Lettre de Paul Eluard à Gala : « Je me meurs d'être sans toi. »
27 avril 1930
Dimanche
Ma Gala, parce que je ne pourrais pas vivre si tu n’étais pas à moi. Je pense sans cesse à toi, mais tu me manques tellement que si j’avais de l’argent j’irais habiter à l’hôtel. Tu ne sais pas, tu peux à peine te douter de l’atmosphère de cet appartement que j’ai vraiment voulu pour toi et que tu as si peu habité et l’hiver. Et les environs, le coin de rue que nous avons tourné ensemble, tout ce que j’ai rêvé : où t’emmener, tes robes, ton plaisir, ton sommeil, tes rêves, tout ce que j’ai fait de maladroit, tout ce que je voulais réparer.
Tout est sinistre, tout est affreux. L’idée de mort se mêle de plus en plus pour moi à celle d’amour. Je te crois perdue. Pourquoi es-tu si loin ? Il y a dix-sept ans que je t’aime et j’ai encore 17 ans. Je n’ai encore rien fait et je ne vois pas plus d’avenir qu’à 17 ans. L’idée de malheur est née aujourd’hui avec l’amour pour toi, sans salut. Je ne sais pas plus qu’autrefois calculer ce qu’il faut faire pour te garder, pour t’avoir, pour que tu m’aimes entièrement. Pourquoi es-tu si loin ? J’ai été bouleversé, effroyablement, de n’avoir pas le télégramme que je t’ai demandé pendant cinq jours. Et quand j’ai reçu le télégramme d’hier soir, je suis resté stupide, il ne m’apportait plus rien. Il me laissait toute ma misère, tout mon tourment imbécile.
Si tu savais comme je veux te voir, comme je voudrais t’avoir avec moi comme je t’ai eue l’année dernière à Cannes. Je sais bien que je ne peux pas te garder, que l’abomination de la vie en commun nous n’en avons que faire, mais il me semble que je ne t’ai plus depuis des années. Et j’ai perdu le goût de la vie, des promenades, du soleil, des femmes. Je n’ai gardé que le goût amer et terrible de l’amour.
Mais ne sois pas malheureuse. Il fallait, vois-tu, que je te dise tout cela. Je t’ai déjà écrit, sans te les envoyer deux lettres pessimistes. Mais il ne faut plus que je me taise, ou je suis irrémédiablement perdu. […]
Et le pire c’est que je ne peux pas aller te voir. Ça coûte trop cher. […] Comprends-moi bien, ma belle petite fille, mon enfant chéri aux yeux et au sexe toujours nouveaux, dans toutes ces questions d’argent, la seule chose qui me tue, c’est de ne pas pouvoir aller à Malaga. Être arrêté par ça, quand mon tourment amoureux est si haut. Et nous avons tant de choses : société, maison, objets, tableaux, etc…
Si je pouvais te tenir dans mes bras, je redeviendrais celui que j’ai été pour toi à certains moments. Je t’adore, il n’y a que toi de toute l’éternité. Maïakovski s’est tué par chagrin d’amour pour une femme qui s’est mariée à un diplomate polonais. Mais dans la lettre qu’il a laissée, il ne dit pas un mot de cette femme, mais à sa femme, à la sœur d’Ella, il dit « Lili, aime-moi ». J’ai pleuré en lisant cela. Tu le sais. […]
Ella est pire que jamais, démoralisée par le suicide de Maïakovski. Elle a donné son smoking à Char qui a exactement la même taille. Avez-vous reçu les livres de Char. Si oui, remerciez-le en disant que tu les as reçus très en retard. Il habite toujours avec moi, très gentil, mais terriblement sombre. Je vais tout le temps au cinéma, seul, à cause du noir.
J’espère t’envoyer : Ralentir travaux ces jours-ci. C’est un livre très bien, mais assez triste. Ma belle petite Gala, ma chérie, maia dorogaia, ma petite, mon amour, je me meurs d’être sans toi.
Paul
source lettre : Paul Eluard, Lettres à Gala, 1924 - 1948, Gallimard, coll. NRF, 1984, p. 107-110 ) - Source image : Paul-Eugène Grindel (Paul Éluard) vers 1911, Photographe inconnu, Publié (sans indication d'origine) dans Paul Éluard, lettres de jeunesse, éditions Seghers - Poésie d'abord, 1962, rééd. 2011, ISBN : 9782232123283,
Paul Eluard (14 décembre 1895 - 18 novembre 1952), poète proche du mouvement dada puis pilier du surréalisme, découvre l’amour à l’aube de sa majorité lorsqu’il rencontre Gala, sa future épouse et mère de leur fille, Cécile. S’il tolère d’abord la relation que Gala entretient ouvertement avec Max Ernst, leur inévitable rupture survient en 1928, lorsqu’elle le quitte pour Salvador Dalí. C’est pour sa muse, qui lui inspira une poésie exaltant l’amour et le désir, qu’il signe cette lettre poignante et empreinte de nostalgie.
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