LR/LREM:
Le choix de Muselier.
Nouvelle saison d’une vieille histoire qui continue de s’écrire.
Mon interview au Figaro du 30 mai 2019, après les européennes:
Ça continue!
Henri Guaino: «La droite ne pourra pas se reconstruire sans retrouver le peuple»
Henri Guaino fut le conseiller spécial et la plume de Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Alors que Les Républicains se sont effondrés aux élections européennes, l’ancien partisan du non au traité de Maastricht en 1992 voit dans leur écroulement l’ultime conséquence de l’abandon du RPR d’antan.
LE FIGARO. - Après la déroute des LR aux européennes, faut-il incriminer la tête de liste, François-Xavier Bellamy, comme l’affirment certains cadres du parti?
Henri GUAINO. - Chercher un bouc émissaire est toujours lamentable. Mais c’est toujours la solution qui s’impose pour masquer les causes et les responsabilités réelles et reconstruire l’unité d’un groupe désuni. La situation dans laquelle s’est trouvé placé François-Xavier Bellamy était inextricable. L’homme n’est pas en cause. C’est une personnalité estimable, un professeur de philosophie, cultivé et sincère dans ses engagements conservateur et catholique. C’est le calcul politique qui a conduit à ce choix qui était erroné.
On met le philosophe en tête de liste, on lui accroche une liste composée de personnalités, certes honorables, mais qui divergent profondément sur l’Europe, on lui fait porter un programme différent de celui du Parti populaire européen (PPE) dans le groupe duquel les élus de la liste iront siéger au Parlement européen, on lui dicte les éléments de langage du parti que l’on peut résumer ainsi: on est contre Emmanuel Macron parce qu’il ne va pas assez loin dans ce qu’il entreprend.
Tout cela ne faisait que refléter la situation elle-même inextricable dans laquelle se trouve le parti lui-même. Mais comment cela pourrait-il convaincre des électeurs qui cherchent de façon de plus en plus pressante des remèdes au profond malaise de nos sociétés? Peut-être ce genre de montage a-t-il pu payer électoralement à une époque, mais cette époque est révolue.
Certains reprochent à François-Xavier Bellamy d’avoir trop parlé de sujets de société et de «civilisation». Partagez-vous cette analyse?
C’est la conséquence la plus délétère de ce mauvais calcul politique: tous les partisans du libéralo-centrisme tirent maintenant argument de son échec pour rejeter ces problématiques. On peut toujours critiquer telle ou telle façon d’aborder la question de la civilisation, surtout quand elle est plaquée sur un programme qui n’a pas été construit, ni pensé, à partir d’une réflexion de cet ordre. Mais dans les circonstances actuelles qui sont celles d’une grave crise de civilisation, exclure la civilisation du débat public, c’est signer la mort d’une politique qui ne comprend pas la nature et ne prend pas la mesure de ce qui nous arrive. Pour Les Républicains, c’est un suicide puisque l’alternative est entre politique de civilisation et politique de la table rase pour, soi-disant, construire un monde nouveau dont LREM a, si l’on peut dire, déposé la marque. Si Les Républicains n’ont rien d’autre à dire que «notre projet, c’est d’aller plus loin que Macron» dans la table rase de tout ce que notre civilisation nous a légué, ils n’ont d’autre avenir que celui d’une succursale de LREM.
Les causes de la défaite de la droite classique seraient donc plus profondes et anciennes que le choix d’une tête de liste?
Bien sûr! La cause profonde remonte à l’époque où, au sein du RPR, ceux qui trouvaient le gaullisme ringard et voulaient l’extirper du paysage politique pour faire moderne ont gagné la partie contre les Philippe Séguin et les Charles Pasqua et ont dissous le mouvement gaulliste dans l’UMP en 2002. S’il était naturel de conclure des alliances de gouvernement avec l’UDF, il l’était moins de fondre un grand parti populaire dans un parti de notables. Comme aimait à le dire Charles Pasqua du temps de l’UDF et du RPR, la première fournissait des candidats et le second des électeurs. C’était déjà beaucoup. Aller au-delà, c’était en finir avec le gaullisme et sa dimension sociale et populaire. Nous avons sous les yeux le résultat de cette entreprise d’autodestruction. Elle a réussi au-delà de toute espérance: l’UMP s’est accomplie dans LREM, ça y est, c’est fait depuis dimanche. Les amis d’Alain Juppé, grand artisan de la création de l’UMP, sont tous aujourd’hui dans les allées du pouvoir. Ceux de Jean-Pierre Raffarin, qui a porté l’UMP sur les fonts baptismaux pour l’UDF, commencent à les arpenter. Ils vont au bout de leur logique.
Voilà Les Républicains désormais dépourvus de base idéologique et sociologique. S’enfermer dans le conservatisme pur en ferait encore davantage un parti croupion. Mais s’engager plus à fond dans le libéral-centrisme conduirait ce qui reste droit chez les Marcheurs. Là où le gaullisme prenait les choses par la grande politique, les calculs électoralistes les prennent par la petite politique. Et qui dit «petite politique» dit petit parti parce qu’en période de crise, la petite politique fait fuir les électeurs. Le PS connaît le même sort pour des raisons au fond assez similaires.
Emmanuel Macron a bénéficié de voix dans des bastions qui votaient traditionnellement à droite. Comment l’expliquer?
Simplement par le fait que, pour beaucoup d’électeurs, LREM est le nouveau nom de ce que l’on appelait l’UMP.
Le clivage aujourd’hui n’est-il pas sociologique? Des classes moyennes de la périphérie qui se tournent de plus en plus vers Le Pen et une bourgeoisie urbaine des gagnants de la mondialisation qui préfère Macron?
Disons que les clivages sont psychosociologiques plus qu’idéologiques parce que les pensées politiques ont déserté la scène à l’heure où elles seraient plus nécessaires que jamais. Ce qui ressort des péripéties électorales dans toutes les démocraties occidentales, c’est la poussée de «la force du non dans l’histoire». Les peuples se rebellent contre un système politico-économique dont ils ont le sentiment qu’il les prive de la maîtrise de leur vie. «Seul, l’esclave dit toujours oui», disait Malraux. Le vote écologiste, comme le vote dit «populiste», de droite et de gauche, c’est le «non» de ceux qui ne veulent plus se sentir esclaves de quelque chose sur lequel ils n’ont pas de prise. Le vote macronien aussi est pour beaucoup un vote «non» pas seulement de la part des gagnants qui sont très peu nombreux, mais aussi de la part de tous ceux qui ont peur d’un changement trop radical, peur de l’incertitude et qui disent «non» à ce changement de système et à ceux qui le veulent. Jadis ils trouvaient une protection contre les tentations plus ou moins révolutionnaires dans la droite, maintenant c’est dans LREM, dans ce qu’ils pensent être aujourd’hui «le cercle de la raison».
Valérie Pécresse propose une ouverture au centre. Cela vous paraît-il cohérent dans la mesure où l’électorat centriste est déjà chez Macron?
Si ce n’était que l’électorat centriste! Mais c’est l’essentiel du socle sociologique de ce qui était l’UMP qui est passé à LREM. Chercher le salut dans la reconstruction à l’identique de ce socle chez Les Républicains, c’est simplement aller jusqu’au bout du chemin qui a mené du RPR à l’UMP puis à LREM.
Que pensez-vous de l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, de consulter les élus locaux? Faut-il «aller aux élus» ou «aller au peuple»?
Gérard Larcher est réaliste: beaucoup d’élus de droite ne pourront être réélus aux municipales qu’en s’alliant avec LREM et en évitant d’afficher l’investiture des Républicains. Il en tire les conséquences en créant une structure pour les élus en dehors du parti. La question est de savoir ce que sera la suite de l’histoire. Avec les militants dans le parti et les élus locaux en dehors, comment recolle-t-on les morceaux? Ce qui est sûr, c’est qu’à terme rien ne pourra être reconstruit sans «aller au peuple»: la grande politique contre la petite…
L’avenir passe-t-il par le populisme, phénomène qui a le vent en poupe dans nombre de pays?
Que recouvre aujourd’hui ce mot de «populisme» sinon la conviction de plus en plus répandue que ça ne peut plus continuer comme ça, pour une multitude de raisons, bonnes ou mauvaises? Je ne sais pas si c’est l’avenir, mais c’est le présent et si ce cri n’est pas entendu, l’avenir ce sera la violence.
LR ressemble désormais à un syndicat d’élus sans véritable vision politique et idéologique. Ne vaudrait-il pas mieux que ce parti se saborde afin de créer un nouveau mouvement?
Hélas, les partis meurent rarement en prononçant leur dissolution mais le plus souvent en se vidant de leurs militants et de leurs électeurs. La vraie question n’est pas là: c’est de savoir si assez de femmes et d’hommes de bonne volonté peuvent se rassembler pour s’occuper de la France plutôt que des partis dans le monde tel qu’il est. Si un grand mouvement populaire d’inspiration gaullienne ne se reconstruit pas sur la scène politique française comme l’a fait en 1971 le Parti socialiste de François Mitterrand après l’effondrement de la SFIO, l’arithmétique électorale risque d’être la même lors de la prochaine élection présidentielle qu’en 2017. Mais dans ce cas, la légitimité démocratique pourrait bien se trouver violemment contestée. Il y a des germes de tragédie dans les engrenages politiques actuels sur fond de crise de civilisation.
Vous-même, pourquoi avez-vous quitté votre famille politique?
Je n’ai pas quitté la famille politique pour laquelle je me suis battu durant plus de trente ans, c’est elle qui a disparu. Ma famille, c’était celle du non à Maastricht en 1992, celle de la «fracture sociale» en 1995, celle de tous ceux pour lesquels les leçons intellectuelle, morale et politique de l’histoire qui a commencé le 18 juin 1940 et s’est achevée le 27 avril 1969 ont encore une signification, une valeur d’exemple. Car le gaullisme n’est pas une doctrine mais une histoire dont les enseignements ne sont jamais autant d’actualité que lorsque nous traversons des crises comme celle d’aujourd’hui. Les structures partisanes sont demeurées ; la famille politique que je qualifierais plus généralement de gaullo-bonapartiste s’est dispersée, comme emportée par l’air du temps qui a ramené le régime des partis dont le système des primaires a été comme l’une des dernières manifestations dévastatrices.
Vous vous êtes toujours défini comme gaulliste. Cette tradition a-t-elle de l’avenir?
«La force du «non» dans l’histoire»: c’est ainsi que Malraux définissait le gaullisme. Le 18 juin 1940, la «politique de la chaise vide» à Bruxelles, la sortie du commandement intégré de l’Otan, le discours de Phnom Penh en 1966, le «Vive le Québec libre»… le refus fermement opposé à tous les déterminismes, à tout ce qui menace d’asservir un homme ou un peuple. Qu’y a-t-il de plus actuel?
Un mot sur Emmanuel Macron. Peut-on gouverner avec 23 % des Français contre tous les autres?
C’est bien le problème. Vu d’aujourd’hui le résultat de dimanche est une bonne nouvelle pour lui dans la perspective de la prochaine présidentielle. Mais c’est une mauvaise nouvelle pour la deuxième partie du quinquennat parce que sa marge de manœuvre politique, sa légitimité politique pour appliquer son programme ne cessent de se rétrécir avec un socle de moins de 23 % et elle risque de se rétrécir encore avec le référendum d’initiative partagée sur Aéroports de Paris (ADP). Le président pourra-t-il continuer en proclamant qu’il ne change pas de cap? C’est une question qui est posée avec encore plus d’acuité depuis dimanche.
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