Natacha Bouchart, petite-fille d'immigrés polonais et arméniens, savoure avec humilité sa victoire contre «Jacky le Terrible».
Natacha Bouchart, le nouveau maire UMP, s'est installée à l'Hôtel de Ville après 37 ans de communisme.
Il est fini le temps où le maire de Calais envoyait à Paris quelques estafettes d'employés municipaux pour contribuer, en bon camarade, au montage de la Fête de L'Huma. Natacha Bouchart l'a proclamé le 19 mars : «Calais est libérée !» Enfin, presque. Au soir de sa large victoire, 54 % des voix, madame le maire UMP élue à la tête d'une coalition de droite, du centre et de gauche a tout de même jugé préférable de ne pas s'inviter dans le hall de l'imposante mairie de style flamand Renaissance dont le beffroi, du haut de ses 75 mètres, a sonné les heures des trente-sept années de gestion communiste. Profil bas. On évite la provocation.
Il faut dire que le choc a été rude pour ceux des Calaisiens qui auraient bien voulu offrir un second mandat au PC Jacky Hénin, successeur d'un autre communiste, Jean-Jacques Barthe, trente ans de règne. Ils n'ont pas senti venir le vent du large, pas entendu le ras-le-bol d'une population de plus de 73 000 habitants dont 8 % touchent le RMI et 14 % sont au chômage. Ils ont observé, goguenards, la discrète Natacha Bouchart, salariée du principal lycée privé de la ville, membre du Ladies' Circle un club d'entraide pour femmes partir à l'assaut de «Jacky le Terrible», au verbe aussi haut que ses épaules sont larges. Ils n'ont pas compris que si cette quadra n'avait pas le profil d'un Prince noir faisant le siège de Calais, son intelligence politique n'était pas moins aiguisée que sa volonté de «faire tomber Calais aux mains des Calaisiens» ou, selon son premier adjoint, Philippe Blet, socialiste en dissidence du PS : «faire tomber les portes de fort Alamo». Cette petite-fille d'immigrés polonais d'un côté, arméniens de l'autre a la volonté bien trempée.
«Accessible mais pas naïve»
À 16 ans, Natacha Bouchart était encartée au RPR, suivant la voie ouverte par son père, «un forain, conseiller municipal d'oppositiondans les mines». Outre son rejet du communisme, inscrit dans les gènes familiaux, elle revendique donc cette libération de Calais comme gaulliste, héritière spirituelle du beau-frère du général, Jacques Vendroux, maire de la ville de 1959 à 1969. Lorsqu'elle a rencontré Nicolas Sarkozy, en novembre dernier, il lui a donné deux conseils : «Cette campagne, fais-la comme tu le sens et ne t'entoure pas trop de conseillers.»
Natacha Bouchart, qui l'espère bientôt en visite à Calais, est aujourd'hui aux commandes et continue à suivre cette voie. Elle refuse ainsi de céder aux séduisantes sirènes de la victoire. «Pas de chasse aux sorcières». Le maire sait bien que la transition «est difficile pour certains». Elle veut «faire confiance a priori» aux 1 200 agents municipaux. «On sait où se trouvent les taupes du précédent système», note cependant, prudent, un élu en aparté.
Dans les couloirs, les poignées de mains sont franches et chaleureuses. Elle prend du temps pour discuter avec chacun. «Natacha a soulevé une chape de plomb», poursuit l'élu. Dans le dos du maire, son directeur de cabinet, l'ancien député RPR Claude Demassieux, regarde sa montre et lui rappelle ses obligations. Les rôles ont été inversés. Elle l'a soutenu pour la première fois lors de la campagne des législatives en 1993. Plusieurs fois candidat malheureux à la mairie de Calais, il veille désormais sur son poulain.
Natacha Bouchart a rompu avec le style de son prédécesseur, surnommé «Napoléon» par certains de ses proches. Son immense bureau du rez-de-chaussée, orné de boiseries, la maire l'a trouvé «trop beau pour ( elle ) toute seule». On y tient donc désormais des réunions. Elle s'est installée au premier étage, dans une pièce sans charme, mais vaste et lumineuse. Pas de problème pour transporter les armoires : Jacky Hénin n'a rien laissé, pas un dossier, pas une indication. Pas même une pauvre fleur comme celle, à Montreuil, offerte par Jean-Pierre Brard à Dominique Voynet. Les dossiers sont donc reconstitués au fil des visites planifiées dans les différentes directions de la mairie. Natacha Bouchart, qui se définit comme «déterminée, sensible, accessible, mais pas naïve», fait la moue lorsque le dossier sur le nouvel hôpital lui est présenté comme «bouclé depuis septembre dernier». Il sera épluché, comme le sont en ce moment les comptes rougeoyants du stade en construction ou de la prochaine «Cité de la dentelle»…
Attendue au tournant
Elle s'apprête à tenir une conférence de presse, à donner le ton des chantiers à venir dont celui ultrasensible aux portes de l'Angleterre de la prochaine création du Conseil des migrants. Elle va aussi confirmer que «Calais est ouverte aux investisseurs». «Ils m'appellent, dit-elle, de toute la France.»
Chacun de ses gestes est disséqué. Entre autres par Jacky Hénin, qui n'a pas hésité à la traiter de «trouillarde» lors du premier conseil municipal et qui aurait l'intention de profiter des prochaines élections locales de la CGT pour y placer ses proches, renforçant sa position d'opposant municipal. Il dénonce à tout-va le soutien du journal local, Le Nord Littoral, à Natacha Bouchart, ou le désistement en sa faveur du candidat FN… Sa défaite est très amère.
Elle est aussi attendue au tournant par ceux qui s'étonnent encore du succès de son équipe politique hétéroclite. Philippe Blet, son adjoint et président de la communauté d'agglomération du Calaisis, est très optimiste. «Nous avons tout ici : le tunnel, une autoroute, un port, une gare TGV, une université… Il n'y a aucune raison pour que la mayonnaise ne prenne pas.» Il s'amuse à citer le Che : «Soyons réalistes, exigeons l'impossible.»
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