Les Arabes israéliens disposent de tous les droits mais sont dispensés du service militaire national. C’est pourquoi le cas d’un officier arabe reste une exception rare. L’armée m’a autorisé à rencontrer le major arabe Elias Gaby Karam. Il m’attendait dans sa base maritime au nord du pays et il était venu à ma rencontre dans son uniforme bleu et blanc pour m’accueillir avec un cérémonial oriental et des gestes qui se voulaient amicaux : main serrée longuement, tapes sur les dos et bras autour des épaules. D’entrée de jeu, je lui avais indiqué que j’étais intrigué par cette communauté d’arabes d’Israël dont la situation est soumise à controverse à l’étranger.
"Arabe certes, mais Israélien d'abord"
Les arabes, hors la Cisjordanie, constituent 20% de la population israélienne totale et ce pourcentage a peu évolué depuis la création de l’Etat en 1948 car le fort taux de natalité arabe a été compensé par l’arrivée massive de juifs de l’ancienne URSS. 10% de ces arabes sont de confession chrétienne et représentent une communauté de 120.000 personnes. Les experts démographiques estiment que les arabes israéliens constitueront le tiers de la population israélienne dans les années 2050 en raison du tarissement des sources d’immigration juive.
Les arabes choisissent souvent de vivre dans des communautés rurales ou dans les quartiers historiquement arabes des grandes villes comme Jaffa, Haïfa, Akko-Saint-Jean d’Acre, ou Jérusalem. Les systèmes d’éducation sont distincts puisque les arabes tiennent à disposer de leurs propres écoles où l’enseignement se fait majoritairement dans leur langue.
La citoyenneté israélienne est unique pour toutes les populations mais elle comporte trois nationalités : la nationalité juive reconnue par le rabbinat, la nationalité arabe musulmane et chrétienne, et la nationalité druze. Les arabes ayant le droit de vote, leurs voix étaient acquises, jusqu’en 1980, aux partis sionistes (travaillistes, parti national religieux) moins par idéal politique que par clientélisme. En effet, Le Parti National Religieux, au pouvoir au ministère des Cultes, gérait les affaires cultuelles et octroyait les budgets pour les lieux de prière.
A partir de 1980, le clivage politique a poussé les arabes à créer leurs propres partis et à revendiquer ouvertement leur allégeance au palestiniens. Le parti communiste Hadash, doté à l’origine de cadres gauchistes en majorité juifs, affiche ses tendances antisionistes. Il s’est converti au nationalisme palestinien après avoir milité pour un Etat binational. La liste arabe unie regroupe les mouvements islamiques qui s’inspirent de l’idéologie des frères musulmans. Enfin le parti nationaliste Balad se définit comme parti progressiste et démocratique pour les palestiniens citoyens d’Israël.
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Jacques Benillouche : Qui êtes-vous Major ?
Elias Gaby Karam : J’ai 30 ans. Je fais partie de la minorité arabe chrétienne et j’habite un village près de Nazareth. J’ai obtenu le grade de major, reconnaissable à la feuille de vigne sur mon épaulette, et j’occupe un poste dans la Marine sur lequel je ne suis pas en mesure de m’étendre. Mon périple, commencé à l’âge de 16 ans, a été jalonné d’étapes difficiles parce que je m’étais donné l’objectif très jeune de ressembler aux autres juifs.
J. B. : Vos parents vous ont ouvert le chemin ?
E. G. K. : Mon père est professeur de technologie, mon frère ainé est officier de police, deux frères sont gradés dans la police et dans les services pénitentiaires. Ma sœur, docteur en anglais, dirige un département à l’école catholique de Nazareth. Nous avons tous suivi un parcours universitaire imposé par nos parents : licence de gestion ou juriste. Je vous donne ces détails pour vous démontrer que nos parents nous ont toujours appris que l’intégration au pays passait par la case études et par le don de soi à la nation.
J. B. : Pourquoi la Marine ?
E. G. K. : Depuis jeune, je rêvais d’entrer dans la Marine et pourtant j’avais été déçu quand, en classe de terminale, tous mes amis avaient reçu leur ordre de recensement sauf moi parce que je n’étais pas tenu au service militaire obligatoire. La bataille administrative a alors commencé. J’ai fait ma demande d’engagement volontaire en 1998 mais on m’a refusé la Marine qui était un secteur sensible. Plusieurs emplois militaires étaient alors strictement réservés aux arabes mais je n’en ai pas voulu.
J. B. : Vous vouliez être différent des autres ?
E. G. K. : Je voulais un corps de combat dans la Marine. A mon époque, l’accès des minorités aux postes sensibles n’était pas possible mais cela a complètement évolué depuis. J’ai écrit au président de l’Etat, Ezer Weizman [1], pour défendre ma cause et j’ai gagné. Je suis parmi les premiers à avoir rejoint la Marine. Mais mon combat n’était pas terminé pour autant car il me fallait ensuite obtenir le droit de devenir officier de Tsahal. J’en avais les aptitudes et la compétence grâce à ma licence de droit et de criminologie et celle d’électronique.
J. B. : C’était un défi personnel pour vous ?
E. G. K. : Je voulais prouver qu’avec un combat personnel on pouvait réussir. Je me voyais être le catalyseur pour convaincre les jeunes de ma communauté à s’enrôler et à s’intégrer en masse dans l’intérêt du pays. Nous devons combattre pour nos droits et ne pas être passifs. Nous devons bâtir une communauté fondée sur l’intégration, sur le droit et sur le respect des minorités et des religions. Je voulais donner le signal aux autres minorités, les bédouins, les circassiens, parce que je crois beaucoup au facteur chance et à l’opportunité qui est donnée à chacun d’entre nous.
J. B. : Vous teniez à faire partie entièrement d’un Etat qui vous considère pourtant comme minoritaire.
E. G. K. : Je n’ai jamais dit que dans le pays, tout était de miel mais je combats la passivité qui conduit à l’échec. On ne peut se plaindre que rien ne marche dans notre communauté tout en étant passif pour changer le cours des choses. Nos différences de religion ne doivent pas être un obstacle et elles doivent au contraire encourager notre optimisme. L’homme doit se distinguer par ses valeurs intrinsèques et non par sa religion ou ses pensées.
J. B. : Pourquoi avez-vous eu besoin de faire l’armée alors que vous n’y êtes pas astreint ? Vous bénéficiez de tous les droits et vous aviez le choix d’une carrière dans le civil.
E. G. K. : J’estime que faire l’armée est une mission. Le citoyen doit avoir des droits mais aussi des devoirs. Je pense que le service militaire nous aide à intégrer la société dans laquelle nous vivons. L’armée constitue un melting-pot car les écoles sont communautaires, laïques ou religieuses, juives ou arabes. L’armée permet la fusion de la nation dans un tronc commun. Toutes les religions y sont représentées. Même pour les juifs, elle sert à opérer le mixage entre sépharades et ashkénazes. Combattre pour la défense du pays et la sécurité des frontières crée automatiquement des liens forts entre les soldats qui combattent aussi pour la paix. L’armée sert à réunir, parfois pour la première fois, des jeunes qui n’ont jamais cherché à approcher d’autres communautés qui vivaient sous leurs yeux.
J. B. : Etes-vous autorisés à avoir des fonctions de combat ? Ma question s’explique par les exigences sécuritaires du pays.
E. G. K. : Nous avons à présent le droit à toutes les fonctions dans tout le pays et dans toutes les unités, sans exclusive. J’insiste à nouveau que, si par hasard un poste m’était interdit en raison de mon identité, il m’appartiendrait de lutter pour l’obtenir. Je suis têtu. Mais avec le temps, toutes les portes s’ouvrent à présent.
J. B. : Acceptez-vous de circuler en tenue militaire dans votre village face aux autres arabes ?
E. G. K. : Je n’ai aucun problème pour le faire d’autant plus que je suis fier de mon grade. Ils vivent dans ce pays, ils doivent en faire autant. Je n’ai pas peur d’eux, mais seulement du Ciel. Mais je tiens à préciser qu’il y a 3.000 arabes chrétiens aujourd’hui dans l’armée et la police.
J. B. : Avez-vous des relations avec la communauté juive ?
E. G. K. : Nos relations sont naturelles. Haifa, où j’ai vécu le plus longtemps de ma vie, est l’exemple d’une ville où les communautés sont imbriquées. Nous avons des relations humaines, commerciales, industrielles, scolaires ou universitaires. La question de notre religion ne se pose jamais dans nos entretiens mais chacun sait d’où il vient.
J. B. : Pourquoi vivez-vous dans des villages spécifiquement arabes ?
E. G. K. : C’est une fausse idée qui est diffusée. Les arabes vivent partout dans les villes. La vie dans les villages est un choix lié à notre confort et à notre histoire mais pas à une règle imposée. Nous voulons être proches de nos parents et grands-parents sans renier nos racines. C’est aussi une question financière puisque le coût des logements y est moindre.
J. B. : A l’étranger on parle beaucoup d’apartheid à votre encontre.
E. G. K. : C’est un terme qui me choque. Nous sommes très loin de l’apartheid ici dès lors où nous avons des droits, le droit de parler et d’agir et le droit de nous développer. J’insiste, il n’y a pas d’apartheid en Israël car on nous impose aucun ghetto. En revanche, il peut y avoir des barrages sociaux qui dépendent uniquement de la maturité de notre société qui n’est pas prête à accepter certaines réalités. Vous avez ce même problème en France.
J. B. : De la discrimination ?
E. G. K. : Non plus. Je vous signale qu’il existe chez nous une discrimination positive, en particulier pour imposer un quota minimum d’étudiants arabes. Je pense que certains postes de hauts fonctionnaires ne nous sont pas encore ouverts. Nous sommes loin d’avoir un ministre de la défense d’origine arabe. Mais nous avons des députés, des ministres et des ambassadeurs arabes. Je ne dirais pas que tout est rose mais laissez-nous le temps. Le pays a été créé il y a à peine 60 ans et il est encore en guerre. Des tensions intercommunautaires existent certes, entre orientaux et occidentaux, entre russes et éthiopiens, entre universitaires et incultes. Mais les conflits ne sont politiques mais sociaux, inhérents à tout pays qui doit intégrer des gens venus de tous les bords.
J. B. : On parle d’émigration importante des chrétiens
E. G. K. : C’est exact. Il est vrai que certains ne supportent pas d’avoir à vivre dans un Etat juif, même démocratique, à fortiori lorsqu’ils ont des difficultés économiques. Ils vivent entre le marteau musulman et l’enclume juive. Le Pape s’en est d’ailleurs inquiété mais il faut dire qu’il est difficile de résister à l’appel économique de certains pays comme le Canada qui ont besoin de nous pour peupler leur territoire. Par ailleurs, en s’expatriant, ils oublient les tensions dues à la guerre. Les dirigeants religieux chrétiens veulent consolider et renforcer la communauté pour qu’elle reste. Mais il s’agit de la liberté de chacun. Personne ne nous contraint à nous exiler.
J. B. : A l’étranger on pense que les chrétiens n’ont aucun avenir dans ce pays
E. G. K. : Cette communauté a un rôle tampon à jouer entre musulmans et juifs et il appartient au gouvernement israélien de la rassurer par des mesures pratiques qui démontrent qu’elle fait entièrement partie de la nation, des mesures pratiques qui permettent de maintenir cette communauté toujours ici. Notre choix doit pourtant être clair. Nous devons être fidèles à l’Etat d’Israël car Israël est un fait et qu’il est l’Etat de tous ceux qui y habitent. Notre communauté est pacifique. Notre religion modérée agit pour influencer la tolérance dans la vie de tous les jours. Certains ont du mal à accepter l’idée que nous sommes une minorité active au sein d’une autre minorité. Mais nous vivons dans un pays démocratique.
J. B. : Comment résolvez-vous le dilemme d’avoir à combattre vos frères arabes musulmans ?
E. G. K. : Il faut comprendre une chose simple. Si nous décidons d’avoir une carte d’identité d’un pays, quel que soit ce pays, nous devons nous engager pour ce pays. Il n’est pas nouveau que des arabes combattent d’autres arabes. L’Histoire nous en donne des exemples. En 1991 l’armée koweitienne a combattu contre l’armée irakienne. On n’a pas pointé du doigt qu’il s’agissait d’arabes contre arabes mais on s’est penché sur les motivations de la guerre. Dans un exemple plus récent, des combats fratricides ont éclaté entre palestiniens, Hamas contre Fatah, arabes contre arabes. Pour moi, un seul élément est à prendre en ligne de compte. Si mon pays doit prendre les mesures appropriées pour défendre ses intérêts de sécurité et sa population civile, alors, par respect pour lui et ses citoyens, je n’ai aucune gêne à combattre toute organisation qui sème la terreur chez moi, même si elle est arabe. Je dois choisir les réponses appropriées pour me défendre.
Le major Elias Gaby Karam en compagnie du journaliste Jacques Benillouche.
(c) Photo de Jacques Benillouche transmise à Guysen International News.
J. B. : Et si on vous demande de faire le sale travail ?
E. G. K. : Vous n’avez pas le droit de dire cela car en tant que minorité, nous faisons le même travail que les juifs israéliens, chacun selon sa compétence. Il n’y a plus de régiment spécifiquement arabe et nous sommes répartis à travers tous les corps d’armée. Je n’ai aucun complexe à combattre d’autres arabes car je défends d’abord mon pays. Nous ne sommes pas des chairs à canon pour protéger les tanks ou les fantassins qui avancent au combat. Nous sommes des israéliens combattant pour la survie de notre pays.
J. B. : Quelle différence voyez-vous entre un arabe chrétien et un arabe musulman, en dehors de la religion bien sûr ?
E. G. K. : Je n’accepte pas ce débat basé sur la religion. Les hommes m’importent avant tout. Nous sommes d’abord des humains. Les problèmes de religion ne doivent pas dicter notre comportement. Chez nous les chrétiens, nous avons avant tout le respect et l’amour de l’autre et nous combattons pour la paix même si nous devons cependant prendre les armes. Notre Pape ne parle que d’options de paix qui donneront un avenir d’espoir au Proche-Orient. La paix ne doit pas être liée à un problème de religion parce que l’homme tient avant tout à vivre. Dans nos écoles chrétiennes qui reçoivent des juifs et des musulmans, nous enseignons le devoir de paix. Nos différences religieuses sont parfois un moyen d’agir en tant qu’arbitre.
J. B. : Comment réagissez-vous aux propos du palestinien chrétien Elias Sanbar [2] qui a écrit d’écrire que les arabes qui collaborent avec les juifs en Israël sont coupables de trahison ?
E. G. K. : Je pense que son propos est tout à fait disqualifié et impropre. Si moi soldat, je suis un traitre alors il en est de même de tous les arabes qui travaillent en Israël et qui perçoivent des salaires des entreprises privées ou du gouvernement. Tout arabe qui détient une carte d’identité, identifiée à l’ennemi, serait lui aussi un traitre. Son propos ne fait pas avancer les choses et certainement pas la société arabe. Il n’est pas sain de prôner l’extrémisme qui ne règlera pas nos problèmes et qui ne rapprochera pas les juifs des arabes. La réalité est la seule qui vaille puisque la communauté arabe en Israël collabore totalement avec les juifs dans tous les domaines, culturels, économiques, sociaux et industriels.
J. B. : Comment voyez-vous votre propre avenir ?
E. G. K. : Je pense que je n’ai pas de limites et que seul le Ciel est ma frontière. Celui qui a des compétences peut réussir et je n’ai aucune raison de ne pas être nommé un jour général si j’en ai les capacités. Voyez l’exemple d’Obama. Qui aurait cru qu’un noir pouvait devenir président des Etats-Unis. Donc pourquoi un arabe ne pourrait pas réussir en Israël. C’est un combat naturel permanent que de chercher à évoluer et à gravir les échelons.
J. B. : Et la crédibilité vis-à-vis de vos soldats malgré votre identité arabe ?
E. G. K. : J’enseigne d’abord à mes soldats d’accepter l’autre. Je leur enseigne, il est vrai, à connaitre ce que représente la minorité et ce qu’est un officier arabe. C’est un devoir en Israël de bien connaitre autrui. Je cite toujours l’exemple du film « le dernier samouraï ». Lorsque Tom Cruise, général anglais, tomba entre les mains des samouraïs, ils ne l’ont pas tué car ils ont appris à se connaitre l’un l’autre. Peu à peu, Cruise apprend à connaître et à comprendre l'esprit du samouraï et son antique sagesse. Je ne pense pas, malgré ma position de militaire, que seules les armes, les fusées et les balles peuvent convaincre. On peut convaincre en apprenant à connaitre l’autre, à le comprendre ainsi que sa religion. L’image du musulman est déformée et fausse. Beaucoup veulent la paix. Tous les musulmans ne veulent pas être des kamikazes, ni des assassins. Chez les juifs aussi il y a des irréductibles. Alors, asseyons-nous ensemble pour discuter en respectant notre adversaire.
La rédaction de Guysen International News remercie M. Jacques Benillouche qui a accepté de partager le contenu de cette rencontre.
* Jacques Benillouche est le correspondant à Jérusalem du site internet français SLATE.fr, chroniqueur au sein de la chaîne d'informations GUYSEN TV, à la Radio nationale KOL-ISRAEL et auprès à plusieurs autres médias francophones d'Israël.
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