En avance sur son temps
L’Empereur est en avance sur la France, sur l’Europe, sur le monde. Il a compris d’instinct que celui-ci était en train de changer d’échelle. Il ne le sait pas, mais son arrivée au pouvoir, en 1800, coïncide avec l’inflexion des courbes démographiques de l’humanité, qui a mis des millions d’années pour atteindre son premier milliard d’habitants et entame sa croissance exponentielle qui la conduira en deux siècles aux sept milliards. Avec ses vingt-cinq millions d’habitants, la France était la « Chine de l’Europe » au XVIIIe siècle. Une position privilégiée sur le continent. Mais sa natalité va s’effondrer entre 1793 et 1799, et non à cause des guerres de l’Empire, comme l’a montré le démographe Jacques Dupâquier dans son livre Révolution et population. La France va entamer son hiver démographique qui fera d’elle dès la fin du XIXe siècle un « pays de vieux » effrayé et dominé par les juvéniles puissances de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la Russie et des États-Unis. L’Empire français était la seule solution pour éviter ce déclassement mortel. Napoléon puise dans l’empire d’Occident de Charlemagne ce qui lui permettra d’embrasser l’avenir en position de force. Ce superbe isolement de prophète n’a pas échappé à Paul Valéry un siècle plus tard : « Napoléon semble être le seul qui ait pressenti ce qui devait se produire et ce qui pourrait s’entreprendre. Il a pensé à l’échelle du monde actuel, n’a pas été compris, et l’a dit. Mais il venait trop tôt ; les temps n’étaient pas mûrs ; ses moyens étaient loin des nôtres. On s’est remis après lui à considérer les hectares du voisin et à raisonner sur l’instant… » Encore un siècle, et seul un haut dignitaire de l’Empire américain sera en mesure de saisir l’ampleur de l’enjeu : « Pendant l’épisode napoléonien, elle [la France] étend son hégémonie à la quasi-totalité du continent. Si cette entreprise avait été couronnée de succès, la France serait devenue une véritable puissance globale. Cependant, sa défaite contre une coalition européenne rétablit l’équilibre continental des forces. »
Eric Zemmour
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