Il fait chaud cet été en Israël, une lapalissade, me direz-vous. Les touristes sont arrivés, quoique peut-être un peu moins nombreux que d'habitude, effrayés, pour certains, par l'instabilité dans la région, faisant l'amalgame entre les pays arabes et Israël. Il est vrai que pour les Américains et la plupart des Européens, lorsque des massacres sont commis dans les faubourgs de Damas, on annule son voyage pour Tel Aviv, Jérusalem ou Eilat. Notre pays est si petit.
Tant pis pour ceux qui ne viennent pas, car ils ratent, précisément cette année, un séjour tout autant merveilleux qu'impressionnant. Non seulement ils ne profiteront pas de nos plages magnifiques, de nos sites historiques, mais ils n'assisteront pas non plus en direct, à l'éveil d'une jeunesse exceptionnelle qui est en train de demander des comptes à notre génération d'après-guerre dont je fais partie.
Il serait naïf de humer un parfum de mai 68, car ces jeunes Israéliens ne veulent rien casser, ils ne remettent pas en cause la société, ils connaissent la dure réalité de la vie professionnelle, de la vie tout court. Ils sont sionistes, les tentes des révoltés du logement sont pavoisées de drapeaux israéliens. Ils ont revêtu l'uniforme de Tsahal, ils font leurs périodes de réserve, ils en ont marre d'être pris pour des pigeons, ils veulent de la reconnaissance, un peu de "kavod"(respect), et du concret, du "takhless". Un exemple parmi tant d'autres.
Il est journaliste, elle vient de terminer brillamment ses études de comptabilité, elle est commissaire aux comptes. Ils ont un bébé. Ils gagnent à eux deux 13.000 shekels sur lesquels ils payent 25% d'impôts. Il leur reste donc 9.750 shekels. Ils ne sont pas misérables.
Ils payent 3.000 shekels pour se loger. Il faut ajouter à cela, les impôts locaux, les charges, l'eau, l'électricité, soit 1.000 shekels. Et le jardin d'enfants à 3.000 shekels. Il continue d'étudier le soir pour obtenir un master de sciences politique au prix de 1.600 shekels par mois et il faut aussi rembourser ses études à elle, à raison de 1.800 shekels par mois. Et voilà, ils ont déjà dépensé davantage que leurs revenus. Et ils n'ont pas encore mangé, ni acheté des couches pour le bébé. Quant à la voiture, et aux loisirs…
Par contre, comme il est officier, commandant d'unité, il fait entre 60 et 80 jours de réserve par an. Et lorsqu'il doit passer un examen alors qu'il est en période militaire, pas d'exception, il le repassera le trimestre d'après, à la session suivante.
Mais lorsqu'on lui demande pourquoi il reste en Israël alors qu'il pourrait s'éviter tous ces tracas, il vous regarde d'un air étonné, voire agacé et vous répond qu'il adore son pays, qu'il est ici chez lui, à la maison, qu'il n'y a pas d'autre pays où il fait aussi bon vivre qu'ici. Partir, ce serait déserter, abandonner son poste, s'il ne défend pas Israël, qui le fera pour lui, pour nous.
Justement, il sait mieux que quiconque, puisqu'il est officier, que le pays est en guerre, que la défense cela coûte cher, qu'il faut faire des sacrifices. A condition que tout le monde contribue. Pourquoi l'Université ne serait-elle pas gratuite pour ceux qui font les milouim (périodes de réserve militaire) ?
Il ne demande pas d'augmentation de salaire, il veut seulement comprendre pourquoi la vie est aussi chère, voire davantage que dans les pays occidentaux où les salaires sont plus élevés. Pourquoi un fromage "cottage" qui valait 8,50 shekels baisse soudain à 5 shekels après quelques jours de boycott des consommateurs. Il ne remet pas en cause les nécessités du marché, mais il refuse les abus.
Il veut qu'on lui explique pourquoi un touriste qui investit dans l'immobilier fait d'énormes plus-values sans payer d'impôts, donc sans participer à l'effort en faveur du pays, alors que lui est ponctionné de 25% à la source et prend tous les risques sous l'uniforme de Tsahal pendant plus de 2 mois par an?
Pourquoi un médecin hospitalier est payé 24 shekels de l'heure et fait des gardes jusqu'à l'épuisement, pour le plus grand danger des patients ?
Il n'est pas "populiste", comme Netanyahou a qualifié mercredi cette vague de colère. Il n'est pas anarchiste, même pas gauchiste : il a voté Likoud aux dernières élections. Il est choqué par les déclarations méprisantes de David Amar, le maire Likoud de Nesher, une petite localité au sud de Haïfa, qui parle de "jeunes fumant le narguilé et mangeant des sushis", qui n'a pas compris qu'on se trouve aux prises avec un mouvement social sans précédent dans notre pays. On est bien au-delà de la gauche et de la droite, des laïcs et des religieux.
Et il dit à Bibi : pourquoi ne pas satisfaire les revendications dès le début, car ces jeunes sont déterminés et non violents, ce qui leur donne d'autant plus de puissance. D'ailleurs, selon un sondage diffusé par la chaîne 10, quelques 88% des Israéliens s’identifient avec le mouvement de protestation qui, et c'est là sa spécificité, est généraliste et non sectoriel.
A force de vouloir tergiverser et marchander, le prix sera d'autant plus élevé, car de nouvelles catégories socio-professionnelles se joindront au mouvement. A force d'avoir vanté, avec fierté, à juste titre, les succès économiques d'Israël, d'avoir claironné que le pays était riche, les citoyens, qui ont contribué à sa prospérité, veulent leur part du gâteau, et refusent que les bénéfices soient outrageusement confisqués par les magnats avec la complicité du gouvernement, quoi de plus normal ?
Binyamin Netanyahou serait bien avisé d'écouter ces jeunes, s'il ne veut pas d'un été trop chaud durant lequel il risquerait de transpirer. Il en sortirait grandi s'il prenait en compte les revendications légitimes de ces jeunes qui ne se prétendent pas révolutionnaires, qui ne veulent pas changer les fondements de la société, qui ne scandent pas qu'ils sont tous "des Juifs allemands", comme à Paris en 68, mais des Juifs tout court, qui veulent vivre en citoyens respectés dans leur pays bien-aimé, Israël.
Un bol d'air frais dans cet été chaud. Une belle jeunesse, tout simplement.
Nos pensées, vont ce soir, à Guilad Shalit otage français, détenu depuis 1879 jours par le Hamas. Ses parents sont toujours sans nouvelles. Les visites, même celles de la Croix-Rouge, lui sont interdites…
Marc Femsohn
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