Beverly Hills en Cisjordanie (Judée-Samarie)
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Par le 26 février 2010
De Daniele Ranieri paru sur Il Foglio
Boutiques de luxe, investisseurs à Ramallah et secrets inavouables.
Gucci, Prada, Roberto Cavalli, Just Cavalli, Dolce&Gabbana.
Samar Daoud, une blonde de trente-cinq ans en pullover blanc à col roulé, nous ouvre la porte vitrée de sa boutique du centre de Ramallah, capitale des territoires autonomes administrés par l’Autorité Palestinienne, pendant qu’à l’extérieur des ouvriers finissent de travailler aux vitrines et à l’enseigne, «Lifestyle». A l’intérieur, tout de blanc reluisant, est exposé le plus chic de la mode italienne : souliers, bottes, robes des collections hivernales, Gucci, Prada, Roberto Cavalli, Just Cavalli, Dolce&Gabbana. Samar est la propriétaire de ce commerce et c’est elle-même qui passe directement les commandes en Italie par téléphone : « J’ai ouvert il y a six mois » - dit-elle au journaliste du Foglio - amusée de répondre aux questions d’un journal italien, de ce pays d’où proviennent toutes ces merveilles luxueuses qui l’entourent. « J’ai ouvert ce commerce en payant de mes propres poches et maintenant tous mes actifs sont déjà en territoire positif. Je sais que tout ça peut paraître bizarre à un étranger, mais ici, la mode, ça marche fort. Les gens achètent. » - Et les prix? « Tout dépend. Une paire de souliers coûte normalement 300 euros, mais je considère que ce que je fais est une mission, il s’agit de changer les attentes et ce que les Palestiniens ont dans la tête.»
La mission de Samar est décidément au delà de ce qu’elle-même peut penser du haut de son poste d’observation griffé et privilégié. Ramallah vit en silence son éclatant boom économique. Depuis deux ans, les prix des logements, qui montaient en flèche déjà en 2005, ont subi une croissance de 300 %. Les touristes occidentaux viennent et les fonds étrangers circulent. La compagnie koweitienne de télécommunication Wataniya a décidé depuis peu d’investir 700 millions de dollars en Cisjordanie : « parce que le marché du téléphone a un potentiel immense et que la situation est stable » nous informe Allan Richardson, un Irlandais, PDG de la branche palestinienne de la compagnie. Partout à Ramallah on peut voir les énormes affiches rouges de la Wataniya : « Belle couleur, non? Ça a un énorme pouvoir de persuasion. »
La même ferveur commerciale parcourt toute la “capitale”.
« Regarde! De purs chef-d’oeuvres ! Ces écrins viennent de Syrie, toute leur surface est recouverte d’arabesques, c’est petit mais quel poids. Ça vaut 22.000 dollars. » Les dagues d’argent, avec manches en corne, sont dans des étuis et ont été disposées en éventail sur une table de verre, la moins chère d’entre elles vaut déjà 1000 dollars. Quant aux tapis, il y en a partout, sur les planchers, empilés par couches, sur les meubles, sur les murs, suspendus à partir de l’étage supérieur d’où ils débordent. La propriétaire de la “galerie d’art” est radieuse: «Regarde, cette galerie, elle m’a coûté un demi million de dollars , parce qu’ici on n’est dans le centre de Ramallah, mais je l’ai déjà remplie pour plus d’un million de dollars de marchandise. - Et les clients ? « Pour 60% ce sont des Occidentaux, il en vient beaucoup par ici » - Même des Italiens ? « Oui, par exemple des journalistes des chaînes de télé. Mais 40 % de mes clients, ce sont des Palestiniens, souvent des femmes. Elles viennent seules, choisissent, achètent, et puis repartent, et c’est comme ça d’une fois à l’autre. »
Ceux des Palestiniens qui s’y connaissent en affaires et en économie parlent un anglais suave et clair : les “majors indicators” disent-ils, sont tous optimaux. Et dans ce cas précis, les “majors indicators” ce sont ces facteurs, comme l’augmentation des prix de l’immobilier, l’arrivée d’investisseurs étrangers, qui leur permettent de mesurer à vue d’oeil si l’économie va bien et si le moment de s’enrichir est arrivé ou si, par contre, les choses vont mal et qu’il est temps de se préoccuper. Depuis deux ans le marché de l’immobilier de Ramallah s’est emballé, la valeur des logements a d’abord doublé pour ensuite tripler, selon Bashir Barghouti, un entrepreneur immobilier de la région.
À Matzioun, le plus beau quartier de la capitale de l’Autorité nationale palestinienne, un “dounam” de terrain, équivalant à près de mille mètres carrés, a une valeur minimale de 1 million de dollars- et malgré de tels prix, partout des ouvriers sont en train de construire, comme sur ce chantier d’un “mall” commercial de cinq étages en forme de château-fort. Barghouti se rappelle qu’en 2002 il a acheté un terrain près de Matzioun pour 150 000 dollars et que maintenant ce même terrain en vaut 1 million, soit six fois plus.
(“A Ramallah il y a au moins dix mille familles qui reçoivent un chèque de pension de la “Social Security” américaine”)
Il sort sur la terrasse et montre au loin avec la main : « Là-bas? c’est la ligne des quartiers israéliens et on ne peut pas construire au delà. La demande sur le marché de l’immobilier reste toutefois élevée, et comme l’offre reste limitée, les prix, eux, ne cessent d’augmenter, d’autant plus que l’espace disponible reste ce qu’il est et que les investisseurs étrangers continuent à venir acheter pour faire construire. L’année dernière deux grandes entreprises du Qatar sont arrivées ici et ensuite il y a aussi les investisseurs palestiniens, surtout ceux de la diaspora. Beaucoup sont partis pour l’Amérique, il y a trente ans, et, après avoir accumulé un patrimoine là-bas, ils reviennent se construire une maison ici. » Barghouti rit, une cigarette à la main : « Tu sais qu’il y a à Ramallah au moins dix mille familles qui reçoivent un chèque de pension de la “Social Security” américaine ? et maintenant ils veulent investir dans la pierre. » « Il y a deux écoles de pensée: ceux qui disent - j’ai une terre, si je la cultive, j’arrive à faire entre 20 et 25 mille dollars tout au plus à l’année mais si je la vends, j’en retire immédiatement 3 millions. Et les autres : ceux qui pensent que c’est insensé de vendre maintenant parce que déjà l’année prochaine les prix seront démesurément encore plus élevés.
Leur économie, disent-ils calmement en anglais, est en croissance fulgurante, comparable à celle de Shangai, avec une taux de croissance qui, cette année, pourrait être à deux chiffres, de 10 %. Et ils nous disent aussi que l’argent est revenu, il y a beaucoup d’argent qui circule “pumped into the system” [injecté dans le système].
Selon le Fond Monétaire International, en 2009 la croissance de l’économie palestinienne a été de 7% alors que partout ailleurs sur la planète on se débattait avec la crise économique. Selon Salam Fayyad, le premier ministre palestinien qui a déjà travaillé au Fond Monétaire International, déjà l’année dernière la croissance aurait dépassé le seuil des deux chiffres et aurait été de 11 %.
Les Palestiniens instruits restent les gardiens de ce secret agréable et des mieux protégés de tout le Moyen-Orient: depuis qu’Israël a responsabilisé l’Autorité palestinienne et depuis que le Hamas a pris le pouvoir dans la bande de Gaza afin de poursuivre seuls la lutte contre les juifs, les Palestiniens de Judée-Samarie, eux, ont commencé à jouir d’un bien-être matériel et d’une prospérité comme ils n’avaient jamais connu ces quarante dernières années. Et si ces conditions ne changent pas, leur futur promet d’être peu à peu encore meilleur.
Le directeur de l’enseigne Harbawe, un homme de 31 ans, me guide à travers les meubles stockés au premier étage de son centre commercial de Rammallah, et c’est dans un ensemble de salon que l’on s’assoit pour parler de “business”. L’année dernière seulement, les ventes ont augmenté de vingt-cinq pour cent, dans toutes les catégories de produits, ça signifie que tous achètent, les Palestiniens fortunés, mais aussi les moins riches. Sa chaine commerciale dispose de six grands points de vente, il y en a même un à Hébron et un autre à Djénine, les villes symboles de la guerre entre Israéliens et Palestiniens.
("il ne faut pas faire trop de publicité en ce qui concerne ces nouvelles conditions économiques de la Cisjordanie")
Mais pour plusieurs raisons il ne faut pas faire trop de publicité en ce qui concerne ces nouvelles conditions économiques de la Cisjordanie : il faut que se perpétue cette impression d’état d’impasse qui caractérise les relations entre les Palestiniens et Israël, et il faut entériner, qu’officiellement, la condition des Palestiniens ne peut être qu’insupportable, ensuite il faut désavouer l’offre de paix économique du premier ministre israélien Netanyahu qui aurait dit que : puisque pour l’instant il n’y a pas de solution en vue, laissons les choses comme elles sont et, en attendant, progressons ensemble. Toutefois le premier ministre palestinien Fayyad a malgré tout admis que la croissance record enregistrée l’année dernière a été aidée par la bonne performance de l’économie israélienne. Mais malheur à tous si jamais on venait à savoir que l’on peut effectivement s’enrichir de cette façon.
Une autre raison pour se taire est aussi, plus au sud, le Hamas, l’organisation terroriste qui a pris le contrôle militaire et politique de la bande de Gaza et qui l’a transformée en une zone de guerre permanente, en une base de lancement de missiles et de roquettes et en un repaire pour le trafic d’armes. Plus au nord, leurs frères palestiniens pensent ainsi : faisons des affaires mais sans trop d’ostentation car sinon on risque de passer pour des traîtres à la cause, par contre, en privé, certains d’entre eux se laissent aller à dire que : là-bas à Gaza, le risque de conflagration bloque tous les investissements, et qui irait jeter de l’argent dans une zone qui par principe a été choisie comme front de guerre ? Et encore, s’il n’y avait que la tension externe avec Israël, le fanatisme extrême du Hamas bloque lui aussi l’économie, les investisseur n’y vont pas et ne veulent pas y aller, ils préfèrent venir chez nous parce qu’ils ne sont pas obligés de changer complètement leur style de vie ou leur vision personnelle des choses pour en arriver à conclure une affaire, il peuvent sortir le soir pour aller prendre un café ou pour aller au cinéma.
("l’image des Palestiniens misérables, telle que propagée par les médias, attire de généreuses contributions de partout sur la planète")
Une autre bonne raison pour garder le silence est que l’image des Palestiniens misérables, telle que propagée par les médias, attire de généreuses contributions de partout sur la planète et pas besoin de sortir tambours et trompettes pour aller crier sur tous les toits que la situation évolue lentement pour le mieux. Il y a à peine quelques jours l’Union Européenne a fourni à l’Autorité Palestinienne 21 millions d’euros qui serviront à payer les salaires de ses fonctionnaires. Une partie de cette somme a été prélevée sur les fonds destinés à faire fonctionner la centrale électrique de Gaza qui par conséquent ne pourra garantir que 12 heures par jour d’électricité.
Finalement la dernière raison pour ne pas faire trop de publicité à toute cette nouvelle richesse c’est, qu’en plus, elle n’est pas distribuée équitablement et il suffit de jeter un coup d’oeil sur l’état des routes pour comprendre que quelque chose ne va pas. La Cisjordanie reste un endroit où les boutiques de luxe et les immeubles de grand standing sont raccordés par un réseau mal entretenu de voies publiques en bien piteux état…
Source : Il Foglio
Traduction Bivouac-id
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