Interviews
Réforme des 35 heures, des retraites, des régimes spéciaux, du contrat de travail, Xavier Bertrand, dans un entretien au Figaro, le 18 décembre, dresse le bilan de son action depuis mai 2007.
Interview de Xavier Bertrand,
Ministre du Travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité,
Secrétaire Général par intérim de l'UMP
Parue dans Le Figaro, le 18 décembre 2008
Propos recueillis par Béatrice Taupin
Le ministre du Travail, qui devrait quitter le gouvernement fin janvier, dresse le bilan de son action depuis mai 2007. Il prévient que, devenu patron de l'UMP et redevenu député, il restera impliqué dans les dossiers sociaux, dont celui, inabouti, de la pénibilité
LE FIGARO. - Travail du dimanche, libéralisation des 35 heures, on vous sent plus réceptif à l'UMP qu'aux partenaires sociaux. Ils vous accusent de n'avoir pas défendu la fibre sociale au sein du gouvernement. Comprenez-vous ce reproche ?
Xavier BERTRAND. - Il ne sert à rien de caricaturer les choses : hormis les 35 heures, sur tous les autres dossiers, nous avons trouvé des points d'accord avec les partenaires sociaux. Je reconnais toute la place de la légitimité syndicale, mais les partenaires sociaux doivent aussi reconnaître la légitimité politique, l'un ne va pas sans l'autre. Nous avons été élus sur la réhabilitation de la valeur travail. Cela signifie trois choses. Travailler plus, avec la fin des 35 heures obligatoires, les heures supplémentaires, la réglementation sur le travail le dimanche ou les quarante et un ans de cotisation. Travailler mieux, avec l'amélioration des conditions de travail et l'accord sur le stress au travail. Faire travailler plus de monde, avec le plan seniors et les dispositions pour mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.
Sur les 35 heures, CGT et CFDT ont parlé de «trahison» ; même le Medef a protesté, car sa signature n'a pas été respectée. Ne regrettez-vous pas d'être passé en force ? Y a-t-il tellement d'accords dans les entreprises ?
J'assume la souplesse donnée sur les 35 heures. Nous avons fait ce que nous avions dit. Ce que les partenaires sociaux avaient négocié, c'était une expérimentation limitée, un quasi-statu quo ! Or on a besoin d'avancer, dans ce pays. Je suis opposé à l'individualisation à outrance. La loi sur les 35 heures permet le libre choix dans des conditions équilibrées : elle fixe des garanties légales, valorise les accords collectifs et renforce les accords d'entreprise. Beaucoup d'entreprises s'en servent, même si elles ne le crient pas. Cette loi a une vertu dynamique en période de croissance et une vertu protectrice en période de difficultés : les entreprises peuvent revoir les accords d'annualisation toute l'année et pas seulement en janvier.
Le dispositif favorisant les heures supplémentaires reste-t-il justifié avec la crise ?
On nous disait il y a peu que les heures sup, ça ne marchait pas. Et aujourd'hui on voudrait nous faire croire qu'elles freinent l'emploi. La dernière fois que l'on nous a joué cette fable sur le partage du travail, c'était lorsque Martine Aubry était ministre du Travail. La réalité des entreprises montre qu'il n'y a rien de systématique et d'automatique entre travailler plus et recruter moins. Certaines entreprises ont encore des marchés porteurs et besoin d'heures supplémentaires, d'autres non. L'erreur des 35 heures a été d'imposer le même costume à toutes les entreprises.
Syndicats et patronat jugent que vous avez «raté» le rendez-vous 2008 sur les retraites…
Mais pas pour les mêmes raisons ! Nous avons confirmé le passage à quarante et un ans de cotisation d'ici à 2012, établi de nouvelles règles du jeu pour les seniors, donné plus de liberté de choix en confirmant les carrières longues, en majorant la surcote pour ceux qui veulent continuer et en libéralisant le cumul emploi retraite. Nous avons aussi, comme promis, amélioré les petites retraites et les pensions de réversion.
Confirmez-vous la hausse des cotisations retraite au 1er janvier, alors que la conjoncture va empêcher de baisser à due proportion les cotisations chômage ? Est-ce bien le moment d'accroître le coût du travail ?
Nous sommes prêts à regarder le calendrier pour ne pas augmenter le coût du travail et pénaliser l'emploi.
Vous vous étiez engagé à clore le dossier pénibilité : on attend toujours…
La vraie raison du blocage, c'est combien ça va coûter et qui va payer. J'ai reçu tous les partenaires sociaux, excepté le Medef, que je rencontre prochainement. Il y a un vrai consensus sur les critères de reconnaissance de la pénibilité et un large accord sur l'idée qu'une commission devra vérifier les situations individuelles. Je pense aussi qu'une participation financière des entreprises est indispensable, mais cela ne passe pas forcément par une cotisation nouvelle. Ensuite, il faudra voir si on laisse le choix au salarié d'arrêter de travailler plus tôt ou de poursuivre son activité à temps partiel avec une garantie de revenu supérieure. N'oublions pas non plus la prévention, car c'est un pur scandale que d'avoir un écart de sept ans d'espérance de vie entre l'ouvrier et le cadre. Nous aurons, je pense, une réunion tripartite en début d'année. Et, à l'avenir, j'aurai de la suite dans les idées. J'ai lancé ce dossier comme député en 2003 ; il peut être réglé par un projet de loi du gouvernement, mais aussi par une proposition de loi déposée par un député ! Nous serons la majorité qui aura à la fois permis d'arrêter de travailler plus tôt, avec les carrières longues et la pénibilité, et de travailler plus longtemps pour ceux qui le peuvent et le veulent. 2008 n'aura pas été un rendez-vous pour rien !
Pourquoi, alors, avoir fixé un nouveau rendez-vous en 2010 ? Poserez-vous la question de l'âge légal, comme le veut le Medef ?
La vraie question est celle de l'âge réel auquel on part. Il nous faut déjà atteindre 60 ans ! Il nous faut évaluer régulièrement la pertinence des dispositions prises et sortir du caractère anxiogène de ce dossier. En 2010, l'emploi des seniors aura progressé, mais je pense que nous pouvons aller plus loin : le coût du travail d'un senior, c'est 160 % de celui d'un junior. Pour développer le tutorat dans les entreprises, je souhaite poser la question des cotisations chômage des seniors qui ont acquis leurs droits complets à retraite et ne risquent plus d'être au chômage.
La réforme des régimes spéciaux fera-t-elle faire vraiment des économies ?
C'était une réforme que l'on disait impossible. Mais c'était une question d'équité. Malgré 9 jours de conflit dur, les salariés des régimes spéciaux cotiseront eux aussi quarante et un ans pour une retraite complète. La loi s'appliquera progressivement à ceux qui sont déjà en activité : cela permettra des économies nettes cumulées de 500 millions en 2012, puis de 500 millions par an à partir de 2015. Mais la réforme change déjà les comportements : avec la fin des âges couperets, 40 % des cheminots qui pouvaient partir à la retraite ont décidé de prolonger, et à EDF c'est déjà un agent sur dix.
La réforme du contrat de travail remplit-elle ses promesses ?
Je crois que nous sommes sortis de la rupture conflictuelle presque systématique : nous en sommes à 14 000 ruptures amiables validées, dont 8 000 en octobre. Par ailleurs, 20 % des demandes n'ont pas été homologuées par les directions du travail, soit pour non-respect des procédures et des délais, soit pour calcul inadéquat des indemnités de rupture. Cette réforme correspondait à une vraie demande, à la fois de sécurité juridique pour les entreprises et de sécurisation des parcours professionnels pour les salariés. Et les négociations sur la formation professionnelle devraient encore renforcer cette sécurisation.
Vous ne serez sans doute plus ministre lors de la journée nationale de grève, dans le public et le privé, le 29 janvier. Ce sera le vrai test pour le service minimum ?
Non ! La loi a déjà produit des effets : des préavis levés quarante-huit heures avant la grève, c'est du jamais-vu ! Et le pays n'est plus systématiquement paralysé, même si demeurent des perturbations. Nous avons fait le choix du dialogue social et nous allons continuer. Lorsque j'étais parlementaire, en 2003, j'ai beaucoup pratiqué le service après vote. Je veux maintenant développer le service «avant vote», tester les réformes et travailler davantage en amont. Le pays s'est remis en mouvement. Nous sommes la dernière génération à avoir le choix d'être courageux. Si nous ne le sommes pas, nos enfants seront obligés de l'être à notre place. C'est à nous de préserver notre modèle social, car nos marges de manœuvre ne sont déjà plus très importantes : si on ne fait rien, elles seront inexistantes pour nos enfants.
Rédigé par : |