Un an après l’assassinat du chef de la communauté arménienne de Turquie, Hrant Dink, abattu le 19 janvier 2007, à Istanbul, France Soir a voulu recueillir les propos autorisés de l’un des protagonistes de la communauté arménienne de France et d’Europe, Alexis Govciyan, président du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (UGAB) Par Alexandre del Valle*
FS\ M Govciyan, vous étiez proche de Hrant Dink, abattu il y a un an de deux balles dans le dos aux cris de « Allah Akbar » par un nationaliste turc anti-arménien. Qu’ incarnait pour vous et pour les Arméniens Hrant Dink ?
AG/ Hrant Dink, incarnait pour le monde entier, l’espoir d’une Turquie moderne, ouverte et démocratique, prête à affronter son Histoire et dans laquelle toutes les identités culturelles pourraient cohabiter dans la paix et la tolérance. Il avait fait l’objet d’un harcèlement judiciaire continu pour ses prises de position sur la reconnaissance du génocide arménien et sur les nécessaires changements de la société turque en matière de liberté d’expression, de droits de l’Homme et de démocratie. Il avait été condamné en 2005 à six mois de prison avec sursis par le tribunal d’Istanbul au titre de l’article 301 du code pénal turc et était l’objet de menaces permanentes par ce que l’on appelle en Turquie « l’Etat profond ».
FS Pourtant, Dink était connu pour son respect de la nation turque, son patriotisme, son engagement en faveur du dialogue…
AG/ Oui, il se considérait comme un Arménien citoyen de Turquie dont le combat devait servir au rapprochement de ces deux peuples auxquels il se sentait également attaché. En assassinant l’homme, le meurtrier et ses commanditaires, proches des milieux nationalistes et de l’Etat ont voulu assassiner les espoirs qu’il avait fait naître.
FS Quelle fut votre réaction ?¬
AG/ Le Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France (CCAF) avait dénoncé ce crime odieux qui, au-delà des sentiments de douleur et de révolte qu’il suscite, prive la démocratie et les droits de l’Homme d’un de ses plus grands défenseurs. J’avais tenu à être présent aux obsèques de Hrant Dink, avec une délégation du CCAF pour rappeler la solidarité des Français d’origine arménienne avec la famille du journaliste assassiné, avec la communauté arménienne de Turquie et avec tous les démocrates turcs qui se battent pour la reconnaissance du génocide.
FS/ Quelle a été l’attitude de la Turquie depuis ?
Les autorités turques n’ont toujours pas fait la lumière sur cet assassinat dans lequel semblent effectivement impliquées les différentes composantes de l’Etat à plusieurs niveaux. Ses proches, membres de sa famille et amis continuent même à être l’objet de poursuites et de harcèlements divers, toujours au titre de ce fameux article 301 du Code Pénal Turc encore en vigueur, qui punit tout individu exprimant des opinions pour la reconnaissance du génocide arménien ou bien pour l’évacuation de Chypre illégalement occupé par l’Armée Turque depuis 1974.
*Le 19 janvier 2007, dans le quartier de Chichli, cœur historique d’Istanbul, Hrant Dink est assassiné froidement devant son journal AGOS de plusieurs balles dans la tête. Dink avait connu la prison, les tortures. Il avait traversé les épreuves de la dictature, des harcèlements policiers, des ultra-nationalistes-islamistes turcs qui voulaient sa peau depuis longtemps. Mais loin d’en vouloir aux Turcs, il expliquait qu’il était « fier d’être turc », que la Turquie était une grande nation, que les Arméniens de Turquie devaient impérativement réconcilier leur identité arménienne avec leur Patrie turque. En dépit de sa certitude d’être menacé, il pardonnait d’avance à ses bourreaux ultra nationalistes turcs, selon lui manipulé par le fascisme d’Etat. Son rêve de réconciliation arméno-turque lui permettait de soutenir l’Arménie dans le monde et en Turquie, tout en fustigeant la turcophobie en Europe et en Arménie. Il était d’ailleurs favorable à l’entrée de la Turquie dans l’UE. Il n’a pas été payé en retour… Depuis la magnifique île au large d’Istanbul où il résidait chaque été depuis 20 ans, Hrant Dink nous expliquait qu’il ne désespérerait jamais de la Turquie et des Turcs. Non pas parce qu’il était naïf, mais parce qu’il estimait que la force du dialogue allait un jour changer les Turcs les plus remplis de préjugés. Héros humaniste, il mettait un point d’honneur à distinguer toujours entre le régime dictatorial qui avait commis le génocide et la Turquie moderne. Pour lui, les premières victimes de cette idéologie raciste ultranationaliste et islamiste - qui a conduit au génocide des Arméniens et avec eux de l’essentiel des Chrétiens de Turquie (Assyro-Chaldéens, Grecs, etc.) - sont les Turcs eux-mêmes, endoctrinés par les partis d’extrême-droite, l’idéologie nationaliste et les mouvements islamistes. Comme l’assassinat de prêtres et l’agression d’Alevis de juifs ou de Chrétiens, celui de Hrant Dink s’inscrit dans le cadre de cette fanatisation islamo-nationaliste contre laquelle manifestaient au début du mois de janvier des milliers de Turcs alévis et laïcs inquiets de la politique de réislamisation du parti du Président Gül et du Premier Ministre Erdogan actuellement au pouvoir à Ankara.
** Un an après cet assassinat, le CCAF rend hommage à la mémoire de ce grand journaliste et organise plusieurs événements. Tout d’abord, en partenariat avec l’Association Sourp Khatch Tebrevank et l’Association Ecole bilingue Sainte Croix de Varak le vendredi 18 janvier 2008, à 20 h 30, une Conférence-débat, à l’école Hrant Dink d’Arnouville les Gonesse, avec la participation effective de deux personnalités de Turquie, Maître Ümre Deniztuna, Avocate et Ochin Tchilingir, écrivain. Toutes les organisations arméniennes d’Arnouville et les environs seront également associées à cet événement auquel participeront des membres de la famille de Hrant Dink et ses amis. L’objectif de cette conférence-débat, dans une école qui porte désormais son nom, est de rappeler la mémoire de Hrant Dink et d’examiner l’évolution de la situation en Turquie. Le samedi 19, le CCAF fera déposer une gerbe sur la tombe de Dink, à Istanbul. Une messe de requiem sera organisée le dimanche 20 janvier à 11h00 en la Cathédrale Arménienne de Paris de la Rue Jean Goujon ainsi qu’une cérémonie de recueillement et de dépôt de gerbes qui aura lieu à 13h00 à la Statue de Komitas (Cours Albert 1er Paris 8ème).
*Auteur, avec Emmanuel Razavi, du Dilemme turc, les vrais enjeux de la candidature d’Ankara, Les Syrtes, 2006.
** Ecole Hrant Dink 40-42 Rue Saint Just 95400 Arnouville les Gonesse
Rédigé par : |