Katyn un film magnifique de Wajda
Dans la petite salle multiplexe parisienne du quartier Saint-Lazare où je me suis rendu, trônait en parallèle un festival du cinéma du mouvement "Attac". Sur les tréteaux de l'entrée s'étalaient des brochures faisant l'apologie des idées au nom desquelles précisément se sont commis les crimes rouges et, pire encore, l'attentat permanent contre l'Histoire et l'identité des peuples de l'Est européen, dénoncés par le cinéaste.
Rappelons tout de même qu'il s'agit non seulement du plus grand réalisateur de son pays, véritable fondateur d'une école nationale dans les années 1950, honoré depuis 1994 du titre de sénateur mais également que cette nouvelle œuvre fut nominée aux oscars en 2008.
Il faut donc se dépêcher pour aller le voir ! Je ne chercherai pas à multiplier les adjectifs élogieux. Il les mérite, tant pour le jeu d'acteurs que pour la beauté des prises de vues et des couleurs, mais aussi la musique, discrète, intime, tragique et intelligente.
Je noterai seulement deux commentaires. Le premier déshonorerait une fois de plus la gauche que le tiers-monde nous envie si l'on pouvait encore en attendre quelque chose de bon. Voici donc ce qu'on ose écrire dans le Monde :
"ÉTRANGE CONFUSION
Comme l'explique Victor Zaslavsky dans un ouvrage sur "Le Massacre de Katyn", les Soviétiques ont effectivement programmé la mort des officiers polonais, qui incarnaient les "ennemis objectifs", une intelligentsia bourgeoise, un vivier potentiel de résistance, ainsi que la déportation en camps de leurs familles. Ces exécutions de masse sont conçues comme un "nettoyage de classe".
La seconde est l'étrange confusion entre Katyn et le génocide des juifs. Rien, aucune allusion, dans le film, sur la Shoah, mais une description des rafles, de la traque des familles d'officiers polonais, comme s'il s'agissait de la déportation des juifs en camps. Détail troublant : ces proies d'un massacre programmé sont viscéralement attachées à leur ours en peluche. Or le Musée Yad Vashem de Jérusalem a fait de l'ours un symbole de l'extermination des enfants juifs, du martyre d'un peuple.
Dans Katyn, sommée par les services allemands de dénoncer la responsabilité soviétique dans le massacre, la femme d'un général polonais est menacée d'être envoyée à Auschwitz... Tout, sans cesse, nous ramène aux juifs, sauf que le mot n'est jamais prononcé. Le juif n'existe pas. La victime de la seconde guerre mondiale, c'est le Polonais.
Pourquoi ce non-dit, cette confusion ? Andrzej Wajda aura traîné cette question toute sa carrière, puisque son premier film, Génération (1955) - évocation de la résistance contre les nazis -, occultait déjà cet enjeu capital de la guerre. Il est vrai que l'ambiguïté de la représentation des juifs dans le cinéma polonais dépasse sa personne."
Dois-je dire que les 2 ou 3 amis juifs à qui j'ai timidement posé la question à ce sujet haussent les épaules. Non, parler du martyre de la Pologne n'a rien à voir avec l'antisémitisme. Pas plus, ajouterais-je, que le fait d'éprouver de la sympathie pour l'Inde dans sa lutte contre l'islamo-terrorisme ou de se préoccuper de Chypre ou du Darfour. Si, en effet, l'occupation nazie en Europe centrale s'est traduite, par ce qu'on appelle aujourd'hui la Shoah, on pourrait aussi rappeler qu'elle a été rendue possible par l'alliance conclue entre l'Union soviétique et l'Allemagne hitlérienne en août 1939, pacte que le gouvernement de Moscou n'a jamais dénoncé.
Je préfère pour conclure, car aujourd'hui je consacre cette chronique à une œuvre cinématographique vous recommander de chercher à la voir à partir de la meilleure recension que j'ai lue à ce sujet, celle du critique des Échos (2), M. Emmanuel Hecht que je cite intégralement :
KATYN d'Andrzej Wajda
Le roman national de Wajda
Un film classique et superbe sur le massacre des officiers polonais par Staline.
Septembre 1939, un pont métallique en Pologne. Soldats et civils, autos, charrettes et vélos tentent de traverser. Dans les deux sens. Les uns fuient les Allemands, les autres, les Russes. Le 17 septembre, les Polonais, repliés dans l'est du pays, contiennent l'attaque lancée le 1er du mois par la Wehrmacht, mais ils sont pris à revers par l'Armée rouge. La traîtrise est une des clauses secrètes du pacte germano-soviétique. Sur le pont, c'est la bousculade, impossible d'avancer. La première image de "Katyn", le nouveau film d'Andrzej Wajda, résume la tragédie de la Pologne, prise en étau. Le martyre ne fait que commencer.
Les Soviétiques livrent leurs prisonniers polonais au NKVD, la police politique. En avril 1940, à Katyn, une clairière dans une forêt de Biélorussie, 4 100 officiers sont abattus d'une balle dans la nuque. Plus de 20 000 autres sont abattus à Kharkov et Kalinine. L'idée est de Beria, elle a été approuvée par Staline. Il s'agit, en liquidant les officiers d'active et de la réserve, de supprimer l'élite d'un pays, sa classe dirigeante. Parmi eux, Andrzej (Artur Zmijewsk) capitaine et lieutenant du 8e régiment des uhlans, un pilote, un général. Des femmes attendront pendant toute la guerre, et bien au-delà, les trois soldats. Elles s'appellent Anna (Maja Ostaszewska), la femme du capitaine ; Agnieszka, la sœur du pilote, Roza, l'épouse du général. Ces trois personnages sont les héroïnes du film.
Film crépusculaire
Tiré d'un roman polonais, "Post mortem" d'Andrzej Mularczyk, Katyn est un film crépusculaire, filmé entre chien et loup. La mise en scène est classique, l'image, superbe, est signée Pawel Edelman - chef-opérateur du "Pianiste" de Polanski - et la musique du compositeur Krzysztof Penderecki. Ce récit précis, technique, clinique - la scène finale est grandiose - d'un crime signé Staline est aussi un hommage à la résistance face au mensonge et aux menaces. Car Moscou n'a eu de cesse de vouloir effacer son forfait. Le nom de Katyn est révélé au public pour la première fois le 13 avril 1943. Radio Berlin annonce la découverte près de Smolensk d'immenses charniers. Les Soviétiques répondent qu'il s'agit d'une zone de fouilles, que les Allemands confondent momies et cadavres, rappelle Alexandra Viatteau, la grande spécialiste de la question dans son livre, "Katyn" (3). Dès la reconquête de Smolensk, les Soviétiques constituent une pseudo-commission d'enquête "prouvant" la responsabilité des nazis. En 1946, le procureur soviétique Vichinski tentera même d'introduire le meurtre de Katyn dans l'acte d'accusation du procès de Nuremberg. En vain. Les Américains connaissent la vérité depuis 1942. Mais le sujet deviendra tabou, en particulier dans le bloc socialiste. "Sur ce mensonge reposait toute la soumission de la Pologne à Moscou", a déclaré Wajda. Les Polonais, eux, n'oublient pas. Des veuves de Katyn préfèrent renoncer à leur pension plutôt que de signer un document affirmant que leur mari a été assassiné par les nazis. Le sujet revient sur la place publique dans les années 1980. Le syndicat Solidarité des professeurs exige l'enseignement de la vérité. À Moscou, en 1990, Gorbatchev admet publiquement la responsabilité de l'URSS. Des preuves sont remises au président Walesa. L'arrivée de Poutine au Kremlin marque un retour en arrière. Les archives sont interdites de consultation et en janvier dernier la Cour suprême de Russie refuse la réouverture d'une enquête sur Katyn.
Wajda écrit avec "Katyn" l'ultime chapitre de son roman national. Depuis "Kanal" (1957), premier film consacré à l'insurrection de la résistance polonaise à Varsovie en 1944 (à ne pas confondre avec celle du ghetto), écrasée par la Wehrmacht sous l'œil impassible et complice de l'armée soviétique, le cinéaste filme l'histoire de la Pologne : la lutte fratricide de la résistance nationaliste et communiste ("Cendres et Diamant", 1958) ; l'industrialisation à marche forcée ("La Terre de la grande promesse, 1975) ; la propagande à la mode Stakhanov ("l'Homme de marbre", 1977) ; le syndicat Solidarité ("L'Homme de fer", 1980). Il lui a été reproché d'écrire une histoire héroïque et sacrificielle. Lui s'est toujours défendu de faire de son pays le "Christ des nations". Lorsqu'il parle de sa terre, il parle aussi de son sang. "Katyn" est dédié à Jakub Wajda, capitaine du 72e régiment d'infanterie, assassiné à Katyn. Et à Aniela, sa mère, institutrice. En 1940 Andrzej, leur fils, a quatorze ans.
Notes
- Avec Maja Ostaszewska, et Artur Zmijewski. 2 heures.
- le site d'un journal quotidien ne conservant pas nécessairement ses articles en archives je le reproduis ici. Voici le lien de cet article du 01.04.09 sur le site des Échos
- A lire : "Katyn", d'Alexandra Viatteau, éditions André Versaille, à paraître prochainement.
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