Le 11 NOVEMBRE 2019
ALLOCUTION DE JACQUES MYARD
Maire de Maisons-Laffitte
Membre honoraire du Parlement
Elle devait être fraîche et joyeuse, les soldats partis en Août 1914, la fleur au fusil, pensaient revenir à Noël ;
Elle dura 4 ans 3 mois et 2 semaines.
Elle mobilisa, tous belligérants confondus, 73,8 millions d’hommes dont 7,9 millions de Français.
Elle coûta la vie à 9, 5 millions de soldats,
1,4 million de jeunes Français périrent, 4,3 furent blessés.
Les noms des fleuves paisibles deviennent les lieux de batailles terribles.
La Somme, la Marne, l’Argonne, l’Yser.
Des forts imprenables sont pris, détruits et repris dans de furieux combats et de multiples sacrifices.
Douaumont, Vaux, Marre, Duguy ;
l’aviation n’est plus un sport pour aventuriers mais devient une arme redoutable.
Les chars après le britannique Mark I, de 28 tonnes, et le français Schneider des usines de Saint Chamond, trop lourds, ont des succès mitigés.
Sous l’impulsion du Colonel Etienne, le char Renault FT bouleverse le champ de bataille à Amiens en août 1918 et en Champagne en septembre/octobre 1918 dans la contre-offensive alliée.
En mer, après l’indécise bataille du Jutland, la Hochseeflotte du Reich rompt le combat devant la flotte britannique pour se réfugier à Wilhelmshaven.
La marine nationale effectue le blocus en Méditerranée et en Adriatique, de la flotte austro-hongroise.
La guerre sous-marine fait rage.
Toutes ces batailles, tous ces sacrifices, au-delà de tout entendement humain, sont gravés à jamais dans notre mémoire collective,
dans la mémoire de chaque famille française où de vieux papiers, de vieilles photos jaunies rappellent l’histoire de l’aïeul qui ,après de durs combats, revint ou ne revint pas de la guerre.
Le 7 août 1918 l’offensive de Foch provoque la panique au Grand Quartier Général allemand de SPA.
Ludendorff estime que l’effondrement militaire de la Reichswehr est proche et il demande au chancelier un armistice.
Max de Bade, après hésitation, s’adresse le 3 octobre au Président américain Wilson, via la Suisse.
Le 9 novembre, Guillaume II abdique.
Le 11 novembre 1918, dans la clairière de Rethondes, Mathias Erzberger après quelques modifications des conditions de l’armistice pour les Allemands signe l’Armistice qui comprend 34 clauses :
- tous les territoires occupés par les armées allemandes doivent être évacués dans les 15 jours ainsi que l’Alsace et la Lorraine.
Les Alliés ont gagné la guerre.
La France clame son soulagement, sa joie.
Clemenceau à la chambre des députés adresse sous des tonnerres d’applaudissements : « Le Salut de la France une et indivisible à l’Alsace et à la Lorraine retrouvées ».
Puis rendant les honneurs aux morts « qui nous ont fait cette victoire » déclare :
« La France a été libérée par la puissance des armes.
La France, hier soldat de Dieu,
Aujourd’hui soldat de l’humanité,
Sera toujours le soldat de l’idéal ».
La France a gagné la guerre au prix du sang versé, va-t-elle gagner la Paix ?
La Paix revenue, les Poilus aspirent au retour dans leurs foyers.
Le 6 décembre 1918 un sous-secrétaire est nommé à la démobilisation.
Les classes 1912 et 1913 sont restées 7 ans sous les drapeaux.
Clemenceau contre l’avis de Foch impose la démobilisation par ancienneté qui concerne les poilus des classes 1887 à 1891.
Les forces « indigènes » regagnent toutes leur pays entre septembre et novembre 1919.
Chaque démobilisé reçoit un complet civil, un « Clemenceau », et un pécule.
Le retour à la Paix civile est un parcours du combattant et provoque impatience et frustration.
La rencontre entre Clemenceau et la Père Brottier conduit à la création de l’Union Nationale des Combattants, l’U.N.C. Elle apporte secours et assistance morale aux poilus démobilisés.
Les épreuves de la guerre s’éloignent, vient alors le retour de la vie, la vie extravagante, débridée, qui refuse la mort.
André Gide,
Marcel Proust
lancent le débat littéraire.
Tristan Tzara publie le manifeste du dada,
L’art nouveau cède la place à l’Art Déco ;
Le jazz envahit les cafés où l’on danse le charleston.
Berlin connaît aussi après la répression des Spartakistes, les Goldener Zwanziger, les années d’or.
Le café Romanischer et le café Grössenwahn accueillent les peintres, les écrivains et philosophes qui lancent des idées à contre-courant.
George Grosz, peintre anti conformiste crée à Berlin le mouvement dada.
La mort n’avait pas eu raison de la vie, elle exulte !
Mais alors pourquoi Versailles et ses traités n’ont pas réussi à créer un ordre nouveau garant de Paix ?
Quatre hommes ont dominé la conférence de la Paix qui débute le 18 janvier 1919 et se termine en août 1919.
- Georges Clemenceau, surnommé « le Tigre », l’infatigable patriote, qui se définit lui-même comme un mélange d’anarchiste et de conservateur ...
- Llyod George, le Gallois, un démocrate puritain,
- Woodrow Wilson l’américain idéaliste qui rêve d’un ordre international nouveau dont le Pacte de la Société des Nations fut le tragique précurseur.
- Vittorio Orlando, l’italien libéral qui demande que l’Italie récupère les terres irrédentes, il essuie le refus de Wilson, quitte la conférence...pour y revenir.
Ce refus américain permit à Gabriele d’Annunzio de créer sa légende de poète soldat en prenant Fiume pour y créer l’éphémère Régence italienne de Carnaro.
Le Traité de Paix est signé le 28 juin 1919 à Versailles dans la Galerie des Glaces :
Ni la date, ni le lieu ne sont neutres.
. Le 28 juin commémore le 28 juin 1914 l’attentat de Sarajevo, prétexte de l’ultimatum austro-hongrois rédigé sur ordre de Berlin et adressé à la Serbie.
. Le lieu est celui de la proclamation de l’empire allemand le 18 janvier 1871,
. Le 7 mai 1919, le texte du Traité est remis à la délégation allemande. C’est la date anniversaire de l’attaque contre le Lusitania, torpillé en 1915,
. Le 16 juin 1919 , les Alliés notifient au Gouvernement allemand qu’il a 5 jours pour ratifier, sinon l’armée française envahira l’Allemagne.
Le Reichstag ratifie le traité par 237 voix contre 138 dans la nuit du 23 juin 1919.
La France le fait le 3 juillet 1919 pour la Chambre et le 2 octobre pour le Sénat.
Le Traité de Versailles restructure toutes les frontières des Etats européens.
L’Allemagne est désarmée, la rive gauche du Rhin démilitarisée.
Elle perd son empire colonial.
Elle doit payer 132 milliards de Mark-or.
Elle n’en paye que 23,2 millions.
La France n’en reçut que 9,5 contre 68 prévus.
- Le même jour, le petit Traité de Versailles reconnaît l’indépendance de la Pologne;
- le 10 septembre 1919 : signature du Traité de Saint-Germain-en –Laye avec l’Autriche;
- le 10 août 1920, Traité de Sèvres avec l’empire Ottoman;
- N’oublions pas la signature du Pacte de la Société des Nations le 28 juin 1919 qui est intégré au Traité de Versailles, Traité que les Etats-Unis refusent de ratifier;
- Les canons ont cessé leur valse de la mort, mais la Paix n’est pas gagnée.
L’échec de Versailles est d’abord l’échec d’une victoire militaire inachevée, d’une victoire militaire qui épargne le sol allemand.
- le 10 décembre 1918, le chancelier Friedrich Ebert salue des soldats démobilisés en gare de Berlin.
« Je vous salue soldats qui revenez invaincus du champ de bataille »
Sur un monument de Berlin, on peut lire « Invictis, Victi, Victuri ».
A la victoire, les vaincus vaincront demain.
Soldats invaincus du champ de bataille, il n’en fallut pas davantage pour que se développe la légende du coup de poignard dans le dos : la Dolchstosslegende explique la défaite de l’Allemagne en Allemagne, les responsables sont les démocrates de la République de Weimar et les juifs.
Les généraux Ludendorff et Hindenburg donnent corps à cette idéologie, oubliant qu’ils ont eux-mêmes exigé l’armistice.
Sur fond de crise économique, Hitler arrive au pouvoir avec leur appui.
Mais au-delà de cette manipulation odieuse, les tensions franco-allemandes ne datent pas du Traité de Versailles.
Rien ne peut se comprendre sans rappeler en mémoire le Traité de Francfort qui scella la guerre franco-prussienne, le 10 mai 1871.
Le Bas-Rhin, Belfort dans le Haut Rhin, et en Moselle Sarreguemines, Metz, Thionville sont annexés.
La France doit payer 5 milliards de Francs-or.
Le 16 septembre 1873, le dernier soldat allemand quitte Verdun.
Effacer le douloureux Traité de Francfort, c’est appliquer à l’Allemagne les mêmes conditions que la France a subies après sa défaite.
Paul Valery écrit sur le Traité de Francfort :
« Ce traité de Paix était le modèle de ceux qui n’ôtent point tout espoir à la guerre ».
Versailles fut aussi de ceux-là !
Il a fallu la destruction du troisième Reich par la combinaison des armées soviétiques, américaines, anglaises et les forces françaises libres pour que le peuple allemand fasse sa révolution culturelle et entame une fructueuse coopération avec la France et ses voisins.
Ne nous méprenons pas : l’histoire des relations franco-allemandes n’est pas unique dans leur dimension tragique.
Dans l’histoire de l’Humanité, les hommes sont toujours inspirés, motivés par les mêmes craintes, les mêmes fantasmes.
Thucydide, Général athénien du Vème siècle avant Jésus Christ décrit, avec précision, comment la montée en puissance d’Athènes, son impérialisme et les craintes qu’ils suscitèrent chez les Lacédémoniens conduisirent à la guerre du Péloponnèse entre Sparte et Athènes.
Le piège relaté par Thucydide est un principe immuable de l’humanité.
Ceux qui prônent aujourd’hui la guerre préemptive devraient le méditer.
« L’histoire de Thucydide est le conflit entre la lucidité des hommes et leurs passions qui les entraînent à l’abîme ». Jacqueline de Komilly
Gardons-nous d’épouser les théories de certains gouvernements étrangers qui estiment pouvoir utiliser la force armée pour dénoncer une menace proche au nom de la légitime défense.
Gardons-nous des alliances mécaniques qui conduisent acte après acte à l’engrenage de la guerre comme en 1914mais ne soyons pas naïfs pour croire que la Paix en Europe est un acquis à jamais ;
L’esprit de Paix n’est pas une donnée universelle dans notre village planétaire où fanatismes et volontés de puissance prospèrent.
Plus que jamais, nous nous devons de regarder le monde avec lucidité.
Plus que jamais, nous devons conserver la maîtrise de notre destin politique, diplomatique et surtout militaire.
Plus que jamais, la France doit avoir la totale indépendance et la maîtrise de ses renseignements ; « Jamais de confiance dans l’alliance avec un puissant » nous a enseigné Virgile.
Plus que jamais, pensons par nous-mêmes, donnons-nous la capacité de faire face, résistons aux manipulations orchestrées par des intérêts financiers et relayées par des idiots utiles.
Trop de morts,
Trop de sacrifices,
Trop d’épreuves,
Emplissent notre histoire pour oublier les leçons des tragédies du 20ème siècle.
Ne laissons jamais tomber le glaive de nos armées, il porte notre liberté.
Vive les Poilus,
Vive les Nations d’Europe réconciliées,
Vive nos Alliés,
Vive la République,
Vive la France !
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