Voici le Poème(ou poèsie) du mois:
LE LISEUR
Ce livre que j’emprunte à la bibliothèque
Est un nouveau roman fraîchement publié.
J’en jauge, au prime abord, la valeur extrinsèque,
Son aspect, le fourreau dont il est habillé.
Je jette un bref coup d’œil sur son nombre de pages :
Cinq cents ! Je tiens en main un solide pavé.
Ce monument ouvert, voyons son découpage :
Chapitres plutôt longs, feuillets nourris, gavés.
L’auteur a-t-il produit déjà des écritures,
Des ouvrages qu’un prix peut avoir couronné ?
Un résumé peut-être orne la couverture ?
Non. Tu dois marcher seul, lecteur infortuné.
Assez tergiversé. Entrons dans le domaine
Que l’écrivain nous ouvre avec un fol espoir.
Parfois, le calme plat durant la cinquantaine
De pages du début devient un repoussoir.
Faut-il lire en recours les cinquante dernières ?
Tant pis pour le secret, ce n’est pas un polar.
Vais-je enfin de trésors trouver la pépinière ?
Mais non, rien n’apparaît. Le ton reste faiblard.
Ici, c’est différent. Mon intérêt s’éveille
Dès la première ligne et s’enfle constamment…
J’abandonne le port , mon navire appareille
Sur l’océan des mots sans cesse en mouvement.
Comme l’eau dans un sucre, indubitable osmose,
Le récit entre en moi par capillarité.
L’intrigue se déroule, une histoire s’expose
Qui m’isole avec soin de la réalité.
Je transcris au passage un détail sur ma fiche,
Une phrase, un mot rare, un tour original,
Qui viennent se planter dans mon jardin en friche,
Mais j’épingle aussi bien ce cliché trop banal.
Texte dense, attrayant, dont j’ai suivi la trame,
Disponible sans cesse à toute heure, en tout lieu,
Passant du clair au sombre et du sourire au drame,
Tu ne m’appartiens plus. Je dois te dire adieu.
Après le point final, je ferme le volume.
Mais mon esprit n’est pas encore dételé.
Des vagues du papier je conserve l’écume,
Concentré frémissant, pour pouvoir en parler.
Francis BAUDIC
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