Un combat pour la dignité humaine
A Auschwitz-Birkenau, le 8 septembre dernier, nous étions des milliers d’hommes et de femmes, à l’invitation de la communauté Sant’Egidio, toutes religions confondues, rassemblés pour marquer par notre présence que nous n’oublions pas, soixante ans après la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, ce que l’homme est capable d’engendrer dans l’horreur et la monstruosité. Sous un soleil éclatant, nous marchions en silence vers le monument du souvenir.
Auschwitz-Birkenau, l’abîme du mal, de la haine, de la folie. Les prières, les chants, les dépôts de gerbes de chrétiens, musulmans, juifs, religieux asiatiques, bouddhistes, tous réunis pour dire « non, plus jamais cela », ne manquaient ni de profondeur ni de dignité et l’émotion sincère ne pouvait être contenue. Pourtant l’interrogation sourde d’être vraiment certaine que « non, plus jamais cela » ne se reproduirait restait tapie au fond de mon cœur.
En effet, à observer avec recul les évolutions du monde d’aujourd’hui, peut-on être vraiment sûr que la barbarie des hommes du XXe siècle est définitivement éradiquée pour le XXIe ? Certes, en Occident une telle violence destructrice ne semble plus possible. Le système infernal des camps de la mort reposait sur une idéologie de la « race » qui se traduisait par une extermination planifiée, avec pour corollaire l’exploitation économique et sordide des corps des bannis de l’humanité. Cela nous semble inconcevable aujourd’hui.
Pourtant, en ce début de XXIe siècle, la question de la dignité inaltérable de tout homme quels que soient sa race, sa religion, son état de santé, ou son niveau social, subit les coups de boutoir de nouveaux enjeux économiques et scientifiques. Ils conduisent à envisager comme tolérables certaines formes de marchandisation de l’être humain. Le commerce des organes dans les pays en voie de développement en est un signe terrifiant. Les enjeux éthiques posés par les mères porteuses, la recherche sur l’embryon, ou les « bébés médicaments », viennent à nouveau interroger l’universalité de la dignité humaine. Comment expliquer l’indifférence souvent partagée à propos des conditions indignes de détention dans les prisons françaises, comme si la catégorie des détenus ne méritait pas d’être considérée avec dignité et selon les principes des droits de l’homme ? Cette relativisation de la valeur de l’humain se ressent aussi dans la façon dont sont traités les employés de certains grands groupes : comme de simples valeurs d’ajustement, ils deviennent « jetables »…
Certes, il ne s’agit pas de brandir le nazisme et les camps pour aborder les difficiles questions éthiques, scientifiques et économiques de notre société. Mais, participant à cette profession unanime d’un « plus jamais ça » universel, je ne parviens pas à ne pas m’interroger sur les enjeux qui sont devant nous et les germes idéologiques éventuels d’une relativisation de la dignité humaine et d’une subreptice graduation dans la valeur d’une catégorie d’êtres humains par rapport à une autre.
La rencontre de Sant’Egidio à Cracovie permet l’espérance. Sur la fameuse place où Jean-Paul II rassemblait les foules, nous étions tous réunis pour la paix, ce 8 septembre 2009. Sur la base du dialogue tissé depuis plus de vingt ans par la communauté Sant’Egidio, sous la houlette de son fondateur Andrea Riccardi, des liens entre les peuples et les religions se fondent sur la certitude que la paix « jaillit de nous-mêmes ». « Cette paix, c’est notre décision et personne ne peut nous l’enlever », nous exhortait-il dans le soleil couchant. À vrai dire, en cette journée qui fêtait la nativité de la Vierge, le pire et l’espérance étaient joints : de Birkenau à Cracovie.
Christine Boutin, ancien ministre, Présidente du Parti Chrétien-Démocrate
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