de la Guerre froide : en effet, l’invasion turque de Chypre en 1974 fut tolérée par l’OTAN pour punir le Président d’alors, Makarios, artisan de l’indépendance de Chypre et proche de Moscou et des Non-Alignés. Or si l’Europe veut devenir un acteur crédible, comme le proclame le traité de Lisbonne bientôt en vigueur, elle devra tôt ou tard démanteler les derniers murs qui séparent toujours les « deux Europe », l’occidentale et l’orthodoxe, sujet analysé avec brio par le grand intellectuel russe Alexandre Tchoubarian*. De la même manière, nos compatriotes d’Europe centrale et orientale qui ont fait tomber le Mur du totalitarisme soviétique assimilé à tort au peuple russe, doivent comprendre que l’Europe n’est pas une simple antichambre de l’OTAN destinée à régler des comptes avec Moscou et ses alliés puis à collecter des fonds structurels. Car les nouvelles menaces ne viennent plus de Russie, mais des pays fanatisant et équipant les Etats et groupes terroristes islamistes et autres ennemis des démocraties. Si l’Europe de l’Ouest se réconcilie avec sa « sœur » orthodoxe et russe et accepte de faire partie de la même « Maison commune européenne prônée par Gorbatchov, alors Moscou sera peut être moins tentée de se tourner vers des Etats ennemis de l’Occident comme l’Iran… Article paru dans France soir, le lundi 9 novembre 2009.
*A.Tchoubarian, La Russie et l’idée européenne, Préface de Jacques Sapir, Les Syrtes, 8 octobre 2009.
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